Il y a urgence à revoir le modèle agro-alimentaire

Le 27 mai 2020, Bastien Lachaud a défendu une proposition de loi de la France insoumise pour répondre à la crise alimentaire : assurer notre souveraineté, rémunérer correctement les producteurs, fournir à des prix abordables des denrées de qualité et saines.

Ce texte est examiné dans le cadre de la journée réservée de la France insoumise. Initialement programmée le 5 mars, celle-ci a été reportée suite à l’examen du projet de loi sur les retraites, puis du fait du confinement. Le passage en séance publique aura lieu le 4 juin.

Lire le texte intégral :

Monsieur le Président, Mes chers collègues,

Les crises agissent toujours comme le révélateur des failles préexistantes d’un modèle économique, d’un modèle de société. Il en va ainsi de la pandémie de coronavirus, et de ce qu’elle dit de la faillite du modèle agricole et alimentaire dont ont accouché des décennies de politiques libérales et de recul de l’État. C’est avec ce modèle failli que la présente proposition de loi se propose de rompre, en rendant à l’État son rôle de planification et de régulation, pour garantir notre indépendance alimentaire, la transition vers un modèle agricole respectueux des équilibres écologiques, le bien-être des producteurs et des consommateurs. En somme : l’intérêt général.

La souveraineté alimentaire de notre patrie, sa capacité à s’assurer un approvisionnement indépendant, a été détruite au nom du libre-échange : vous avez préféré importer, transbahuter de par le monde quantité de denrées qui peuvent être produits localement. Les équilibres écologiques ont été détruit par un productivisme forcené, provoquant la diffusion du Covid. Le droit des agriculteurs à vivre dignement de leur travail a été bafoué : 20% d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté. Le droit des consommateurs à avoir accès à une alimentation de qualité à des prix abordables a été purement et simplement abandonné : le nombre de personnes ayant recours à l’aide alimentaire a été multiplié par deux en 10 ans. Et tout cela pour quoi ?

Pour accroître le profit de quelques spéculateurs et géants de la grande distribution !

Ces maux, que nous dénonçons depuis des années, la crise sanitaire les a aggravés encore davantage. La fermeture des frontières, le confinement de la moitié de la population mondiale, la contraction de l’économie ont montré au grand jour la fragilité d’un modèle qui peut s’effondrer au premier choc. Les chaines d’approvisionnement à flux tendu étirées sur la planète ont été rompues, provoquant la pénurie de certains produits, révélant notre dépendance stratégique. La hausse des prix des denrées a transformé la précarité alimentaire en véritable crise de la faim – des dizaines de milliers de personnes, hommes, femmes, et même enfants, en souffrent, par exemple en Seine-Saint-Denis, aux portes de Paris. Les prix payés aux producteurs n’ont pas augmenté, ils ont même baissé dans certaines filières, tant les spéculateurs règnent en maîtres, exerçant leur tyrannie sur les agriculteurs, réduits au rang de variables d’ajustement.

Nul ne peut le nier aujourd’hui : l’agro-industrie, globalisée, financiarisée, nous a conduit dans une impasse.

Face à l’ampleur des défis, la politique du gouvernement actuel fait figure de pansement sur une jambe de bois : 39 millions d’euros pour l’aide alimentaire ; les mesurettes de loi Egalim qui ne protègent réellement ni les producteurs, ni les consommateurs. Pire : le 28 avril dernier, en pleine crise, l’Union Européenne et le Mexique concluaient un nouvel accord de libre-échange, en discussion depuis 2016, et qui ouvre encore peu plus notre marché aux importations agricoles. Le président et le gouvernement, qui multipliaient les paroles mielleuses sur la souveraineté alimentaire, sont restés silencieux. Car ils approuvent. Ils n’ont rien appris.

C’est un modèle entier qu’il faut refonder. C’est le sens de la proposition de loi que nous portons aujourd’hui.

Elle garantit durablement l’accès des plus précaires à l’alimentation et aux produits de première nécessité à travers la création d’un chèque alimentaire mensuel et pérenne. Elle assure une juste rémunération des producteurs grâce à la création d’une conférence annuelle interprofessionnelle sur les prix permettant au ministre de l’agriculture de fixer des prix plancher. Elle prévient la spéculation et répond à l’urgence sociale en temps de crise, en offrant aux pouvoirs publics la possibilité d’encadrer provisoirement les prix.

Il reste beaucoup à faire. Mais ces différentes mesures posent les bases d’un véritable changement de philosophie. Dans le domaine agricole et alimentaire comme ailleurs, il faut en finir avec la fable selon laquelle la concurrence libre et non faussée des intérêts privés produirait le bien commun.

L’État doit reprendre la place qu’il n’aurait jamais dû cesser d’occuper : celui de garant de l’intérêt général.

C’est seulement ainsi que nous pourrons planifier, engager la grande transformation dont notre agriculture et notre pays ont besoin : la relocalisation des productions, le passage à un modèle de production et de consommation durable, sain et vertueux et qui bénéficiera à tous. C’est seulement ainsi que nous ferons en sorte que les leçons de la crise aient été retenues, et que le monde de demain ne répète pas les erreurs du monde d’hier.