Le scandale du « Choix de l’école »

Le choix de l’école se présente comme une association visant à former de jeunes diplomés aux métiers de l’enseignement. Mais elle est en concurrence directe avec le recrutement par concours public de l’Education nationale.

Après une première question écrite sur « Teach for France », voici une nouvelle question écrite au gouvernement sur cette association qui étend son emprise en Seine-Saint-Denis notamment.

Question écrite au gouvernement, posée le 05/10/2021 :

Monsieur le député Bastien Lachaud interroge Monsieur le ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, sur le partenariat noué entre le ministère de l’Éducation nationale et l’association « Le choix de l’école ».

Anciennement appelé « Teach for France », « Le choix de l’école » bénéficie depuis 2016 d’un partenariat privilégié avec l’Académie de Créteil. Selon son site internet, « Le choix de l’école » se fixe pour objectif d’« accompagner de jeunes diplômés et de jeunes actifs qui souhaitent se reconvertir vers l’enseignement ». Formés par les soins de l’association, ceux-ci sont ensuite recrutés comme contractuels et affectés dans des établissements d’éducation prioritaire. Toujours selon les informations fournies par l’association, celle-ci revendique des partenariats avec 4 académies (Créteil, Paris, Versailles, Aix-Marseille), 270 enseignants accompagnés depuis 2015 et 35 000 collégiens suivis par un enseignant membre du programme. « Le choix de l’école » est particulièrement actif en Seine–Saint-Denis, département où est élu M. Bastien Lachaud. L’université d’été de l’association se tient régulièrement dans le département, au lycée international de Noisy-le-Grand en juillet 2019, ou encore au collège Gisèle Halimi et au campus Condorcet d’Aubervilliers, en juillet 2021, en présence du recteur de l’académie de Créteil, M. Daniel Auverlot ; 50 % des collèges du département auraient accueilli au moins un enseignant appartenant au programme ; et durant la période de confinement du printemps 2020, plus de 1500 tablettes numériques appartenant à l’association auraient été distribuées aux élèves du département.

La place privilégiée ainsi accordée au « choix de l’école » soulève de nombreuses réserves, pointées de longue date par les syndicats enseignants, et sur lesquelles M. Bastien Lachaud avait déjà attiré l’attention de Monsieur le Ministre à l’occasion d’une précédente question écrite, publiée au journal officiel le 03/10/2017. Depuis lors, ces inquiétudes n’ont fait que s’amplifier.

La délégation du recrutement et de la formation d’enseignants à une officine privée, en lieu et place de la filière normale de recrutement par concours, pose un double problème.

Sur le principe, elle revient à privatiser ces missions, remettant en cause le cadre républicain normal qui garantit aux aspirants professeurs une maîtrise académique suffisante et un égal accès au métier, par le biais d’un concours public garantissant l’égalité de traitement des candidats.

Dans la pratique, elle soulève des doutes sur la qualité de la formation et du suivi prodigués aux enseignants. Le « choix de l’école » affirmer prodiguer à ses contractuels une préparation de quelques semaines au plus et leur offrir un suivi par un « tuteur » choisi par l’association, et issu du monde de l’entreprise : des conditions qui manquent de clarté, et ne correspondent manifestement pas aux critères en vigueur dans l’éducation nationale. Le « choix de l’école » revendique en effet de mettre en avant l’« innovation », l’« ouverture d’esprit », l’« humilité » et le « goût du collectif », des « compétences » qui relèvent d’une approche managériale et individuelle de la formation des enseignants, et non des critères habituels de recrutement des enseignants de l’école publique, à savoir les qualités scientifiques et pédagogiques. En tout état de cause, de telles conditions ne sauraient suffire à la préparation d’enseignants affectés dans des établissements d’éducation prioritaire.

Les conditions mêmes du recours aux personnels contractuels recrutés par le biais du « choix de l’école » paraissent entourées d’une certaine opacité. Si l’association revendique les partenariats conclus avec le ministère de l’Éducation nationale et communique certains chiffres relatifs au nombre d’enseignants recrutés, aucune donnée précise ne semble disponible quant au nombre exact de ceux-ci, à leur affectation, au nombre d’entre eux qui choisissent de passer les concours de l’Éducation nationale à l’issue de leur parcours de contractuels. Il semble que le recours aux personnels issus du « choix de l’école » s’amplifie au fil des années et soit priorisé sur des postes où des contractuels officiaient depuis plusieurs années.

Ainsi, selon le syndicat Snes-FSU 93, 2 300 professeurs contractuels officiants dans le second degré dans l’académie de Créteil (Seine–Saint-Denis, Val-de-Marne, Seine-et-Marne) se sont vus signifier en juillet dernier par le rectorat que ce dernier n’était pas « à ce jour » en mesure de leur proposer de nouveaux contrats pour l’année 2021-22 — et ce alors même que le besoin de pourvoir les postes qu’ils occupaient jusqu’alors demeure. Parallèlement, des personnels contractuels appartenant au programme « le choix de l’école » auraient été affectés sur certains de ces mêmes postes. C’est par exemple le cas en Seine–Saint-Denis, au collège Jean Vigo d’Épinay-sur-Seine, où les enseignants se sont mis en grève le 14 septembre dernier, pour protester contre le licenciement d’un professeur de maths contractuel en poste depuis 4 ans dans le collège, qui a été remplacé par un contractuel débutant appartenant au « choix de l’école ». Les raisons de cette substitution de personnels expérimentés et dont certains pourraient prétendre à un recrutement en CDI par des personnels débutants demeurent inconnues. Toujours est-il que des parcours personnels se trouvent brisés, des équipes pédagogiques désorganisées, les conditions d’enseignement dans des établissements déjà en difficultés encore davantage détériorées.

Les liens entretenus par l’association « Le choix de l’école » avec le monde de l’entreprise privée ainsi qu’avec le gouvernement actuel posent également question. Ainsi, le « choix de l’école » revendique son financement par de « grands mécènes » — selon l’expression employée par le site internet de l’association — appartenant au monde de l’entreprise et de la finance — du groupe BNP Paribas à la fondation Total Énergies. On trouve au sein de son conseil d’administration du « Choix de l’école » des figures à la croisée du monde économique et politique. Par exemple, son président, M. Laurent Bigorgne, dirige l’Institut Montaigne, un laboratoire d’idées financé par des dons privés défiscalisés émanant de grandes entreprises. M. Bigorgne a par ailleurs déclaré lui-même dans la presse avoir contribué à la conception du programme de M. Emmanuel Macron, alors candidat à la présidence de la République, au cours des années 2016-2017. Son domicile privé a, à la même époque, servi d’adresse légale à l’association loi 1901 « En Marche », mouvement politique lancé par M. Emmanuel Macron. M. Bigorgne est connu pour sa conception de l’avenir de l’Éducation nationale, pour laquelle il souhaite un mouvement de libéralisation, vues qu’il a exprimées publiquement à de nombreuses reprises, en sa qualité de dirigeant de l’Institut Montaigne. Au-delà du cadre hexagonal, il faut encore ajouter que « Le choix de l’école » — originellement nommé « Teach for France » est affilié au réseau « Teach for all », organisation non gouvernementale fondée aux États-Unis, qui compte des affiliés dans plus de 60 pays, et tire son financement de donations de groupes privés.

En définitive, l’examen des modalités du recours à l’association « le choix de l’école » ainsi que de la nature même de cette entité conduisent à brosser un tableau marqué par une grande opacité, une privatisation rampante du service public de l’Éducation nationale, et une remise en cause du principe général de neutralité de celui-ci : autant d’éléments qui apparaissent incompatibles avec la conception républicaine du service public de l’éducation.

Monsieur le député souhaite donc connaître la position de monsieur le ministre sur le partenariat que le ministère de l’Éducation nationale entretient avec « Le choix de l’école ». Il souhaite obtenir les informations nécessaires pour lever toute opacité existante et faire l’entière clarté sur la nature de ce partenariat : données chiffrées précises sur les modalités de recrutement, le nombre d’enseignants recrutés dans le cadre de ces partenariats, leur affectation par académie, par département et par établissement, leur parcours professionnel au sein de l’éducation nationale ; éléments détaillés quant à la formation précise qui est prodiguée à ses personnels, au suivi de leur carrière et au tutorat dont ils bénéficient.

Il souhaite savoir si une évaluation et un bilan pédagogique précis de cette expérimentation et de ses résultats ont été réalisés par les services du ministère de l’Éducation nationale et des différentes académies concernées, et souhaite obtenir ce bilan s’il existe. Il souhaite savoir si et dans quel cadre et pour quelle durée le ministère de l’Éducation nationale envisage de reconduire ce dispositif. Plus généralement, il souhaite savoir si monsieur le ministre compte poursuivre dans la voie d’une privatisation du recrutement, de la formation et de la gestion des ressources humaines de l’Éducation nationale, ou s’il compte prendre toutes les dispositions qui s’imposent pour restaurer dans le plein exercice de ses missions le service public de l’Éducation nationale — recrutement de fonctionnaires pérennes et en nombre suffisant, revalorisation salariale, augmentation des moyens matériels alloués aux établissements.

Image par Wokandapix de Pixabay