J’interpelle Darmanin sur le mur de la honte

Question écrite au gouvernement, posée le 05/10/2021 :

Monsieur le député Bastien Lachaud interroge Monsieur le ministre de l’Intérieur sur l’opération de déplacement des personnes consommatrices de crack, du secteur de Paris Stalingrad vers celui de la porte de la Villette, le vendredi 24 septembre dernier.

Ce vendredi 24 septembre 2021, la préfecture de police de Paris annonçait par un communiqué avoir mis en œuvre une opération d’évacuation des personnes consommatrices de crack dans le secteur de Paris Stalingrad. Au cours de la matinée du 24 septembre, celles-ci étaient déplacées vers la place Auguste Baron et le square de la porte de la Villette, à la limite du XIXe arrondissement de Paris et des villes d’Aubervilliers et de Pantin, dans la circonscription d’élection de M. Bastien Lachaud. Dans la journée du 24, un mur de fortune était édifié pour barrer l’accès au passage Forceval, qui conduit du square de la porte de la Villette à Pantin, et empêcher ainsi les personnes stationnant dans le square de circuler d’un point à un autre. En date du 27 septembre, un campement d’une centaine de consommateurs de drogue s’était constitué dans le square de la porte de la Villette. Quelques installations sanitaires auraient été mises en place, à l’initiative de la préfecture de police de Paris. Des acteurs associatifs seraient également présents sur place. En l’espace de quelques jours seulement, les habitants des quartiers voisins d’Aubervilliers et de Pantin signalent déjà plusieurs incidents liés à la présence des consommateurs de drogue.

Cette opération a provoqué l’indignation et la colère légitimes des habitants d’Aubervilliers, tant du fait de ses modalités que de ses conséquences.

Il est établi que ni les municipalités d’Aubervilliers et de Pantin ni les riverains n’ont été prévenus ou consultés en amont de l’opération. Si le préfet de police de Paris avait évoqué la perspective d’une évacuation vers la place Auguste Baron au début du mois de juillet 2021, dans un courrier adressé à la maire de Paris et rendu public par la presse, la décision effective de mettre en œuvre cette opération et la temporalité de celle-ci n’ont pas fait l’objet de concertations préalables. Un courrier que monsieur le député avait adressé à monsieur le préfet de police, ainsi qu’à madame la maire de Paris, en date du 2 juillet 2021, afin de l’avertir sur les conséquences potentielles d’une telle opération et de dire son opposition à celle-ci, est resté sans réponse. Les différents acteurs ont été mis devant le fait accompli par un communiqué de presse de la préfecture de police de Paris publié le 24 septembre, au moment où celle-ci avait lieu. La formulation dudit communiqué ne peut en outre que susciter l’indignation, puisque l’on y lit que le secteur de la place Auguste Baron serait « sans riverains immédiats » — une forme de méconnaissance ahurissante, ou d’invisibilisation et de mépris volontaire des réalités locales des quartiers voisins d’Aubervilliers et de Pantin, pourtant densément peuplés, mais qui ne semblent pas exister ou ne compter pour rien aux yeux du préfet de police.

Plus largement, la situation qui a conduit à la mise en œuvre de cette opération s’explique par l’incurie au long cours des pouvoirs publics compétents, qui ont failli à agir devant l’installation de points de fixation de la consommation de crack dans le Nord-est parisien. Les consommateurs de crack se sont d’abord regroupés sur le site dit de la « colline du crack », proche de la porte de La Chapelle. Après son évacuation, ils ont investi le secteur voisin de la place Stalingrad. Devant la lassitude des riverains, la mairie de Paris et l’État ont transféré ce marché à ciel ouvert dans un parc public, les jardins d’Éole, le 17 mai 2021. Le 30 juin suivant, les consommateurs de crack ont été délogés de ce parc. Nombre d’entre eux se sont alors regroupés rue Riquet. Le 21 septembre dernier, la Mairie a alors demandé publiquement à l’État de procéder à une nouvelle évacuation, qui s’est donc produite ce 24 septembre. À chaque étape, le point de fixation n’a été que déplacé, sans qu’une solution d’accueil pérenne et de suivi sanitaire et social continu ne soit mise en œuvre par les autorités. Depuis des mois, l’accueil des personnes souffrant de toxicomanie fait l’objet d’un invraisemblable ping-pong entre la ville de Paris et la Préfecture de police et, communiqué après communiqué, sans qu’aucune réponse effective ni même une clarification des responsabilités respectives des différents acteurs ne se dégage. À l’issue de ces différents épisodes, la seule réponse trouvée est manifestement de déplacer une nouvelle fois le problème, à la lisière de l’agglomération parisienne, en un point où l’essentiel du préjudice est reporté sur les habitants d’Aubervilliers et de Pantin.

Les motifs du choix de la place Auguste Baron demeurent entourés d’une grande opacité — pourquoi la porte de la Villette plutôt qu’un autre lieu de l’agglomération parisienne ? Le critère avancé par la préfecture — le lieu serait « sans riverains immédiats » — ne peut justifier une telle décision, parce ce qu’il ne correspond pas à la réalité. En tout état de cause, déplacer les problèmes de Paris aux limites et au-delà du périphérique, vers un secteur de la Seine–Saint-Denis qui connaît déjà de grandes difficultés, ne peut constituer une solution viable. De fait, depuis des années déjà, le quartier de la porte de la Villette et celui des Quatre Chemins connaissent une situation sociale difficile et fragile. Au cours des dernières années, M. Bastien Lachaud a d’ailleurs alerté à de nombreuses reprises à ce sujet le préfet de la Seine–Saint-Denis, ainsi que le ministre de l’Intérieur, le premier ministre et le président de la République, sans qu’aucune mesure substantielle n’ait été prise. Déplacer le centre névralgique de la consommation de crack de Paris vers ce même secteur reviendrait à commettre une injustice flagrante envers les habitants. Ce serait risquer de déchirer un peu plus encore un tissu urbain et social déjà abîmé par la précarité, le mal-logement, l’insécurité. Il n’est pas acceptable de laisser une telle situation s’installer à la porte de la Villette. Aubervilliers et Pantin n’ont pas à subir le déplacement des problèmes de Paris.

C’est pourquoi monsieur le député souhaite apprendre de monsieur le Ministre quelle réponse il compte déployer à la consommation de crack afin de préserver les habitants d’Aubervilliers et Pantin de tout préjudice. Il souhaite connaître les raisons exactes qui ont conduit la préfecture de police de Paris à décider d’une opération consistant à déplacer le point de fixation de la consommation de crack vers la porte de la Villette. Il souhaite connaître les mesures qui seront mises en œuvre pour assurer la sécurité du secteur et garantir la protection des habitants. Il demande à monsieur le Ministre de mettre en place dans les meilleurs délais une solution alternative, prévoyant la mise en place d’un véritable lieu d’accueil dans un lieu approprié. Plus largement, il demande à monsieur le Ministre quelles dispositions le gouvernement compte prendre pour assurer durablement l’accompagnement sanitaire et social des personnes souffrant de toxicomanie sans préjudice pour les riverains.

Lire la réponse, publiée le 19/04/2022 :

La lutte contre le crack constitue une priorité de la préfecture de police. L’action mise en œuvre par les services de police est à la fois une action de voie publique, pour lutter contre l’occupation abusive des espaces et les nuisances qui y sont associées, et une action judiciaire pour lutter contre le trafic et la consommation de produits.

Ainsi, des moyens policiers très importants sont déployés pour lutter contre l’appropriation de l’espace public. Depuis le début de l’année 2021, 268 unités de forces mobiles ont été engagées dans les secteurs concernés par la problématique du crack, soit 6 fois plus que pour l’ensemble de l’année 2020. Au cours de cette période, 576 affaires en lien avec le crack ont été traitées à Paris. 343 individus ont été interpellés pour trafic et 390 personnes appréhendées pour usage. Plus de 4 kilogrammes de crack ont été saisis et 12 lieux de fabrication alimentant le nord-est parisien démantelés.

Sur le secteur Stalingrad/Eole/Auguste Baron, 89 individus ont été déférés devant l’autorité judiciaire, contre 46 pour toute l’année 2020. En matière de lutte contre les réseaux d’importation de cocaïne, auprès desquels les fournisseurs de crack s’approvisionnent, 54 personnes ont été mises en cause en 2021 et 160 kilogrammes de cocaïne ont été saisis. Par ailleurs, 166 opérations de lutte contre l’immigration irrégulière ont été menées sur les secteurs concernés par le crack, donnant lieu à l’établissement de 252 décisions d’obligation de quitter le territoire français (OQTF).

Enfin, la politique pénale du Parquet à l’encontre des consommateurs de crack repose désormais sur des mesures d’injonctions thérapeutiques, en alternative à des poursuites devant le tribunal. 292 procédures d’injonctions thérapeutiques ont été prononcées depuis le début de l’année 2021 par l’autorité judiciaire.

S’agissant de l’opération de déplacement des toxicomanes ayant eu lieu le 24 septembre 2021, il convient dans un premier temps de rappeler que le 30 juin dernier, de façon unilatérale, la maire de Paris a mis un terme au dispositif temporaire consistant à délimiter un espace dans le jardin d’Eole dédié aux consommateurs de crack, sans que ne soit identifiée une autre solution d’accueil.

Les toxicomanes se sont donc installés devant l’entrée du jardin, produisant ainsi des nuisances plus importantes que la situation précédente. L’exaspération importante des riverains et les troubles à l’ordre public engendrés par cette situation ont conduit les services de la préfecture de police, le 24 septembre dernier, à évacuer le site jouxtant le jardin d’Eole. 128 personnes ont été conduites en bus, place Auguste Baron dans le 19ème arrondissement de Paris et ont été invitées à rester dans le parc du square de la porte de la Villette

. Les services de police orientent désormais leur action sur ce site, pour éviter une réimplantation de la population toxicomane sur d’autres secteurs, et évincent de la voie publique les groupes en errance. Cette délinquance connaît une répression importante et complète de la part des services de police. Pour autant, l’action répressive ne peut, à elle seule, suffire à régler la problématique du crack et une solution pérenne doit être trouvée. Une politique coordonnée d’accompagnement en faveur des usagers de crack et des poly-consommateurs en errance doit être mise en place, pour favoriser l’accès de cette population aux aides médico-sociales.