Réforme des pensions et retraites des militaires

         Le 15 janvier dernier, le Conseil Supérieur de la Fonction Militaire (CSFM), à l’instar du Conseil d’Etat, a rendu un avis historiquement critique à l’encontre du projet de réforme des retraites. Fustigeant l’amateurisme du gouvernement, le Conseil a déploré le délai insuffisant de 48h qui lui a été accordé pour analyser un texte approximatif et incomplet. Le Conseil d’Etat a émis la même critique alors qu’il disposait d’un délai de 3 semaines. Ce manque de considération de la part du gouvernement démontre son mépris des corps intermédiaires, comme du Parlement. Le CSFM s’est indigné de l’absence d’un outil de simulation indispensable à la réalisation d’une “analyse exhaustive“.Pire encore, des incertitudes concernent les bonifications, les pensions de réversion, la pension minimale, l’emploi des réservistes, la disparition de la pension à jouissance différée mais surtout le champ d’application de la réforme qui doit être fixé par ordonnance. Cette position réitérée par le DRH du Ministère des armées et le CSFM lors de leur audition en Commission défense ce mercredi 29 janvier confirme d’une part, le caractère injuste et abscons de ce projet de loi et, d’autre part, l’inadaptation de cette réforme à la spécificité militaire. La présidente LaREM de la Commission défense a d’ailleurs elle-même admis cette réalité en déposant de nombreux amendements qui correspondent à nos propositions. Ce revirement confirme notre critique en impréparation du gouvernement ainsi que son mépris des spécificités de la condition militaire, mais également que la particuliarités de certaines professions rend indispensable le maintien des régimes spéciaux.

            En premier lieu, l’application du système par points au calcul des pensions des militaires est rejetée par le CSFM dans la mesure où il appauvrit la majorité des militaires. Il génère des inégalités inadmissibles dans une institution fondée sur l’égalité, le mérite et “l’escalier social“. En effet, la prise en compte de l’ensemble de la carrière engendre une différence de traitement inacceptable entre les officiers issus du rang et ceux sortis des écoles militaires. Ainsi, un militaire du rang ayant atteint le grade de général au terme d’une longue et méritante carrière percevra une pension particulièrement inférieure à celle d’un général venant de Saint-Cyr, par exemple. Cette conséquence n’est que la transposition au plan militaire du mépris gouvernemental pour les classes laborieuses et de son attachement au phénomène de reproduction sociale. Les plus favorisés, qui débutent leur carrière à un niveau de rémunération nettement plus élevé que les personnes défavorisées, demeureront les grands gagnants de cette réforme. En revanche, les militaires du rang qui devront gravir les échelons pour accéder aux fonctions hiérarchiques ne percevront pas une gratification à la hauteur des efforts déployés. Comment peut-on encore croire aux déclarations de la majorité qui encense le caractère redistributif de cette réforme ? Cette religion du ruissellement doit cesser. Le projet de loi entérine les différences de salaires et accroît les inégalités sociales en les perpétuant au moment de la retraite. Ces atteintes aux principes d’égalité et de solidarité sont d’autant plus intolérables dans une institution qui fonde l’avancement de la carrière sur le mérite et le dévouement des militaires.

            L’inclusion des primes dans le calcul des points n’est pas plus appréciée par le CSFM car l’augmentation des cotisations perçues sur ces rémunérations complémentaires[1] entrainera une baisse immédiate du pouvoir d’achat des militaires. Et la détermination discrétionnaire par le gouvernement du montant de ces primes, censées remplacer les différentes bonifications, n’offre aucune assurance de compensation des pertes résultant du passage au point. Mais surtout, et c’est un des points les plus problématiques, cette réforme instillera de l’individualisme dans une institution qui repose sur les valeurs de solidarité et de fraternité indispensables à l’effort collectif. Les cuisiniers comme les officiers d’Etat-major ne bénéficient pas ou peu des primes. Cependant, ils sont indispensables au bon déroulement des campagnes et opérations militaires. Nous ne pouvons donc tolérer de telles disparités dans les pensions et retraites accordées aux militaires en fonction de leur rôle dans l’armée. D’autant plus que cette réforme diminuera l’attractivité de ces métiers et pourrait créer des tensions inutiles entre les différentes fonctions dans l’armée.

            Le système par point est donc inconciliable avec la structure hiérarchisée et progressive de l’armée. Il nie la qualité de rémunération des pensions militaires et s’oppose aux exigences de solidarité et de fraternité nécessaires au bon fonctionnement des armées. Pourtant, enfermé dans sa logique austéritaire, le gouvernement ne semble pas vouloir se limiter à cette remise en cause en profondeur des valeurs et des spécificités militaires, au contraire…

            L’application de l’âge d’équilibre aux pensions et aux retraites des militaires est une autre manifestation de l’incompréhension gouvernementale des besoins des armées. Cette mesure est incompatible avec l’exigence d’efficacité et de compétence des forces armées. L’objectif poursuivi par le recours à l’âge d’équilibre est l’allongement du temps de travail par l’infliction d’une décote aux militaires liquidant leur pension ou leurs droits à retraite avant cet âge pivot. La perte est significative car, comme nous l’indiquait le CSFM en Commission, un adjudant-chef ayant accompli 19 ans de service percevra, avec la réforme, une pension estimée entre 450 et 600€ contre 850€ dans le régime actuel. Elle poussera donc les militaires à travailler plus longtemps pour pouvoir bénéficier d’une pension à taux plein et génèrera un double phénomène de vieillissement et de départ anticipé des personnels les plus qualifiés. Cette mesure est donc d’abord une atteinte intolérable aux droits acquis des militaires comme des civils, mais elle est également aberrante car contraire aux objectifs de jeunesse, d’efficacité et de fidélisation de notre outil de défense. Comment peut-on imaginer envoyer sur le terrain de soldats usés par la multiplication des campagnes et les contraintes exorbitantes auxquelles ils sont assujettis ? L’efficacité de l’armée repose sur la jeunesse de forces opérationnelles. Elle implique une juste rétribution de l’engagement des militaires et un accompagnement dans la reconversion civile. Or, le CSFM a relevé que la perspective de devoir travailler plus longtemps sans bénéficier des avantages liés à la condition militaire incitera les militaires à quitter l’armée précocement pour percevoir une rémunération plus importante dans le civil. Il sera particulièrement difficile de conserver les militaires les plus qualifiés après 7 ans de service. Or, la fidélisation, dans les secteurs techniques et scientifiques notamment, est indispensable à l’exigence de haut niveau de compétence de nos forces armées. Ce que le gouvernement ne semble pas avoir compris car il organise, par le recours à cette mesure d’âge, la fuite vers le civil de nos meilleurs éléments et la réduction de nos capacités opérationnelles.

            Nous partageons l’avis du CSFM sur l’ensemble des points soulevés. Ce projet de loi est imprécis, incomplet et inadapté à la condition militaire. Nous estimons donc, conformément au désir d’une écrasante majorité des français, que le gouvernement ne peut que retirer de projet de régression sociale aux vues des objections partagées par l’ensemble des institutions sollicitées lors de son élaboration (Syndicats, CSFM, associations, Conseil d’Etat…). Car si le régime des pensions et des retraites militaires mérite d’être réformé, il doit l’être de manière à améliorer la condition des militaires et à garantir l’efficacité de nos forces armées. Raison pour laquelle nous nous battrons au Parlement pour faire entendre la voix des militaires face à un gouvernement sourd aux revendications du peuple. Nous contesterons l’ensemble des dispositions qui portent atteinte aux principes et valeurs sur lesquels se fonde l’armée. Et nous défendrons notre programme qui, diamétralement opposé à celui du gouvernement, propose de restaurer le prestige du métier de militaire en garantissant la pérennité de leur régime spécial et en renforçant les avantages qui leur ont été retirés depuis plus de 15 ans (réformes de 2003 et 2010).

            Nous sommes attachés au modèle français d’armée complète et à l’efficacité de notre outil de défense. À la différence du gouvernement, nous sommes conscients que la pension accordée aux militaires antérieurement à l’âge légal de départ en retraite constitue une rémunération différée en compensation de sujétions lié au statut militaire et non un avantage vieillesse. Raison pour laquelle nous souhaitons sanctuariser ce principe et renforcer ce dispositif de gestion des effectifs. Et, reconnaissant la spécificité de la condition militaire et l’engagement dont ils font preuve, nous jugeons nécessaire de revoir le dispositif de départ en retraite des militaires.

            Conformément à notre contre-projet sur les retraites, nous rétablirons l’âge légal de départ à la retraite des militaires antérieur à la réforme de 2003 et alignerons la durée de cotisation sur la durée de service. Nous conserverons le mécanisme de réversion de la pension et de la retraite sans condition d’âge ni de ressource. Nous maintiendrons le système actuel de bonifications permettant une juste rétribution des sacrifices accomplis sans créer d’inutiles inégalités dans le niveau des pensions et des retraites. Enfin, nous exigeons la restauration du droit à jouissance différée de la pension, la prise en compte de la pénibilité et des incapacités lors de la reconversion dans la vie civile ainsi que le maintien et la revalorisation de la pension minimale garantie aux militaires.

            Le financement de l’ensemble de ces mesures n’implique pas une augmentation des cotisations à la charge du ministère des armées comme le prévoit le projet de loi. Il suffit simplement de mettre en œuvre la politique de répartition des richesses que nous pronons dans notre programme et d’adopter les mesures proposées dans notre contre-projet. La seule harmonisation des salaires entre les femmes et les hommes permettrait de combler le prétendu déficit de notre régime de retraite. Et le financement du régime spécial des militaires peut être assuré simplement par l’application du principe de progressivité aux cotisations, au contraire du gouvernement qui organise la soustraction des plus hauts revenus à l’obligation de contribuer à la solidarité nationale.

            Pour garantir la capacité d’action de notre armée et pouvoir la mobiliser à bon escient[2], il est indispensable de la prémunir des logiques austéritaires de la majorité à la solde d’Emmanuel Macron. Le régime spécial des militaires doit être protégé car, comme l’a indiqué le CSFM, il est impossible d’inscrire la spécificité militaire dans un “système valorisant et monétisant exclusivement le temps de travail“. Il est donc temps d’en finir avec les réformes visant à réduire les capacités opérationnelles de l’Etat (disparition des services publics, privatisation des entreprises publiques, réduction constante des ressources de l’Etat…). Notre armée mérite mieux que ces comptes d’apothicaire. Alors reconstruisons notre politique de défense et donnons à nos armées les moyens de leurs nouveaux objectifs.


Vendredi, je prenais la parole en commission des retraites pour défendre la pension militaire, contre le projet du gouvernement qui pénalise les carrières hachées. Voici la vidéo de mon intervention :


[1] De 5% à 11,5% selon l’étude d’impact jointe au projet de loi, p. 158 :

[2] Voir notre livret « Une France indépendante au service de la paix ».