Emmanuel Macron ne recule toujours pas. Le 19 décembre, après une manifestation populaire massive, les retraites restent au programme des réformes du gouvernement : malgré la démission tardive de Delevoye, malgré un nouveau secrétaire d’Etat dont le parcours professionnel chez Auchan fait déjà polémique, malgré l’opposition forte des syndicats et de la population française. Un projet de loi est annoncé pour février, coupant court à la fumeuse concertation, et malgré la volonté initialement affichée par le gouvernement de légiférer après les municipales. François Fillon lui-même brisait les fausses apparences de ce système présenté comme égalitaire et « universel », en le réduisant à un moyen de faire « diminuer le niveau des pensions ». Au-delà des chiffres techniques, des termes technocratiques, chacun.e comprend bien l’enfumage du gouvernement, le décalage entre ce qui est annoncé et la réalité du système.
Et pourtant, la réforme est maintenue. Quelle nécessité pousse le gouvernement à entreprendre ce que Juppé a abandonné en décembre 1995, sous la pression du peuple français descendu dans la rue ?
L’argument classique du problème de financement ne tient pas : de l’argent, il y en a ! Au contraire, nos retraites représentent un juteux pactole de presque 130 milliards d’euros. Nous y sommes. Encore. Toujours. Voilà la raison de la réforme qui vient. Transformer l’actuelle organisation des retraites en un système à points et par capitalisation, financiariser ce qui avant était de l’ordre de la solidarité entre les citoyen.nes, est un processus qui enrichit toujours les mêmes, la poignée de ceux qui se gavent déjà. Les entreprises de fonds d’investissements sont les premières à attendre la réforme de Macron. Pire, elles l’encouragent.
La presse s’est largement fait écho des discussions entre le chef de l’Etat et le PDG de Blackrock, une multinationale spécialisée dans la gestion d’actifs, et notamment de fonds de retraites. Invitée permanente de l’Elysée qui lui a déroulé le tapis rouge, Blackrock a l’oreille du pouvoir, a tel point que Macron a jugé bon de décerner la légion d’honneur au président de sa branche française, Jean-François Cirelli ! Au fil des rencontres ou encore via une note « à destination du gouvernement français », la firme conseille à notre pays de changer de manière de faire avec nos anciens. L’on sait moins que le nouveau « partenaire » officieux qui murmure ses intérêts privés à l’oreille du Président est aussi un des plus gros propriétaires d’entreprises d’énergie fossiles. Or, à ce titre, elle contribue fortement à la pollution de la planète. Le site Blackrock’sbigproblem, regroupant des ONG du type Amazon watch et des mouvements citoyen américains, déclare que « Blackrock owns more coal, oil and gas, and rainforest destruction than any other US compagny. Blackrock contributes more to climat change than almost any compagny on earth». En somme, la compagnie possède plus d’énergie fossile que n’importe quelle autre entreprise américaine, elle est donc l’un des principaux responsables de la destruction des forêts tropicales. Elle contribue massivement au changement climatique.
Alors, quand son patron, Larry Fink, se déplace pour parler “croissance verte” avec notre président, l’affaire est évidente. Voilà la nature des entreprises de fonds d’actifs lorgnant sur nos retraites, symbole à leurs yeux d’actifs à placer, d’argent à faire, de dividendes à distribuer.
Faire confiance aux multinationales pour gérer nos retraites débouche sur deux problèmes majeurs : l’usage des actifs de l’entreprise pour des activités polluantes et la gestion catastrophique de l’argent des fonds de pension par les dirigeants. Le lien entre combat social et bataille écologique apparaît fondamental.
Un exemple de 2002 illustre cette impasse évidente : le scandale ENRON. Cette ancienne entreprise américaine débute son activé dans le gaz naturel dans les années 1980, puis se développe à la fois dans le secteur des matières premières et dans celui des fonds de pension, avant d’être classée en 1999 par le magasine Forbes 7ième plus grosse entreprise des Etats-Unis. Forts de ce prestige, des milliers de salariés décident de confier leurs cotisations retraites à la compagnie, pariant sur la bonne santé de la firme pour maximiser leurs sommes. Or, de nombreux montages illégaux et des fraudes à répétition font couler l’entreprise. Quelques mois avant la faillite, les salarié.es ont l’interdiction de revendre leurs actions, alors que les principaux dirigeants, eux, ne se gênent pas pour le faire. Résultats, les salarié.es perdent un milliard de dollars. Mais ils ne sont pas le seul à pâtir de cette situation. Des syndicats, des salarié.es du public, des enseignants avaient leur fond de pension chez ENRON, et les voient s’évaporer.
Cerise sur le gâteau, ENRON fut le premier donateur de la campagne présidentielle de Georges W. Bush. Macron n’invente donc rien lorsqu’il choisit de devenir l’ordonnateur des appétits du privé, quitte à sacrifier l’intérêt des salarié.es, celui du peuple français et celui de la planète.
Aujourd’hui, en France, une double question se pose : vers quels actifs seraient orientés les flux monétaires de la retraite par capitalisation ? Les fonds de pensions sont-ils des placements sûrs à moyen terme ?
On l’a vu, en cas de crise financière, de faillite, les retraites des salarié.es sont en danger. Et il y a fortement à craindre que les fonds de pension servent un système insoutenable écologiquement. L’instauration d’une retraite par capitalisation serait bénéfique pour des entreprises engagées dans le secteur des énergies fossiles. Ainsi, cette réforme, en plus d’être inégalitaire, de repousser l’âge de départ à la retraite, d’appauvrir nos anciens et de servir le capital, comme si tout ca ne suffisait déjà pas, participe à la destruction de la planète. Se battre contre la capitalisation voulue par Macron, contre le système par points qui s’en inspire, c’est défendre un autre modèle de société, où la nécessaire transition écologique est possible. L’enjeu est à la fois sur la qualité de nos retraites mais aussi sur la possibilité future de pouvoir couler de vieux jours sur une planète vivable.
Plus largement, c’est toute une idéologie anti-écologique que la réforme de Macron perpétue. Travailler plus va à l’encontre d’une économie écologiquement soutenable, en favorisant une logique productiviste. Au contraire, les progrès de la technique imposent d’aller vers une réduction du temps de travail. Enfin, la retraite par points brise la solidarité du système actuel. Or nous en avons besoin pour penser la résilience des systèmes humains. Les retraites et l’écologie sont liées, que le gouvernement accepte de le voir ou non. Il est nécessaire de considérer simultanément nos politiques industrielles, notre politique sur les retraites et la transition écologique. Retirer la réforme est le premier pas vers un système de retraites réellement solidaire et écologique. Pour que s’ouvre un avenir radieux, pour que chacun ait le droit à de vieux jours heureux.
Le 9 janvier, tout le monde dans la rue !