J’interroge F. Vidal sur la télésurveillance des examens

Avec le confinement, les initiatives de télésurveillance des examens de l’enseignement supérieur se sont multipliés de façon désordonnée. Pourtant les solutions utilisées posent de nombreux problèmes en termes d’égalité d’accès aux examens, de respect de la vie privée des étudiants, de sécurité des données informatiques, et de privatisation du service public de l’enseignement.

Question écrite posée le 15/09/2020 :

M. Bastien Lachaud interroge Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, sur la mise en place de la télésurveillance d’examens. Suite à la crise sanitaire liée à la pandémie de covid-19, les universités et établissements d’enseignement supérieur ont dû fermer leurs portes prématurément et pratiquer un enseignement à distance.

Dans ce cadre, les examens de fin d’année ont été, pour certains, organisés à distance avec la mise en place d’une « télésurveillance ». Ainsi, selon des témoignages publiés dans la presse, il a été envisagé dans l’université Paris Descartes « une obligation de surveillance de l’étudiant, soit via visioconférence, soit via l’installation d’un logiciel sur l’ordinateur de l’étudiant, qui permet de le surveiller grâce à la reconnaissance faciale mais aussi d’empêcher l’accès aux autres documents de l’ordinateur ».

Cette pratique pose question à plus d’un titre.

Au titre de l’égalité d’accès des étudiants aux examens de la filière dans laquelle ils sont inscrits, car nombre d’étudiants n’ont pas d’ordinateur personnel, encore moins muni de webcam, ou n’ont pas de connexion internet personnelle, ou celle-ci ne comporte pas suffisamment de débit pour un tel usage. Comme le relève le Défenseur des droits, 500 000 personnes sont en incapacité d’accéder à un réseau internet depuis leur domicile et 19 % des Français n’ont pas d’ordinateur à domicile. Or, dans un cas normal, c’est l’université qui fournit et le matériel de composition, afin d’anonymiser les copies et de garantir l’égalité de traitement des étudiants.

Les universités ne fournissant pas le matériel aux étudiants qui n’en auraient pas, comment ceux-ci sont-ils censés composer leurs examens ? Ainsi, la CNIL rappelle que, s’agissant de leurs données personnelles, dont le traitement est soumis au RGPD, le consentement de la personne à leur utilisation doit être libre et éclairé, c’est-à-dire que la personne ne doit pas être exposée à des conséquences négatives en cas de refus (l’impossibilité de valider son examen par exemple).

Au titre du respect de la vie privée, puisque certains logiciels de télésurveillance impliquent de scanner à 360 degrés la pièce où les étudiants composent et permettent de filmer la personne en train de composer, et par analyse faciale, détecter les mouvements suspects. Mais ils filment également l’environnement personnel du domicile qui constitue des éléments de vie privée.

Cela peut être d’autant plus intrusif que le logement étudiant est souvent petit, sans espace spécifiquement dédié au travail, où toute la vie privée d’une personne tient dans une seule pièce. Les logiciels de surveillance sonore impliquent que l’étudiant est en capacité de s’isoler dans une pièce sans bruits, ce qui n’est pas possible dans toutes les familles. D’autres étudiants se sont vus demander l’accès à leur messagerie mail, ou à leurs réseaux sociaux, au mépris complet de leur droit à la vie privée.

Des logiciels d’oculométrie, surveillance des mouvements des yeux, ont été envisagés à l’université Paris II (Panthéon-Assas), avant que l’université n’y renonce suite au tollé suscité par cette annonce. L’emploi de ces technologies vise à empêcher la triche aux examens.

Toutefois, la CNIL souligne dans un avis que certaines techniques sont disproportionnées au regard de l’objectif. Par exemple, la surveillance vidéo en temps réel pendant la durée de l’examen et la prise de photographies ou de flux vidéo ou sons de manière ponctuelle ou aléatoire sont jugées proportionnées par la CNIL. En revanche, la prise de contrôle à distance de l’ordinateur personnel de l’étudiant et les dispositifs de surveillance reposant sur des traitements biométriques sont jugés disproportionnés.

Au regard de la privatisation du service public, puisque les universités sous-traitent à des entreprises privées l’élaboration de logiciels de surveillance des examens. Le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche a publié en mars 2020 une série de fiches ayant pour but d’accompagner les établissements dans la gestion des conséquences du covid-19 sur l’année universitaire. Parmi elles, la fiche n° 6 « Évaluer et surveiller à distance » indique que « les examens écrits nécessitent une télé-surveillance particulière qui permet de vérifier l’identité de l’étudiant et d’éviter les fraudes. Ils nécessitent donc un recours à des services de télésurveillance ». Le document recommande ensuite aux établissements une liste de fournisseurs de services « qui ont l’habitude de travailler avec des établissements d’enseignement supérieur ». Le ministère y fait la promotion d’acteurs privés.

Ainsi, les examens ne sont plus de simples contrôles de connaissance en vue de l’obtention d’un diplôme, mais un marché. Alors que les universités publiques manquent structurellement de moyens, que nombre de leurs personnels sont précaires et sous-payés, que nombre de leurs locaux sont vétustes, des sommes considérables sont engagées pour ces marchés, se comptant en millions d’euros par université.

Au titre de la sécurité informatique des logiciels utilisés, puisque ceux-ci sont extrêmement intrusifs dans les ordinateurs des étudiants. Ceux-ci ayant rarement plusieurs ordinateurs, c’est toute la vie privée des personnes qui est potentiellement atteinte par ces logiciels. Il est impératif que les données collectées dans ce cadre soient parfaitement sécurisées et ne puissent faire l’objet d’aucune fuite ou piratage. Ainsi, le contrôle d’identité via la photographie d’une pièce d’identité permet la collecte de données personnelles cruciales, qui si elles faisaient l’objet d’une fuite accidentelle, pourrait porter préjudice aux personnes concernées. Il est également impératif de garantir qu’aucune autre utilisation ne soit faite des données collectées.

Aussi M. le député souhaiterait savoir quelles mesures sont prises afin de garantir aux étudiants l’égalité de traitement et le libre accès aux examens, particulièrement quand ils n’auraient pas de matériel informatique personnel.

Il souhaiterait également savoir quelles mesures ont été prises pour garantir que les solutions techniques utilisées sont bien proportionnées à l’objectif, ont respecté le RGPD et les recommandations de la CNIL et n’ont pas donné lieu à des pratiques discriminatoires des élèves.

Il souhaiterait savoir quelle garantie ont les étudiants de la cybersécurité des données collectées.

Il voudrait savoir quelle garantie les étudiants peuvent avoir que leurs données sont stockées en France et sur des serveurs de droit français.

Il souhaiterait savoir combien d’argent exactement a été dépensé afin de mettre en place cette télésurveillance depuis mars 2020.

Plus largement, il souhaite savoir ce que le ministère entend faire pour éviter la fuite en avant sécuritaire, intrusive et discriminante que constitue le recours systématique aux technologies numériques.