L’accès à l’eau est fondamental pour la vie humaine. C’est un droit fondamental, portant sur un bien commun, qu’il faut protéger contre la prédation.
La journée réservée de la France insoumise à l’assemblée nationale aura lieu le 1er février 2018. La journée réservée, ou « niche parlementaire » correspond aux journées qui parmi les semaines d’initiative parlementaire, sont réservées aux groupes d’opposition.
En effet, l’ordre du jour de l’assemblée nationale est partagée entre l’initiative gouvernementale, et l’initiative parlementaire. Les journées d’initiative parlementaire sont réparties au pro rata du nombre de députés inscrits dans les différents groupes. Ce qui veut dire… que la majorité de l’initiative parlementaire revient donc à la majorité, donc encore des heures de délibération parlementaire pour les projets des marcheurs.
Pour un groupe comme la France Insoumise, avec 17 députés, il y a donc une seule journée par an où nous pouvons inscrire des textes à l’ordre du jour, et donc débattre des propositions de notre programme ! Nous avons donc le droit à 3 séances dans cette journée, une le matin, une le midi, une dernière le soir. Et si un texte inscrit à l’ordre du jour n’a pas le temps d’être débattu en partie ou en totalité, tant pis ! La journée est terminée, et il faut attendre la journée dédiée suivante pour éventuellement terminer… l’année suivante.
Le 1er février sera donc un rendez-vous important. J’ai co-rédigé et je serai rapporteur de la loi sur le droit à l’eau. Ce droit est absolument essentiel, car il est indispensable pour garantir la dignité des personnes. Nous l’avons donc mis dans notre première niche parlementaire.
Nous avons choisi de proposer une révision constitutionnelle, car c’est le seul moyen pour que ce droit soit intouchable, ou presque. Pour que chacun·e puisse s’en prévaloir et le réclamer. Pour en garantir son effectivité, et faire en sorte qu’il ne reste pas purement déclaratif. Car le droit à l’eau existe déjà dans la loi ordinaire… manifestement insuffisant.
Voyez plutôt l’article L. 210-1 du code de l’environnement : « L’eau fait partie du patrimoine commun de la Nation. Sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, sont d’intérêt général. Dans le cadre des lois et règlements ainsi que des droits antérieurement établis, l’usage de l’eau appartient à tous et chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ».
Les seules conditions économiquement acceptables par tous sont la gratuité ! Or, cela n’est écrit nulle part dans la loi, si bien que aujourd’hui les régies publiques ne peuvent pas proposer la gratuité des premiers litres indispensables à la vie et à la dignité !!
En conséquence, l’eau ne peut être qu’un service public. Car seul le service public peut faire une taxation socialement et écologiquement différenciée, afin de garantir son accès aux personnes physiques, préserver la ressource, et pénaliser les mésusages.
PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
visant à faire de l’accès à l’eau un droit inaliénable,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mesdames et Messieurs
Bastien LACHAUD, Jean‑Hugues RATENON, Mme Bénédicte TAURINE, M. Loïc PRUD’HOMME, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Éric COQUEREL, Alexis CORBIERE, Caroline FIAT, Michel LARIVE, Jean‑Luc MELENCHON, Danièle OBONO, Mathilde PANOT, Adrien QUATENNENS, Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, François RUFFIN,
députés.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L’eau est indispensable à la vie. Elle est indispensable à la dignité humaine. Son accès inconditionnel doit être un droit. Or, le droit à l’eau, n’existe pas à l’heure actuelle dans le droit français, en tant que tel, comme un droit fondamental. Diverses dispositions permettent un accès à l’eau y compris pour les personnes en situation de précarité, mais le droit à l’eau n’est pas proclamé par la Constitution. En conséquence, sa captation par le privé mène à sa privation effective pour les plus démunis ([1]). Pourtant, le droit à l’eau est présent dans le droit international par lequel la France est engagée. La présente proposition de révision constitutionnelle vise à mettre en conformité la Constitution française au regard du droit international, en y inscrivant le droit à l’eau comme un droit de l’Homme fondamental, car la législation française, trop faible, ne confère pas un caractère universel effectif à son accès.
En effet, en 2000, l’assemblée générale des Nations unies déclare que « le droit à l’eau pure est un droit de l’Homme fondamental ». Depuis 2002, le droit à l’eau figure implicitement dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC 1966). Ce droit à l’eau est reconnu au plan international comme étant un droit fondamental (article 11 du Pacte ‑ Observation générale n° 15). La déclaration de Johannesburg a étendu, lors du Sommet mondial de 2002 pour le développement durable, ce droit à l’assainissement.
Le 28 Juillet 2010, dans une résolution, l’assemblée générale de l’ONU a reconnu « l’importance que revêt l’accès équitable à une eau potable salubre et propre et à des services d’assainissement, qui fait partie intégrante de la réalisation de tous les droits de l’Homme ». Cette résolution, adoptée à 122 voix « pour » et 0 « contre », consacre le droit d’accès à l’eau potable comme un « droit fondamental, essentiel au plein exercice du droit à la vie et de tous les droits de l’Homme ». Par ailleurs, nous pouvons noter que la Convention de 1979 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes stipule dans son article 14 que « les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans les zones rurales […] et, en particulier, ils leur assurent le droit : de bénéficier de conditions de vie convenables, notamment en ce qui concerne le logement, l’assainissement, l’approvisionnement en électricité et en eau ». La Convention internationale relative aux droits de l’enfant (1989) aborde également le sujet dans son article 24 : « les États parties reconnaissent le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible […]. Les États parties s’efforcent d’assurer la réalisation intégrale du droit susmentionné et, en particulier, prennent les mesures appropriées pour : lutter contre la maladie et la malnutrition […] grâce notamment […] à la fourniture d’aliments nutritifs et d’eau potable ». Les Objectifs du développement durable, ratifiés en septembre 2015 par les membres de l’ONU, se donnent pour mission de « garantir l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau » (objectif numéro 6).
Ratifié par 16 pays et entré en vigueur en août 2005, le Protocole sur l’eau et la santé, issu de la Convention de 1992 (signé et approuvé par la France) sur la protection et l’utilisation des cours d’eau transfrontaliers et des lacs internationaux, dispose dans ses articles 4 à 6 que les parties « prennent, en particulier, toutes les mesures appropriées pour assurer un approvisionnement adéquat en eau potable salubre », « un accès équitable à l’eau, adéquat du point de vue aussi bien quantitatif que qualitatif, devrait être assuré à tous les habitants ; notamment aux personnes défavorisées ou socialement exclues » et « poursuivent les buts suivants : l’accès de tous à l’eau potable ; l’assainissement pour tous ». En novembre 2016, la Slovénie est le premier pays d’Europe à consacrer le droit d’accès à l’eau et à sa non‑privatisation dans sa Constitution. Ainsi, le Parlement slovène a choisi, à l’unanimité, d’introduire l’article suivant (traduit en français) : « L’approvisionnement en eau de la population est assuré par l’État via les collectivités locales, directement et de façon non lucrative. Les ressources en eau sont un bien géré par l’État. Elles sont destinées en premier lieu à assurer l’approvisionnement durable en eau potable de la population, et ne sont à ce titre pas une marchandise ».
Si l’eau est effectivement un bien commun et un droit fondamental, peut‑elle être confiée à des intérêts privés ? Peut‑elle être considérée comme une marchandise comme une autre, et source de profit et de spéculation ? Le peuple slovène a considéré que non, et par ses représentants, est devenu le quinzième au monde et le premier européen à inscrire le droit à l’eau potable dans sa constitution et à en interdire formellement toute forme de privatisation.
D’autres pays d’Afrique et d’Amérique Latine ont également pris la question au sérieux. L’article 4 de la Charte des eaux du fleuve Sénégal, signée par la République du Mali, la République islamique de Mauritanie et la République du Sénégal indique : « les principes directeurs de toute répartition des eaux du Fleuve visent à assurer aux populations des États riverains, la pleine jouissance de la ressource, dans le respect de la sécurité des personnes et des ouvrages, ainsi que du droit fondamental de l’homme à une eau salubre, dans la perspective d’un développement durable ». En Uruguay, en 2004, 64 % de la population a adopté par référendum un amendement à la Constitution : l’inscription du droit à l’eau en tant que droit de l’Homme. La Constitution équatorienne de 2008 présente l’eau comme un droit humain pour la vie humaine et pour la consommation (art. 318). Au droit à l’eau s’ajoute un droit de l’eau (de l’article 71 à 74) où la nature est considérée comme un sujet de droit (« la nature ou Pachamama, où se reproduit et se réalise la vie, a droit au respect intégral de son existence et du maintien et de la régénération de ses cycles vitaux », art.71). Ce cadre définit l’eau comme une ressource stratégique et d’usage public (art. 318), sur laquelle l’État garde un droit d’administration, de régulation, de contrôle et de gestion (art. 313 ; 314). Ce droit désigne l’État comme responsable du respect de l’accès à l’eau (art. 3 ; 12 ; 13), de l’assainissement de l’eau (art. 314), du respect de l’écosystème et du cycle de l’eau (art. 411). L’eau est alors présentée comme un bien essentiel pour le développement et pour la souveraineté alimentaire et forme partie des politiques de redistribution et de la lutte contre la concentration des terres (art. 281 ; 282).
Ainsi, de nombreux pays ou instances régionales et internationales se sont dotés de textes consacrant le droit d’accès à l’eau pour toutes et tous. Il est urgent que la France rejoigne ce mouvement et décide de consacrer également dans sa Constitution le droit à l’eau.
Cette proposition de loi constitutionnelle est issue du constat que le droit français est à l’heure actuelle insuffisant pour atteindre ces objectifs, et faire du droit à l’eau un droit fondamental, avec les garanties qu’un tel statut confère. Le droit français reconnaît pourtant le droit à l’eau à travers l’article L. 210‑1 du code de l’environnement : « L’eau fait partie du patrimoine commun de la Nation. Sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, sont d’intérêt général. Dans le cadre des lois et règlements ainsi que des droits antérieurement établis, l’usage de l’eau appartient à tous et chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ». La loi du 30 décembre 2006 introduit dans son deuxième alinéa la notion de droit à l’eau. Toutefois, le code de l’environnement ne précise pas dans cet article l’ampleur du droit à l’eau ainsi déclaré. En effet, le droit à l’eau peut se comprendre de plusieurs façons.
Premièrement, le droit à l’eau s’envisage au travers d’un accès sans entrave. Cela signifie en premier lieu que toute personne doit avoir accès à l’eau potable indispensable pour son alimentation et son hygiène : ce que le code de l’environnement reconnaît mais précise comme étant « dans des conditions économiquement acceptables par tous », ce qui laisse entendre que le prix doit être abordable y compris pour les personnes modestes, mais ne dit rien des personnes sans aucune ressource. La loi « Brottes » du 15 avril 2013 interdit les coupures d’eau pour cause de factures impayées, ce qui semble également consacrer ce droit à l’eau, au moins négativement dans le non‑empêchement d’accéder à la ressource. Mais celle‑ci ne vise pas à reconnaître à chaque individu son droit absolu d’accéder à la ressource, elle interdit seulement à ses marchands de les en priver illégitimement. Cela est traduit dans l’article L. 115‑3 du code de l’action sociale et des familles et confirmé par la décision du Conseil constitutionnel du 8 avril 2015 (décision n° 2015‑470 QPC du 29 mai 2015), sur le fondement des alinéas 10 et 11 du Préambule de la Constitution de 1946 et de l’objectif de valeur constitutionnelle de « la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent ».
Ainsi, le droit à l’eau est reconnu indirectement, en tant qu’il est adossé à la possibilité d’un logement décent. Le Conseil constitutionnel précise dans sa décision (cons. 7) : « qu’en interdisant aux distributeurs d’eau d’interrompre la distribution d’eau dans toute résidence principale tout au long de l’année pour non‑paiement des factures, le législateur a entendu garantir l’accès à l’eau pour toute personne occupant cette résidence ; qu’en ne limitant pas cette interdiction à une période de l’année, il a voulu assurer cet accès pendant l’année entière ; qu’en prévoyant que cette interdiction s’impose quelle que soit la situation des personnes titulaires du contrat, il a, ainsi qu’il ressort des travaux préparatoires de la loi du 15 avril 2013 susvisée, entendu s’assurer qu’aucune personne en situation de précarité ne puisse être privée d’eau ; que le législateur, en garantissant dans ces conditions l’accès à l’eau qui répond à un besoin essentiel de la personne, a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent ». Le code de l’environnement ainsi que le code de l’action sociale et des familles permettent donc un droit à l’eau, du moins théorique. Mais ces codes demandent à être complétés. Car, dans les faits, si au lendemain de la Libération notre législation structure et organise un service public dont les revenus devaient suffire à sa fourniture, force est de constater qu’aujourd’hui ces revenus se sont mués en « rentes » ([2]) versées à des sociétés peu scrupuleuses des droits des usagers. Ainsi, depuis l’intervention de la loi « Brottes » il y a 4 ans, 19 jugements condamnent les filiales locales, les sociétés privées gestionnaires du service ayant coupé ou réduit l’eau au sein de foyers dans l’incapacité de payer leur facture. Il ressort des procès contre les coupures illégales ([3]) que, lorsqu’elles sont plongées dans l’urgence vitale de rétablir l’eau, les familles les plus démunies ne trouvent aucun arrangement avec le gestionnaire et sont contraintes d’emprunter à des proches ou, en désespoir de cause, de solliciter les associations pour les aider à régler la facture (augmentée des frais de coupure et de rétablissement). Pour les sociétés distributrices, il reste plus rentable de perdre un procès de temps en temps, suite à une coupure d’eau illégale, que de respecter la loi.
Si le Conseil constitutionnel reconnaît le droit à un logement décent comme un objectif à valeur constitutionnelle (OVC), et inclut l’accès à l’eau potable dans la définition du logement décent, le droit à l’eau n’est pas défini comme un droit constitutionnel à part entière. Plus encore, l’objectif à valeur constitutionnelle défini par le Conseil constitutionnel n’équivaut pas à un droit qu’il est possible de mobiliser autrement qu’en question prioritaire de constitutionnalité (QPC). La présente proposition de loi constitutionnelle se justifie donc dans le but d’inscrire dans le bloc constitutionnel ce qui doit constituer un droit fondamental.
Le droit à l’eau peut également signifier en second lieu la nécessité de garantir l’accès à une ressource disponible tant quantitativement que qualitativement. Il convient en ce sens d’encadrer les usages qui pourraient restreindre ou limiter l’accès à la ressource potable, y compris industriels ou agricoles. Ainsi, le droit à l’eau potable pourrait ne rester que théorique si la ressource est rendue rare par un usage excessif, problématique par une pollution, ou irrégulière par un non‑respect des cycles naturels ne permettant pas le renouvellement de la ressource. Le droit à l’eau inclut la protection des cycles naturels, par toutes les mesures nécessaires pour garantir l’équilibre climatique et le renouvellement des ressources en eau potable. Elle doit également intégrer l’interdiction de sa pollution et de sa raréfaction au profit des usages privés.
Enfin, le droit à l’eau signifie en troisième lieu un accès matériel effectif des populations à la ressource en eau potable. La jurisprudence du Conseil constitutionnel consacre le droit à l’eau comme un corollaire du droit à un logement décent. Mais cela ne dit rien des personnes déjà privées de tout logement, personnes en situation d’extrême nécessité, de domicile précaire ou temporaire : comment peuvent‑elles accéder à l’eau indispensable à leur alimentation et à leur hygiène en l’absence de systématisation de fontaines, de toilettes et de bains‑douches publics ? L’interdiction des coupures d’eau ne suffit pas à rendre réel le droit à l’eau en l’absence d’obligation faite d’avoir des points d’eau urbains accessibles et gratuits à toute personne ayant besoin d’eau : qu’il s’agisse de passants déshydratés ou de personnes n’ayant pas de domicile fixe. L’effectivité du droit à l’eau demande la disponibilité de points d’eau en dehors d’un abonnement, sans entrave et sans aucune condition. De même, l’existence de toilettes publiques gratuites indispensables à l’hygiène élémentaire, doit être inclue dans le droit à l’eau.
Plus encore, si les coupures d’eau sont interdites par le code de l’action sociale et des familles, il ne dit rien des factures impayées et de la persistance d’une dette. Or, si réellement l’eau est un droit, il ne peut pas être conditionné dans son accès à une condition économique, fût‑elle modique. Seule la gratuité de l’eau, dans un volume correspondant à ce qui est nécessaire à la vie et à la dignité, serait à même de garantir un droit à l’eau effectif, indépendamment des ressources financières des personnes. Ainsi, la gratuité est une condition de l’effectivité du droit à l’eau, et donc une conséquence nécessaire de sa reconnaissance comme droit fondamental. Pourtant, la notion de gratuité de l’eau indispensable à la vie et à la dignité n’apparaît pas encore dans le droit français.
Ce droit à l’eau doit se traduire par des mesures effectives, prises par l’État et financées par lui, pour développer et entretenir les infrastructures permettant la jouissance effective de l’eau. Cette injonction ne peut que résulter de l’inscription du droit à l’eau dans le bloc constitutionnel, tout autre niveau de norme étant insuffisant.
Ainsi, nous considérons que le code de l’environnement dans sa rédaction actuelle est insuffisant pour consacrer un droit effectif à l’accès à l’eau potable. Cette question est une nécessité politique. En effet, l’eau est indispensable à la vie humaine et un axe majeur de la transition écologique. Cette proposition de révision constitutionnelle vise donc à consacrer le droit à l’eau comme un droit fondamental reconnu en tant que tel par la constitution. Son insertion dans la Charte de l’environnement de 2004 marque notre volonté de donner à cette charte toute l’importance et toute la place qu’elle mérite. Par la décision du 3 octobre 2008, « Commune d’Annecy » (arrêt du 3 octobre 2008 n° 297931), le Conseil d’État a pleinement reconnu la valeur constitutionnelle de la charte. En adossant à la Constitution une Charte de l’environnement, le législateur a nécessairement entendu ériger le droit à l’environnement en « liberté fondamentale » de valeur constitutionnelle. Considérant à juste titre « que l’environnement est le patrimoine commun des êtres humains », à l’heure de l’urgence écologique, rien ne nous apparaît plus impératif que l’application concrète de ses articles et notamment de l’article premier : « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ». L’eau, au premier chef, constitue une partie indispensable de ce patrimoine commun de l’humanité, et doit donc être protégée comme ressource, et accessible inconditionnellement à toute personne. Une affirmation d’une telle importance doit être inscrite explicitement dans un texte à valeur constitutionnelle.
Il s’agit par ces dispositions de permettre l’effectivité du droit à la quantité d’eau indispensable à la vie et à la dignité, c’est‑à‑dire l’accès pour toutes les personnes physiques, présentes sur le territoire, à suffisamment d’eau pour pouvoir satisfaire les exigences d’hydratation, d’alimentation et d’hygiène, et ce de façon gratuite. Le droit à l’eau ne peut concerner que les personnes physiques, non les personnes morales ou les entreprises privées : celles‑ci ne peuvent prétendre au droit à l’eau pour exiger un accès spécifique. Pour les personnes physiques, les usages autres que ceux décrits dans le texte ne sont pas concernés par l’usage gratuit de l’eau, ainsi, s’il est primordial de garantir l’accès à l’eau, cela implique une sanction des gaspillages. Cet article permet d’instaurer une tarification progressive sur l’eau en incluant la gratuité des quantités indispensables à une vie digne et en permettant de pénaliser les mésusages et les gaspillages. La présente proposition de loi constitutionnelle appelle donc à être complétée par une loi ordinaire précisant ces dispositions, incluant les obligations faites aux collectivités territoriales et à l’État afin de garantir l’effectivité du droit à l’eau en termes de fontaines et de douches publiques.
Davantage que la vie humaine, les équilibres climatiques sont intrinsèquement liés au cycle de l’eau : l’intérêt général humain de conserver sur terre un climat compatible avec ses conditions de vie commande de préserver la ressource en eau, dans le respect de sa cyclicité naturelle. Ainsi, nul ne doit pouvoir s’approprier à des fins de commerce la ressource en eau et privatiser sa distribution et son assainissement dans le but d’en générer des profits autres que ceux nécessaires aux investissements directs contribuant au bon fonctionnement et à l’amélioration des services rendus. Puisque l’eau est un bien commun, sa gestion ne peut être que publique, décidée démocratiquement, soumise à l’impératif de l’intérêt général, la ressource protégée par l’État, et son accès constituer un service public. Ainsi l’approvisionnement, tout comme l’assainissement, ne peut être assuré que par l’État ou les collectivités territoriales, et ce service ne peut être délégué à une entreprise privée. La délibération de la présente révision constitutionnelle permettra à la représentation nationale, puis au peuple français, de décider par référendum d’inscrire dans son texte fondamental le droit à l’eau. La gestion publique de l’eau permet une délibération publique sur la manière de gérer la ressource. En conséquence, le texte précise que comme tout service public, la gestion publique de l’eau doit être non lucrative, car son objectif n’est pas de dégager des bénéfices, mais de rendre effectif l’accès à l’eau, en conformité avec le droit international.
Cette proposition de loi constitutionnelle est présentée en application et en cohérence avec notre programme l’Avenir en Commun (Point 9 : La République garante des biens communs) et notre livret thématique Eau bien commun. La présente proposition de révision constitutionnelle est constituée d’un article unique visant à inscrire dans le bloc constitutionnel le droit à l’eau, sous la forme d’un article additionnel à la Charte de l’environnement qui s’insérerait après l’article 2.
PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
Article unique :
Après l’article 2 de la Charte de l’environnement, il est inséré un article 2‑1 ainsi rédigé :
« Art. 2‑1. – L’eau est un bien commun de l’humanité. Toute personne a le droit fondamental et inaliénable d’accéder, gratuitement, à la quantité d’eau potable indispensable à la vie et à la dignité, prioritairement à tout autre usage. L’approvisionnement en eau potable des habitants, et son assainissement, sont assurés exclusivement par l’État ou les collectivités territoriales, directement et de façon non lucrative ».
([1]) Rapport mondial 2015 de l’ONU sur la mise en valeur des ressources en eau, L’eau pour un monde durable ; Portail : http : //www.unesco.org/new/fr/natural‑sciences/environment/water/wwap/wwdr/2015‑water‑for‑a‑sustainable‑world/
([2]) E. Geffray, Rapporteur public, concl. sur Arrêt CE, Assemblée, 8 avril 2009, n°271737, 271782, Compagnie Générale des Eaux c/ Commune d’Olivet.
([3]) Association France‑Libertés, Portail « en justice » : https ://www.france‑libertes.org/fr/en‑justice‑contre‑les‑coupures‑deau/