Quelle politique pour l’accessibilité de l’espace public ?

Question écrite au gouvernement, posée le 26/06/2018 :

M. Bastien Lachaud interroge Mme la secrétaire d’État, auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées, sur la question de l’accessibilité des personnes en situation de handicap. En 2015, on dénombrait 12 millions de personnes en situation de handicap en France. Actuellement l’accessibilité aux personnes en situation de handicap n’est pas à la hauteur.

Qu’il s’agisse des écoles, des commerces, des réseaux de transport public, des lieux culturels ou encore des lieux de cultes, les personnes en situation de handicap sont victimes d’une discrimination au quotidien pour ce qui est de l’accessibilité, en plus de la discrimination sociale et relationnelle dont ils sont par ailleurs victimes. En France, la moitié des cabinets médicaux sont inaccessibles.

Quant aux stations de métro, seulement 3 % d’entre elles sont accessibles en Ile-de-France. La loi handicap du 11 février 2005 pour l’égalité des chances atteste que « les établissements existants recevant du public et les transports collectifs ont dix ans pour se mettre en conformité avec la loi ». Mais malheureusement via l’ordonnance du 26 septembre 2014, face au retard des établissements en la matière, ces belles paroles ont été repoussées de 2015 à 2025 et les normes d’accessibilité ont été allégées. Dans la continuité de ces faits, la loi ELAN réduit la part de logements neufs accessibles aux personnes en situation de handicap à 10 % contre la norme de 100 % depuis la loi handicap de 2005.

Il s’agit d’une « grave régression sociale » selon les associations de défense des personnes en situation de handicap. Le parc HLM actuel ne permet pas de répondre à toutes les personnes en situation de handicap et la loi ELAN ne fera qu’amplifier cet état de fait. Pourtant, le candidat Macron avait affirmé que le handicap était l’une de ses « priorités » et dénonçait « une accessibilité encore théorique : 40 % des établissements publics sont en retard dans les travaux d’accessibilité ».

Alors pourquoi ce changement de cap ?

Par ailleurs, l’accessibilité ne concerne pas seulement les établissements mais tout l’espace public. En effet, les mobiliers urbains restent manquants, les obstacles trop présents et les trottoirs pas assez stabilisés. Cela a pour effet un sentiment d’inconfort et renforce la perte du peu d’autonomie dont certains disposaient : ces personnes doivent avoir recours à un aidant pour leurs déplacements quotidiens. Une personne en situation de handicap n’est pas plus que quiconque réductible à son handicap et ne devrait pas se retrouver dans des situations quotidiennes où sa dignité est remise en cause.

Tony Estanguet, le co-président du comité d’organisation Paris 2024 affirme que « l’accessibilité pour tous, l’accès à la pratique sportive pour les personnes en situation de handicap » évoluera positivement grâce aux Jeux paralympiques de 2024. Mais à quoi servent les lois depuis 2005 sur les droits des personnes en situation de handicap s’il faut attendre un événement comme les JO de 2024 pour relancer la question et enfin agir ? Et encore, il faudrait donc attendre 6 ans avant une potentielle réalisation de ces promesses d’une meilleure accessibilité.

Dans un tel contexte, pourquoi mettre en avant les Jeux paralympiques alors qu’au quotidien les besoins des personnes en situation de handicap sont ignorés ? Quand donc l’ensemble des architectes du cadre bâti recevront enfin une formation initiale et continue obligatoire à l’accessibilité pour tous ?

Il souhaite donc savoir, après le fiasco de la loi ELAN pour l’accessibilité au logement pour les personnes en situation de handicap, ce qui sera fait prochainement en matière d’accessibilité, notamment dans l’espace public, les transports, et les établissements public et privés, le logement afin que la société les reconnaisse, enfin, comme des citoyens à part entière et à égalité avec tous les autres.

Lire la réponse, publiée le 20/07/2021 (la réponse a été publiée après 1120 jours d’attente, un record ; en théorie, le gouvernement a 2 mois pour répondre) :

Le handicap constitue une priorité du quinquennat. C’est cet engagement qui a guidé la décision de placer le secrétariat d’État chargé des personnes handicapées auprès du Premier ministre. Ce choix est le gage de la priorité que le Gouvernement entend donner à la réponse effective aux besoins des personnes handicapées, quel que soit leur handicap et leur âge, dans l’ensemble des réformes qu’il met en œuvre depuis vingt mois.

L’action du Gouvernement se construit dans le dialogue, avec l’ensemble des personnes impliquées par cette politique et en particulier avec les collectivités territoriales et les associations représentatives des personnes handicapées, avec pour fil conducteur la simplification de l’accès aux droits et l’amélioration de la qualité du service public.

En proclamant le principe d’accessibilité universelle, la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 modifiée pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a posé les grands principes de la politique du handicap qui s’appuie désormais sur les deux piliers essentiels que sont d’une part, la reconnaissance aux personnes handicapées d’un droit individuel à la compensation des surcoûts du handicap, et d’autre part, une stratégie d’accessibilité pour tous sans exclusion, généralisée à tous les domaines de la vie sociale, et ce, quelle que soit la forme de handicap et qui concerne non seulement les personnes handicapées, mais toutes les personnes à mobilité réduite, et ce y compris de manière temporaire.

En particulier, elle a fixé à 2015 l’échéance de la mise en accessibilité des ERP existants et des réseaux de transports existants. Bien que des avancées réelles aient eu lieu dans les années suivant l’adoption de la loi handicap de 2005, sa mise en œuvre s’est révélée plus difficile que prévu et il a été nécessaire de relancer la dynamique impulsée par la loi de 2005 en la dotant, par l’ordonnance n° 2014-1090 du 26 septembre 2014 d’un nouvel outil, l’agenda d’accessibilité programmée (Ad’AP), document de programmation pluriannuel qui précise la nature des travaux de mise en accessibilité, évalue leur coût et engage le gestionnaire d’établissement recevant du public (ERP) qui le signe à les réaliser dans un délai de un à trois ans dans le cas général, délai pouvant être porté à six ans voire neuf ans pour les patrimoines particulièrement importants ou complexes à rendre accessibles.

Selon la même logique, l’agenda d’accessibilité programmée, nommé schéma directeur d’accessibilité programmée (SD’AP) dans les transports publics, donne la possibilité aux autorités organisatrices de transports (AOT) de prolonger les travaux requis au-delà de 2015 et engage l’AOT qui le signe à réaliser les travaux et actions d’accessibilité dans un délai pouvant aller jusqu’à :

– une période de trois ans maximum pour les transports urbains ;

– deux périodes de trois ans maximum, soit six ans, pour les transports interurbains et les transports en Ile-de-France ;

– trois périodes de trois ans maximum, soit neuf ans, pour les transports ferroviaires y compris les services de transport empruntant les lignes du réseau express régional (RER).

Tout juste quatre ans après sa création, le dispositif des Ad’AP obtient des résultats encourageants : alors que moins de 50 000 ERP existants s’étaient mis en accessibilité entre 2005 et 2015, plus de 690 000 ERP sont désormais entrés dans ce dispositif. Ce bond en avant incontestable dissimule cependant une disparité entre les gestionnaires des ERP les plus importants, majoritairement entrés dans le dispositif des Ad’AP et ceux d’ ERP de petite taille, isolés, principalement de cinquième catégorie.

Afin d’accompagner ces acteurs dans leur démarche de mise en accessibilité, un réseau d’ambassadeurs de l’accessibilité, jeunes volontaires recrutés dans le cadre du service civique, est en cours de déploiement pour être mis à la disposition des communes et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) pour leur permettre d’engager le dialogue avec les commerçants, les membres de professions libérales, de les orienter et de les aider à remplir leurs obligations.

S’agissant du logement, d’une part le marché du logement est sous tension, et d’autre part construire du logement est un processus long et complexe. En effet, les plus jeunes ont du mal à accéder à un logement et plébiscitent la vie en colocation alors que les plus âgés souhaitent se maintenir dans leur environnement familier mais ont besoin d’adapter leur logement. Le logement dans les grands centres urbains y est rare et cher, et les ménages, notamment les plus défavorisés, peinent à trouver un logement abordable.

Force est de constater que l’offre n’est pas en adéquation avec les demandes. L’ambition est donc de soutenir et d’encourager la production de logements, mais également d’accélérer l’acte de bâtir, en simplifiant les normes de construction et les procédures administratives, pour construire plus, mieux et moins cher. Il faut donc penser le logement autrement pour accompagner les besoins de tout un chacun tout au long de la vie.

Il faut favoriser l’adéquation des logements au parcours de vie des occupants mais aussi à celui des bâtiments, lesquels ne sont pas dans la même temporalité, mais sont tout aussi légitimes l’un que l’autre. Pour répondre à ces enjeux, l’article 64 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (dite loi Elan) institue que 20 % des logements en RDC ou desservis par ascenseur sont accessibles tandis que les autres logements sont évolutifs, c’est-à-dire accessibles en grande partie et pouvant être rendus totalement accessibles par des travaux simples pour répondre aux situations de handicap, mais aussi de perte d’autonomie et de vieillissement.

Les logements évolutifs seront ainsi adaptés à chacune des étapes de la vie. De plus, l’installation d’un ascenseur est désormais obligatoire dans les bâtiments neufs dès lors qu’ils ont trois étages ou plus, mesure très attendue qui constitue une avancée majeure. L’obligation de construire des logements neufs avec des salles de bain adaptables avec zéro ressaut de douche est effective dès le 1er janvier 2021 pour les appartements en rez-de-chaussée et les maisons individuelles en lotissement ou destinées à la location.

Elle sera étendue au 1er juillet 2021 à l’ensemble des appartements desservis par ascenseur. L’année 2021 est également celle des premières constructions des logements évolutifs prévus par la loi ELAN, avec l’obligation de construire des salles de bains modulables et réversibles. L’absence de ressaut de douche permettra d’aménager plus simplement les maisons et appartements pour les personnes âgées ou en situation de handicap, en facilitant la transformation d’une baignoire en douche avec bac ou « à l’italienne ».

En matière de transports publics, l’accessibilité avance également puisque la grande majorité des autorités organisatrices des transports (AOT) mettent en œuvre leur SD’AP et progressent dans la mise en accessibilité des transports. Les travaux d’accessibilité des transports routiers urbains sont d’ailleurs en cours de finalisation. Concernant les réseaux souterrains de transports ferroviaires et de transports guidés existants, la loi de 2005 précisait que les réseaux existants au 12 février 2005, s’ils étaient confrontés à des impossibilités techniques avérées, étaient exclus de l’obligation de mise en accessibilité pour 2015 à la condition de réaliser un schéma directeur d’accessibilité et de mettre en place un transport de substitution.

A Paris, la mise en accessibilité du réseau souterrain du métro est techniquement impossible pour les utilisateurs de fauteuils roulants, notamment en raison de sa configuration (présence d’égouts, terrains instables, enchevêtrement de tunnels, etc.) et sa réalisation effective se heurterait au surplus à des contraintes de sécurité en cas de nécessité d’évacuation. C’est pourquoi, en contrepartie, l’ensemble du réseau d’autobus parisien est accessible et fait office de transport de substitution. Néanmoins, des aménagements sont réalisés dans les stations de métro afin d’améliorer le confort de déplacements des personnes handicapées.

A titre d’illustration, les guichets sont équipés de boucles magnétiques, des bandes d’éveil de vigilance ou surfaces podotactiles sont installés sur les bordures des quais pour les personnes déficientes visuelles et un programme de mise aux normes des 3540 escaliers fixes est en cours de réalisation. Plusieurs lignes du métro parisien (1, 10 et 14) sont, par ailleurs, labellisées S3A, un pictogramme qui permet aux personnes handicapées mentales -et, par extension, à toute personne ayant des difficultés de compréhension ou d’orientation- de se repérer facilement et de recevoir une prise en charge adaptée.

Par ailleurs, les autorités organisatrices de la mobilité compétentes pour les périmètres de la métropole du Grand Paris et de la métropole de Aix-Marseille Provence travaillent à de nouvelles propositions pour développer l’accessibilité des modes de transports nécessaires pour rejoindre les sites liés à l’organisation et au déroulement des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Les propositions porteront notamment sur la façon d’améliorer drastiquement la qualité d’accueil et de service rendu aux voyageurs en situation de handicap pour ces événements.

Enfin, le projet de loi d’orientation des mobilités (LOM), qui sera discuté devant le Parlement dès le mois de mars prochain, a, parmi ses objectifs prioritaires, celui de promouvoir la mobilité inclusive en renforçant l’accessibilité des transports et le droit à la mobilité pour les personnes handicapées et à mobilité réduite pour lesquels les déplacements constituent trop souvent un véritable parcours du combattant. En particulier, les accompagnateurs des personnes handicapées bénéficieront d’une généralisation des réductions tarifaires, pouvant aller jusqu’à la gratuité, dans les transports publics.

Et pour améliorer l’accessibilité encore imparfaite à ce jour, le projet de LOM prévoit également de développer l’accessibilité par le numérique, calculateurs d’itinéraires et GPS piétons. Il s’agit en effet d’assurer une meilleure continuité du « parcours usager », d’éviter toute dégradation de l’accessibilité de la voirie et des espaces publics dans le temps et même, de promouvoir des systèmes de signalisation et de guidage numériques pour une meilleure appropriation de l’espace public par les personnes les plus fragiles.

En effet, la mise à disposition des informations sur le niveau d’accessibilité des transports comme de la voirie et des espaces publics permet aux personnes handicapées de faire les meilleurs choix en toute connaissance de cause.

En conclusion, le Gouvernement se donne les moyens de relever les défis d’une société chaque jour plus inclusive. Mais ces défis ne seront pleinement relevés qu’avec la participation de tous et nécessitent encore du temps pour porter pleinement leurs fruits.

Image par andreas160578 de Pixabay