En février 2019, les armées françaises sont intervenues au Tchad, sur demande des autorités, et en vertu d’un accord de défense. Toutefois, la légalité d’une telle intervention est contestable. Le soutien au régime d’Idriss Déby l’est davantage.
Enfin, l’intervention au Tchad n’a pas fait l’objet de débat à l’Assemblée nationale, à peine une notification. La désinvolture avec laquelle la représentation nationale est traitée est inacceptable.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
tendant à la création d’une commission d’enquête relative
à l’intervention militaire de la France au Tchad,
présentée par Mesdames et Messieurs
Bastien LACHAUD, Alexis CORBIÈRE, Jean‑Luc MÉLENCHON, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Éric COQUEREL, Caroline FIAT, Michel LARIVE, Danièle OBONO, Mathilde PANOT, Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, Jean‑Hugues RATENON, Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, François RUFFIN, Bénédicte TAURINE,
député-e-s.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Par une lettre datant du 6 février 2019, le Premier ministre a informé le parlement des frappes françaises qui ont eu lieu du 3 au 6 février sur le territoire tchadien. L’Exécutif s’appuie sur l’article 35 de la Constitution pour justifier la légalité de cette intervention.
Pourtant les objectifs de ce raid ne sont pas identifiés dans la lettre du Premier ministre. Le Gouvernement a certes informé le Parlement de cette intervention puisque l’article 35 le prévoit. Cependant, cette information a revêtu un caractère très insuffisant au regard des standards démocratiques internationaux. Seule une fraction des députés a pu entendre les ministres compétents au sein de la commission de la défense nationale et au sein de la commission des affaires étrangères. Les autres durent se contenter du courrier extraordinairement laconique du Premier ministre.
La légitimité politique de ces frappes est pourtant extrêmement contestable. Les ministres des affaires étrangères et de la défense ont justifié l’intervention française comme une opération en soutien au régime du président Idriss Déby. Or ce régime est particulièrement répressif et sanglant. Pour mémoire, le Tchad figure parmi les cinq pays jugés les moins démocratiques du monde dans le classement 2018 établi par le journal The Economist. Quoiqu’imparfait ce classement donne une idée de la brutalité de ce régime. Outre l’indignation morale que suscite l’idée de le soutenir, il faut réaffirmer que l’assistance à une telle dictature est la manifestation d’une vision court‑termiste de la défense des intérêts de la France. En se commettant ainsi pour Idriss Déby, la France s’enferme dans une impasse.
Le fondement juridique de cette action d’assistance est aussi extrêmement contestable. Il existe bien un accord de coopération militaire technique entre la France et le Tchad depuis 1976. Cependant, il exclut expressément la participation des forces françaises à des opérations de guerre, de maintien ou de rétablissement de l’ordre ou de la légalité (article 4.). L’action de l’armée française au Tchad contrevient donc à cet accord.
Enfin, le Tchad accueille des militaires et des infrastructures de l’opération Barkhane. La ministre de la défense, lors de son audition devant la commission de la défense, a explicitement indiqué que l’intervention militaire sur le territoire tchadien n’entrait pas dans le cadre de Barkhane. Le porte-parole de l’état‑major des armées, le colonel Steiger a lui, affirmé : « Je voudrais préciser que ceci n’est pas dans le cadre de l’opération Barkhane. Le fait qu’on utilise les moyens stationnés à Ndjamena pour des raisons de proximité, réactivité, disponibilité, j’ose croire que tout le monde comprend la logique qui est derrière. C’est bien différent de Barkhane ». Or les moyens alloués à Barkhane l’ont été grâce à un vote de la représentation nationale dans le cadre d’une mission particulière : la lutte contre les groupes armés djihadistes. Considérer que les moyens humains et matériels de cette opération sont utilisables en dehors de cette mission pose aussi un problème politique et légal.
Dès lors, la création d’une commission d’enquête parlementaire est nécessaire pour faire la lumière sur la légalité et la constitutionnalité de l’action de l’exécutif au Tchad.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Article unique
Une commission d’enquête, composée de trente députés, est instituée en application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale. Elle est chargée d’examiner les objectifs, les moyens, la légalité et la constitutionnalité de l’action militaire de la France au Tchad.
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