A Christine Renon. Être digne de sa mémoire

J’ai appris le lundi matin 23 septembre le suicide de Mme Christine Renon, directrice de l’École Méhul à Pantin, dont le corps sans vie a été découvert sur son lieu de travail.

La nouvelle m’a pétrifié. Mes pensées se sont immédiatement dirigées vers la famille de la défunte, ses proches, ses collègues, et l’ensemble de la communauté éducative. Je tiens à leur dire ici toute ma solidarité, et à leur adresser mes sincères condoléances et toute ma sympathie dans ces moments tragiques. En hommage, je me suis rendu au rassemblement organisé à sa mémoire ce jeudi 26 septembre devant cette école à laquelle elle avait dédié sa vie. Plus de deux cent personnes s’étaient rassemblées. L’émotion était intense. Tout témoignait du respect et de l’affection immenses que Mme Renon avait su susciter autour d’elle, par son investissement et son dévouement à son métier.

Respectueux de sa famille, de ses proches, de ses collègues et de toutes celles et ceux qui étaient là pour se recueillir, je n’ai pas pris la parole à cette occasion. Et depuis la terrible nouvelle de lundi, j’ai attendu pour m’exprimer publiquement. Comment trouver les mots justes face à un drame indicible ? Le  responsable politique, dont la parole est publique, se doit en outre d’observer une retenue particulière. Peut-il donner le nom d’une personne disparue, évoquer les raisons de son acte, sans risquer de commettre une forme de sacrilège, de violer l’intimité de sa famille, de ses proches, de les déposséder leur mémoire ? Le temps du deuil n’est pas celui de la politique.

Les faits qui ont été révélés depuis ce lundi, par la presse tout comme de source syndicale, ne permettent plus aujourd’hui de rester silencieux. De fait, dans une lettre adressée à ses collègues, à présent rendue publique, Mme Renon a voulu donner les raisons de son geste. Dans un texte bouleversant de dignité et de retenue, elle décrit l’épuisement devant la succession des réformes menées à marche forcée, souvent contradictoires, les rythmes intenables, le manque de moyens humains et matériels, la solitude et le sentiment d’un manque de soutien de la part de l’institution. Ce furent ses derniers mots. Comment mieux décrire la réalité de la souffrance au travail que vivent tant de personnels de l’Éducation Nationale, et plus largement, tant d’agents des services publics ?

Prétendre isoler la tragédie d’aujourd’hui de ce contexte serait obscène. Oublierions-nous la leçon d’Émile Durkheim, dont l’étude sur Le Suicide, publiée en 1897, œuvre fondatrice de la sociologie, montrait que  « les raisons que l’on donne au suicide » sont « les répercussions individuelles d’un état général ? ». Cet état général, nous le connaissons : c’est celui d’une dégradation des conditions d’exercice des métiers dans l’Éducation Nationale, peut-être plus marquée encore que dans d’autres branches du service public et d’autres secteurs d’activité, frappés eux aussi par le durcissement inouï des conditions sociales qu’engendre le libéralisme sauvage. Une étude de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale datant de 2002 établit ainsi que le taux suicide parmi les enseignant·es est 2,4 fois plus élevé que parmi le reste de la population. Ce chiffre en dit long sur la souffrance quotidienne qui pousse certain·es à s’ôter la vie.

Cette souffrance, ses victimes tentent depuis des années de la faire entendre. Les syndicats qui les représentent la dénoncent quotidiennement dans leurs luttes. Les élu·es d’opposition dont je suis portent leur voix à chaque fois qu’il leur est donné l’occasion de le faire, dans l’hémicyclique comme auprès des instances académiques et nationales de l’Éducation Nationale. C’est leur parole que nous recueillons auprès de toutes celles et ceux qui nous interpellent, et que nous nous efforçons de faire entendre lorsque nous nous opposons aux réformes de l’actuel Ministre de l’Éducation Nationale ou que nous intervenons pour réclamer que les établissements de la circonscription que nous représentons reçoivent enfin les moyens dont ils ont besoin. Nous tentions encore une fois de faire entendre ce message au recteur il y a quelques semaines, à l’occasion d’une réunion dédiée à la présente rentrée scolaire. Apprenant les conditions troublantes dans laquelle la hiérarchie semble avoir réagi au suicide de Mme Renon, j’ai écrit dès le début de cette semaine à l’Inspecteur d’Académie – Directeur Académique des services de l’Éducation Nationale, pour relayer la demande syndicale de réunion d’un CHSCT extraordinaire afin qu’une enquête puisse être menée par les représentant·es du personnel, et exiger que tout soit mis en œuvre pour protéger la santé des personnels.

Comment ne pas s’indigner de ce que l’institution n’entende pas la voix de celles et ceux dont l’abnégation et le sens du service public la font vivre sur le terrain, voire qu’elle tente d’étouffer la douleur et la colère de celles et ceux qui souffrent ? Il est grand temps que cela cesse. Que leur signal d’alarme soit entendu. Que l’État prenne ses responsabilités. Que toutes les mesures soient prises pour protéger la santé des personnels, leur garantir de bonnes conditions de travail, et prévenir ainsi de nouvelles tragédies. La mémoire de la disparue, le respect dû à sa famille, à ses proches, à ses collègues, à tout·es celles et ceux qui l’ont connu, l’exigent.