Les deux dernières semaines ont été marquées par des informations tragiques venues du Mali : la mort de plus de cinquante soldats des forces armées maliennes dans l’attaque d’Indelimane et celle du brigadier français, Ronan Pointeau. Notre pays y est engagé militairement depuis six ans. Après une si longue implication, il est plus que temps de faire un bilan. Il est désastreux. Le crédit de la victoire militaire qu’on pouvait revendiquer à l’issue de l’opération Serval a été dilapidé. L’appui de l’ONU et les quelques centaines de soldats européens envoyés pour participer à la reconstruction de l’armée malienne ne sont guère probants.
Le nombre de nos compatriotes tombés est très élevé. Il atteint désormais le nombre de 28.
Les motifs qui ont servi à justifier l’intervention n’ont pas disparu. Au contraire, la situation est aggravée.
Le nombre des actes violents est en hausse. Les groupes armés agissent désormais au Mali mais aussi au Niger et au Burkina Faso.
L’État malien demeure extrêmement faible. Il est exsangue ; les services publics élémentaires sont inaccessibles aux habitants ou à l’arrêt. Les forces armées maliennes sont incapables d’assurer des missions de présence et de sécurisation dans le Nord du pays, là-même où les soldats français étaient censés leur laisser la place.
Les armées locales du G5 Sahel sont faibles : les unes manquent d’équipement ou d’entraînement ; les autres sont surtout au service d’un régime politique despotique et sont connues pour faire peu de cas du respect des droits humains.
Les contributions financières visant à financer leur renforcement sont lentes à arriver. Parmi les principaux bailleurs de fonds on retrouve l’Arabie saoudite qui participe notoirement à la déstabilisation de la société malienne en renforçant plus que jamais l’emprise de la religion sur la vie politique. Le coût de l’intervention et de la présence française en six dépasse pourtant les 4 milliards d’euros.
La corruption est un mal endémique contre lequel aucune victoire notable n’a été enregistrée.
Face à cette totale déliquescence de l’État, les groupes sociaux s’organisent en milices pour tenter de sauver l’essentiel et participent à la montée continue des tensions.
La lutte pour la survie prend de plus en plus les formes d’agressions et d’expéditions punitives inter-ethniques. Sur ce terreau, les groupes armés prospèrent. La politique, le terrorisme islamiste, les trafics en tout genre se combinent en un mélange aussi instable qu’explosif.
Le pays est pris dans un cercle vicieux : sans développement économique, nul espoir de paix ; sans paix, nul espoir de développement économique. Ajoutons à cela que nulle part la question de la démocratie n’est sérieusement abordée. Les autorités voient leur crédit sapé jour après jour ; la population ne fait plus confiance à quiconque. C’est pourtant le seul domaine dans lequel le volontarisme pourrait avoir un effet positif et permettrait d’enclencher une dynamique positive. Certes, assurer que la vie démocratique suive son cours dans un pays déchiré par la guerre n’est pas une tâche aisée, mais le statu quo est intenable.
On assiste à une sorte de chute au ralenti devant laquelle chacun cherche à se persuader que le point de non-retour n’est pas encore atteint entre le désordre, l’insécurité et le chaos.
Placés dans une impasse, les Maliens se montrent de plus en plus critiques de la présence militaire française et cherchent de toute part une solution. De plus en plus appellent de leurs vœux une intervention de la Russie, perçue comme une puissance déterminée et efficace dans la lutte contre le terrorisme islamiste. Plusieurs manifestations ont même eu lieu à Bamako ces dernières semaines réunissant à chaque fois plusieurs milliers personnes demandant le retrait des forces françaises.
Pour répondre à ce défi, la France se trouve isolée et cherche à obtenir des membres de l’Union européenne qu’ils apportent un soutien matériel et financier à l’opération Barkhane. On annonce l’envoi imminent de membres de forces spéciales de différentes nationalités. Cela pourrait soulager quelques temps les forces maliennes, si vulnérables aux agressions. Mais le dispositif prévu n’est absolument pas précis. Quels pays sont disposés à envoyer des hommes ? Ceux-ci combattront-ils ou seront-ils seulement instructeurs de l’armée malienne ? Quelle part la France prendra-t-elle à leur coordination ? Pourquoi recourir à des membres des forces spéciales plutôt qu’à des soldats des armées régulières ? Ces effectifs agiront-ils clandestinement ? Dans ce cas leur présence nourrira plutôt l’inquiétude et les fantasmes d’une population apeurée qu’elle ne contribuera à rendre durablement de la sérénité aux populations civiles.
Pourquoi surtout, le gouvernement n’a pas mentionné une seule fois ce virage dans sa stratégie au Sahel, au cours de des dernières semaines alors que l’Assemblée débattait notamment du budget de la défense pour l’année 2020 ? Cette dernière question est la plus simple : le gouvernement ne voulait surtout pas d’un débat qui aurait mis en évidence l’échec de sa fuite en avant. Plus que jamais, il marche dans le vide et cela se voit.