Mali : de l’hommage à la pensée

Mon dernier post de blog portait sur la situation au Mali. Il faisait suite au décès du brigadier Ronan Pointeau. Depuis ce sont treize soldats français qui ont perdu la vie dans un accident d’hélicoptères survenu au cours d’une opération. L’hommage Mercredi 27 novembre, lors de la séance des questions

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Mon dernier post de blog portait sur la situation au Mali. Il faisait suite au décès du brigadier Ronan Pointeau.

Depuis ce sont treize soldats français qui ont perdu la vie dans un accident d’hélicoptères survenu au cours d’une opération.

L’hommage

Mercredi 27 novembre, lors de la séance des questions au gouvernement, j’ai exprimé ma peine et celle de tous mes collègues, insoumis ou non, face à la perte des jeunes gens qui s’étaient engagés au service de leur pays, de leurs concitoyens et au péril de leur vie. Comme tous les militaires, ils obéissaient à des ordres politiques : c’était leur devoir et leur honneur. Dès lors, leur rendre hommage implique aussi de revenir sur la justesse de ces ordres et la stratégie globale dans laquelle ils s’inscrivent.

Cette démarche est généralement bien comprise. Deux raisons à cela : il n’y a aucun esprit de polémique dans les déclarations des élus insoumis à ce sujet. Tous ont conservé dans leurs propos la mesure et la gravité que le sujet requiert. Aucun n’a bien sûr dénigré l’engagement de ces hommes valeureux qui ont poussé l’altruisme jusqu’à l’esprit de sacrifice.

L’avenir

Deuxièmement, notre démarche vise à empêcher que d’autres pertes comme celle-là ne nous frappent à nouveau. Notre conviction est la suivante : la stratégie militaire au Mali n’est pas la bonne ; il faut travailler à une alternative qui se donne pour objectif le retrait de nos soldats. Or cette alternative n’émergera pas sans un débat démocratique sérieux, et en particulier un débat au parlement. Après notre interpellation, Emmanuel Macron a dit considérer toutes les « options stratégiques » mais n’a donné aucune réponse à notre demande d’un débat ; seuls le gouvernement et l’état-major sont pour l’instant sollicités. Cette attitude montre combien il était indispensable de saisir le moment où la lumière venait enfin sur une guerre largement oubliée par le grand nombre. Nous avons plusieurs fois fait l’expérience amère de lancer l’alerte en vain. Les médias ne considéraient pas à l’époque que le sujet fût assez important pour l’aborder. Ainsi en février 2018, lors des discussions sur la Loi de Programmation Militaire (LPM), c’est-à-dire le projet de budget des armées pour les 5 prochaines années, nous avions demandé qu’avant de penser aux chiffres, nous pensions aux hommes : nous réclamions un bilan des guerres déjà en cours. Pour savoir s’il fallait les continuer, il fallait au moins savoir si elles avaient amélioré les situations qu’elles devaient améliorer. Ce bilan ne nous fut jamais fourni.

Depuis cette date, nous avons été attentifs à la situation au Mali. Personnellement, je m’y suis rendu deux fois : l’une, à Bamako, où j’ai rencontré des officiels maliens et des organisations impliquées dans le pays, comme l’ONU ; l’autre, brièvement, à Gao, auprès des soldats français de l’opération Barkhane. Surtout, nous avons beaucoup lu, discuté et consulté.

Un nouveau consensus

De tout cela, il ressort que la position de la France insoumise est conforme à ce que la plupart des universitaires et diplomates travaillant sur le Mali observent et écrivent. C’est par exemple le cas d’André Bourgeot (CNRS) ou Bruno Charbonneau (Université de Québec à Montréal) ou encore de Nicolas Normand. Des soldats, Jean Gaël le Flem et Bertrand Oliva ont aussi pris la plume pour montrer les limites de la stratégie utilisée au Mali. Leurs propositions demeurent sujettes à discussion et amendement mais leur diagnostic est d’une grande rigueur. Car contrairement à ce que disent certains médias, nous ne brisons pas un consensus. Au contraire, nous faisons connaître celui qui prévaut depuis longtemps parmi les personnes les mieux informées. Si en 2013, au moment du déclenchement de l’opération Serval, Jean-Luc Mélenchon était un peu seul parmi les responsables politiques à défendre une position de retenue très proche de celle de Dominique de Villepin, aujourd’hui, les experts de toutes obédiences observent qu’une stratégie presque exclusivement militaire est une impasse. Le chercheur Alain Antil de l’IFRI (qui n’est pas une officine d’extrême-gauche) qualifie carrément la situation de « désastre ».

C’est que face à un problème politique, il ne peut y avoir qu’une solution politique. J’ai essaimé dans les lignes précédentes plusieurs liens qui permettent de mesurer la convergence qui existe sur ce sujet. Tous évoquent, avec des inflexions propres sur chaque sujet, la faiblesse de l’État malien dans ses missions régaliennes et sociales, le manque de mobilisation de la société, les compromis passés avec les séparatistes touarègues qui ont été perçus comme une prime à la déloyauté, l’absence de désarmement des milices, l’instrumentalisation de la concurrence pour les ressources visant à ethniciser les conflits (entre Peuls et Dogons en particulier), l’inefficacité du G5 Sahel et de la Minusma et enfin l’impossibilité pour une armée étrangère de rester dans un pays sans que l’hostilité de la population ne monte contre elle.

Unir

En effet, la population malienne est divisée et presque rien n’est fait pour la souder autour d’objectifs clairs. La confiance dans l’État est nulle puisque l’État est failli et les services publics qui ont naguère existé ont aujourd’hui presque partout disparu. Dans ces conditions, les plus pauvres s’enrôlent au service du plus offrant : trafiquant, milicien, djihadiste, indépendantiste etc… Tous ses « rôles » se confondent lorsqu’on parle seulement de terrorisme alors qu’évidemment il faudrait distinguer et surtout travailler à réunir ceux qui peuvent l’être. On comprend que ce n’est pas le travail de soldats, et encore moins de soldats étrangers venant d’une ancienne puissance coloniale. Avec le temps et très injustement à leur égard, l’agacement de la population apparaît et se change en hostilité pour ceux qui viennent régler des problèmes qui, aux yeux du plus grand nombre, ne les concernent pas…

C’est ainsi qu’on entre dans une spirale de défiance vis-à-vis de ceux-là même qui avaient été acclamés.

Cette défiance, c’est bien sûr l’arme première des djihadistes qui ont un projet politique au Mali : un projet détestable et qu’ils imposent et promeuvent par des moyens détestables, mais qui est tout de même politique. Lorsqu’ils se font passer pour des membres de telle ou telle ethnie pour allumer une guerre ethnique, quand ils abattent les chefs traditionnels, les djihadistes cherchent à faire effondrer encore plus les cadres traditionnels de règlement des conflits pour apparaître comme une alternative au désordre. Le chaos leur permet d’asseoir leur pouvoir en se présentant comme le recours aux problèmes qu’ils ont créés ou entretenus.

Contrecarrer ces plans supposent de créer des lieux de discussion, de désarmer les factions, de donner du sens à la démocratie en restaurant des services publics utiles, de travailler à restaurer et faire émerger d’autres autorités que celle des armes et de l’extrémisme religieux. C’est un travail de longue haleine mais pas vraiment un travail de militaire.

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