Demande de commission d’enquête sur la filière nucléaire française

La filière nucléaire française fait l’objet de nombreuses controverses. Développées massivement en France, les centrales nucléaires arrivent en fin de vie, et demandent des investissements lourds pour continuer à fonctionner. Mais la sécurité de ces installations interroge, même avec ces investissements. De plus, si cette énergie ne produit pas de

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La filière nucléaire française fait l’objet de nombreuses controverses. Développées massivement en France, les centrales nucléaires arrivent en fin de vie, et demandent des investissements lourds pour continuer à fonctionner.

Mais la sécurité de ces installations interroge, même avec ces investissements. De plus, si cette énergie ne produit pas de CO2, elle n’en reste pas moins très polluante, avec la génération de grandes quantités de déchets nucléaires dont nous ne savons que faire, et dont le stockage est problématique.

La filière nucléaire nécessite pour son fonctionnement de grande quantités d’eau froide, pour refroidir les réacteurs. Toutefois, avec le dérèglement climatique entraînant des sécheresses de plus en plus récurrentes, la capacité des centrales à avoir suffisamment d’eau froide pour fonctionner n’est pas garantie.

Aussi, il est nécessaire de se préoccuper de l’existence, du fonctionnement, et surtout de l’avenir de la filière nucléaire française, et de planifier la sortie d’une telle source d’énergie dangereuse.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête relative à l’existence, au fonctionnement et à l’avenir de la « filière nucléaire » française,

présentée par Mesdames et Messieurs

Bastien LACHAUD, Jean‑Luc MÉLENCHON, Mathilde PANOT, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Alexis CORBIÈRE, Caroline FIAT, Michel LARIVE, Danièle OBONO, Adrien QUATENNENS, Jean‑Hugues RATENON, Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, Bénédicte TAURINE,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis plusieurs décennies, le développement et la gouvernance des industries nucléaires font l’objet d’une gestion absolument opaque. Ces industries ont un caractère stratégique évident : leur bon fonctionnement engage la sécurité des Françaises et des Français et doit garantir leur autonomie énergétique dans des conditions économiques convenues et supportables.

Pourtant, la dépendance aux matières premières, les nécessités de la transition écologique, les échecs successifs de la filière en matière de construction et de maintenance des infrastructures, la prise de conscience du risque inhérent à ces infrastructures et accru encore dans le contexte de la crise climatique, tout impose de mettre en lumière la logique qui a présidé ces dernières années à la fuite en avant des gouvernements et d’autre part à penser dans son ensemble une stratégie lucide de sortie concertée de l’énergie nucléaire civile.

Un bref retour en arrière donne la mesure des errements du pouvoir et de l’opacité dans laquelle les décisions ont été prises jusqu’à ce jour. Le projet de modèle EPR (réacteur européen à eau pressurisée) est engagé en 1992 dans une coopération entre Framatome et Siemens sur la base technologique des deux modèles français et allemand, 1450MW N4 et Konvoi. Un modèle français 1450MW N4 est déjà en échec du fait notamment du calendrier de conception et de construction des réacteurs de Chooz et de Civaux.

Le 13 mai 2003, le rapport Bataille et Birraux recommande « afin de disposer d’une garantie pour sa production d’électricité à l’horizon 2010‑2015, [que] la France engage sans délai la construction d’un démonstrateur‑tête de série EPR, dans la perspective de disposer, au moment de l’arrêt des premiers réacteurs REP du palier 900 MW, d’un réacteur testé, prêt à être construit en série ».

Ayant cessé de construire depuis la mise en service des deux réacteurs de la centrale de Civaux (1997 et 1998), EDF et Areva rencontrent, en France, mais aussi en Finlande et au Royaume‑Uni, des difficultés graves dans la construction des EPR.

Remis au président Sarkozy le 11 mai 2010, et immédiatement classé « secret défense », le rapport Roussely sur la filière nucléaire française n’est présenté au public que dans une synthèse sans réel contenu. Cet exercice se prolonge par la mise en place d’un comité stratégique de la filière nucléaire rattaché au Conseil national de l’industrie, un comité dont les travaux renseignent le public et les parlementaires tout aussi peu que la synthèse du rapport Roussely.

Les parlementaires se saisissent de la question des coûts de la production d’électricité par les réacteurs nucléaires passés et futurs. La Cour des comptes produit plusieurs analyses sur ces coûts. Les organisations non‑gouvernementales contestent ces travaux qui, selon leurs analyses, sous estiment lourdement les dépenses futures de démantèlement des installations et de stockage des matières radioactives.

En 2018, la commission d’enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires n °512 se heurte à son tour au « secret défense » et préconise de créer, sur le modèle de la délégation parlementaire au renseignement, une délégation parlementaire au nucléaire civil dont les membres (quatre députés et quatre sénateurs) auront accès ès qualités aux informations classifiées en matière de sécurité et de sûreté. Ces recommandations sont restées sans effet.

Par ailleurs, il est incontestable que trois puissances étrangères détiennent des positions d’influence mondiale dans le domaine de la construction et de l’exploitation nucléaire civile : les États‑Unis d’Amérique, la Russie et la république populaire de Chine. Ces positions sont établies sur la triple base de la capacité stratégique de ces pays, de la taille et la performance opérationnelle de leurs parcs nucléaires en exploitation, de leur capacité industrielle à concevoir et construire des nouveaux réacteurs dans des calendriers et des coûts reconnus comme raisonnables.

D’autres puissances jadis performantes (Corée, Japon) se retirent peu à peu de la compétition.

Le Gouvernement et l’Agence des participations de l’État utilisent désormais la rhétorique de la dénomination de « filière nucléaire » pour soutenir la signature d’un contrat de construction de réacteurs à l’exportation en engageant les fonds propres d’EDF dans l’aventure britannique de Hinkley Point, Sizewell et Bradwell, mais aussi en justifiant la recapitalisation d’EDF, ou bien encore l’acquisition de l’activité d’Areva Nuclear Power par EDF.

Au point que l’on ne peut plus distinguer l’État, de l’État actionnaire, et que l’objet social d’EDF se trouve directement menacé, comme il le fut dans les opérations financières désastreuses menées en Amérique du Sud, aux États‑Unis d’Amérique, en Italie, en Belgique, en Suisse et au Royaume‑Uni.

En 2019 le projet du Gouvernement dénommé « Hercule » est éventé. Il consiste à scinder EDF en deux parties : d’un côté, le parc nucléaire existant est destiné à être nationalisé, de l’autre les activités régulées de transport et de distribution, le commerce, les services et la société de projets renouvelables sont destinés à la privatisation. Ce projet est momentanément retardé par les procédures de la Commission européenne.

Interrogée par les actionnaires salariés d’EDF, la commissaire Margrethe Vestager leur apprend que le secrétaire général de l’Élysée discute secrètement avec la Commission de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique et qu’il engage une négociation d’aide d’État en échange d’une restructuration profonde de la filière, alors même que l’article 8 de la loi énergie et climat déplafonne le prix et le volume de l’électricité produite par EDF et commercialisée par ses concurrents. Un arbitrage financier semble se discuter, en dehors du contrôle des autorités indépendantes, entre la sûreté et la sécurité du parc existant et le financement du nouveau nucléaire.

Plus généralement, un arbitrage global se discute en dehors du regard de la représentation parlementaire française : les prix et les tarifs, les aides d’État, la fiscalité, la sûreté et la sécurité, la recherche sur la génération 4, les partenariats industriels, les exportations sur fonds propres, les tarifs régulés de vente, les risques psychosociaux des salariés et des sous‑traitants, le service public et la péréquation tarifaire, et finalement les remontées de « cash » promises par « Hercule », tels sont les termes de cet arbitrage.

Alors qu’il n’y a plus de ministère de l’industrie, le vide s’installe entre l’Élysée et EDF. Cette entreprise industrielle hautement performante est menacée dans son existence.

Finalement, les parlementaires apprennent par une fuite du journal Le Monde (édition du 14 octobre 2019) que, le 12 septembre 2019, les ministres Mme Élisabeth Borne et M. Bruno Le Maire demandent au dirigeant d’EDF de dresser un « état des lieux de la filière nucléaire », et d’en analyser « les capacités de production pour être en mesure de répondre à l’exécution d’un programme de construction de trois paires de réacteurs sur trois sites distincts ».

Il est temps que prenne fin cette conversation exclusive et occulte qui se tient entre l’exécutif, le secrétaire général de l’Élysée, et le dirigeant d’EDF, désormais « chef de file » de la dite « filière nucléaire », et que s’exerce le contrôle parlementaire de l’activité nucléaire civile, conformément à la constitution.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION relative à la filière nucléaire française

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, il est créé une commission d’enquête de trente membres relative à la filière nucléaire française, son fonctionnement, son devenir, sa place dans la compétition mondiale, le rôle qu’y jouent notamment le Commissariat à l’énergie atomique, les entreprises EDF et Orano, sa protection face aux menaces de toute nature, notamment en matière de défense et de guerre économique et les conséquences économiques des décisions qui se prennent dans la filière pour les usagers et tous les consommateurs d’électricité.

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