Le 25 février, Bastien Lachaud questionnait M. Castaner sur sa décision de créer la cellule de renseignement DEMETER, dont les objectifs criminalisent à terme les lanceurs d’alerte. Or, c’est le contraire qui doit-être fait, leur rôle d’informateur sur les conditions réelles d’élevage est d’intérêt général et doit-être protégé.
M. Bastien Lachaud interroge M. le ministre de l’intérieur sur la création de la cellule de renseignement DEMETER, en décembre 2019. Par cette cellule, M. le ministre souhaite « que l’antispécisme soit un des axes prioritaires du renseignement ». En effet, selon lui, « de plus en plus, nos agriculteurs sont visés par des intimidations, des dégradations, des insultes. Des individus s’introduisent dans leurs exploitations agricoles et les bloquent. Ils font des films aux commentaires orduriers, avant de jeter les exploitants en pâture sur les réseaux ». Certes, le champ de compétences de la cellule liste un certain nombre de délinquances, de différentes natures, auxquelles elle devra faire face. Mais l’édito du dossier de presse sur la cellule, écrit par le ministre de l’Intérieur, donne le ton. Le but de la cellule est ainsi assumé en demi-teinte : lutter contre la multiplication d’actes d’intrusions dans les élevages, par la prévention, le renseignement et le traitement judiciaires des infractions. Or ce texte ne donne aucun chiffre pour appuyer l’évolution desdits actes d’intrusion, alors qu’une étude sérieuse sur ce phénomène serait la bienvenue. D’autant plus que ces évènements demeurent, d’après la FNSEA, mineurs. Sur les 14 496 faits d’atteinte aux biens matériels au préjudice du monde agricole recensés par M. le ministre en 2019, seuls 41 seraient de cette nature. Par ailleurs, la convention de partenariat entre le ministère de l’intérieur et la direction générale de la gendarmerie nationale d’une part, et la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et les Jeunes agriculteurs (JA) d’autre part, précise des éléments inquiétants pour la séparation des pouvoirs. En effet, il y est indiqué que « la FNSEA et JA, par la connaissance globale des attentes et des besoins du monde agricole, communiquent à la DGGN tout élément susceptible d’orienter l’action de la gendarmerie. » dans son article 1. Or seuls le parquet et les juges d’instruction sont légitimes à orienter l’action pénale. Cette convention présente un très grave mélange des genres entre l’autorité publique, et de deux organisations professionnelles parmi d’autres. Plus loin, la convention dispose que « dans le cadre des plans départementaux relatifs à la sécurité des exploitations agricoles conduits par les groupements de gendarmerie, les fédérations départementales des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) et les structures départementales Jeunes agriculteurs participent à l’identification, à l’application et au suivi des mesures mises en oeuvre localement », laissant ainsi entendre que les forces de gendarmerie appliqueraient les orientations prises par ces mêmes organisations professionnelles. L’article 2 va plus loin en instaurant une relation de « prestations » entre la gendarmerie et les exploitations agricoles, mettant ainsi les forces publiques au service d’intérêts privés appartenant à un syndicat particulier. L’opinion publique est majoritairement contre l’élevage intensif. À la question « Quel impact des vidéos, reportages, etc. sur la consommation de viande ? » posée par l’institut de sondage IFOP en 2018, 51 % des sondés affirment avoir ou vouloir diminuer leur consommation de viande. En outre, 92 % des personnes pensent que le respect du bien-être animal est important. Seuls 41 % des sondés estiment que la situation du bien-être animal est satisfaisante en France. Plus récemment, en 2019, une étude « élevage intensif », réalisée par la société Yougov montrait que 88 % des individus interrogés sont contre l’élevage intensif. 94 % pensent qu’il faut protéger les animaux d’élevage, et 91 % que leur protection devrait être renforcée. Cette cellule ne semble donc pas résoudre les inquiétudes des Français. De plus, elle fragilise la position des lanceurs d’alerte dans leur mission d’information et celle des associations militantes pour le bien-être animal. Ces événements sont un signal fort envoyé aux pouvoirs publics. Ces alertes font écho à la demande de la majorité des Français d’agir pour la préservation du bien-être animal. Là où une meilleure transparence permettrait de redonner confiance aux consommateurs dans la filière d’élevage, à un moment où les différents partis ont tout à gagner à dialoguer, cette cellule tend à criminaliser les actions symboliques de ceux qui, dans un souci d’intérêt général, informent sur les pratiques de l’industrie intensive. Ces interpellations montrent la nécessité à faire évoluer les pratiques. Un autre sondage IFOP réalisé pour WWF France, et publié dans le rapport Les Français, la consommation écoresponsable et la transition écologique (2017), montre que 87 % des sondés adhérent à la réorientation des aides publiques vers des pratiques privilégiant l’agriculture écoresponsable. Les politiques libérales successives ont détruit la vie et le métier des agriculteurs français, sur le totem de la croissance et de la libre concurrence, termes auxquels plus personne ne croit, mais que le Gouvernement continue d’agiter. Il est urgent de sortir d’un système industriel mondialisé qui détruit terres, animaux et hommes, en protégeant réellement les travailleurs. L’État doit accompagner les éleveurs vers une meilleure prise en compte de la condition animale, en permettant une reconversion vers un nouveau modèle d’élevage grâce à des aides économiques. La meilleure aide que pourrait apporter l’État aux agriculteurs serait plutôt de garantir un prix de vente leur permettant de vivre dignement de leur travail et de les aider à convertir leurs exploitations pour sortir de la spirale de la dette, sortir du modèle productiviste, sortir de l’exploitation à outrance des terres, des animaux et des hommes. Un modèle agricole protecteur de la biodiversité, garantissant une alimentation respectueuse de l’environnement comme de la condition animale, protégerait bien plus efficacement les agriculteurs qu’une cellule de gendarmerie et de police dédiée. Aussi, il souhaite savoir si l’argent public ne serait pas mieux employé à aider les agriculteurs à convertir leurs exploitations vers un modèle paysan, respectueux de la biodiversité, de la terre, des animaux et protégeant leur santé, plutôt qu’à traquer des lanceurs d’alerte agissant pour l’intérêt général.
Le 23 juin, le ministère répondait :
Il existe dans notre pays des mouvances prônant l’action violente et des groupuscules se réclamant « anti-spécistes », qui multiplient depuis près de deux ans les actes délictueux à l’encontre des agriculteurs, de certains professionnels de l’industrie agroalimentaire et notamment ceux en relation avec l’élevage. Ces actions, essentiellement à visée médiatique, sont inacceptables dès lors qu’elles sortent du cadre de la libre expression des pensées et des opinions. Elles constituent légitimement une préoccupation pour les professionnels des filières agricoles concernées. Le Gouvernement n’ignore rien des difficultés du quotidien des agriculteurs, des éleveurs et des professionnels de l’agroalimentaire. Les demandes de la société pour une alimentation saine et de qualité, la protection de l’environnement, la bientraitance animale sont légitimes et le Gouvernement y est engagé, mais elles ne doivent pas s’exercer en usant d’incivilités voire de violences. Dans ce cadre, des moyens sont naturellement déployés pour permettre aux professions des filières touchées de travailler en toute sérénité et la mobilisation des services de l’État contre ce phénomène reste donc entière. Cette mobilisation s’est récemment traduite par la signature d’une convention entre le ministère de l’intérieur, la fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles et les jeunes agriculteurs, par la mise en place des observatoires départementaux contre l’agribashing et par la création de la « cellule nationale de suivi des atteintes au monde agricole » (DEMETER). Créée début octobre 2019 par la direction générale de la gendarmerie nationale, la cellule DEMETER est destinée à apporter une réponse globale et coordonnée à l’ensemble des problématiques qui touchent le monde agricole, en menant collégialement les actions dans les 3 domaines : – de la prévention et de l’accompagnement des professionnels du milieu agricole par des actions de sensibilisation et de conseils destinées à prévenir la commission d’actes délictueux, en lien avec les organismes de représentation du monde agricole ; – de la recherche et de l’analyse du renseignement en vue de réaliser une cartographie évolutive de la menace et détecter l’émergence de nouveaux phénomènes et/ou groupuscules violents ; – du traitement judiciaire des atteintes visant le monde agricole par une exploitation centralisée du renseignement judiciaire, un partage ciblé de l’information et une coordination des investigations le nécessitant. Cette coordination des investigations se fait en lien avec l’autorité judiciaire.