Le 25 février, Bastien Lachaud demandait au gouvernement pourquoi ce dernier a choisi de restreindre l’accès aux archives de la défense, ce qui contrevient à la liberté de la recherche et au devoir de mémoire.
M. Bastien Lachaud interroge M. le Premier ministre sur la restriction de l’accès des chercheurs aux archives du service historique de la défense. Sans explication ni débat public sur les raisons et les modalités de cette décision, le service historique de la défense a en effet annoncé appliquer à compter 1er janvier 2020 « des consignes reçues du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et des autorités du ministère des armées visant au respect de la réglementation sur le secret de la défense nationale dans le cadre de la communication des documents de plus de cinquante ans portant des mentions de classification ». Ces consignes imposent « un contrôle de l’ensemble des archives postérieures à 1940 faisant l’objet d’une demande de réservation » et, pour les documents portant des mentions de classification, une instruction au cas par cas et une déclassification formelle de chaque document. Cette décision et le régime restrictif qu’elle met en place vont à l’encontre de la recherche de la transparence, de la liberté de la recherche et du travail de mémoire exprimé depuis plusieurs décennies par les chefs de l’État et les gouvernements successifs. Ils contredisent notamment les récentes déclarations du président Emmanuel Macron lui-même, qui faisait part en janvier 2020 de son souhait que les archives de la guerre d’Algérie ne soient plus réservées aux seuls historiens, afin qu’un « travail politique mémoriel » puisse être entrepris. Le nouveau régime restrictif résultant des consignes données par le SGDSN porte atteinte au principe d’une publicité universelle de l’action publique et d’accès aux documents étatiques, garantie fondamentale protégeant les citoyens contre l’arbitraire, acquise depuis la Révolution française. Ce régime restrictif contredit le code du patrimoine, qui stipule que les archives publiques sont communicables de plein droit, sous réserve de délais de communicabilité. Plus spécifiquement, il paraît entrer en contradiction avec la loi 2008-696 du 15 juillet 2008 relative aux archives, conçue dans un souci d’ouverture accrue des archives publiques aux citoyens, et qui prévoit notamment que les documents classifiés relatifs aux secrets de la défense nationale soient accessibles à tous une fois expiré un délai de communicabilité fixé à 50 ans, sans qu’une déclassification au cas par cas par soit nécessaire. De fait, dans le cas d’un très grand nombre d’archives, ce délai légal de 50 ans est d’ores et déjà expiré, et les archives d’ores et déjà accessibles : vouloir a posteriori soumettre l’accès à ces documents à des restrictions et à un contrôle systématique et individuel contredit donc la législation en vigueur. L’on peut en outre s’interroger sur les conséquences d’un changement de régime : les personnes – archivistes, éditeurs, auteurs, chercheurs, etc. – ayant concouru, de bonne foi et sous le régime précédent, c’est-à-dire sans déclassification et après simple expiration du délai légal de 50 ans, à la diffusion et la publication de documents qui se trouvent aujourd’hui reclassifiés de fait, s’exposeront-elles à des poursuites rétroactives pour compromission du secret de la défense nationale ? Au delà de cette contradiction de droit, la procédure de contrôle et de déclassification formelle mise en œuvre depuis janvier 2020 pose des problèmes pratiques, d’une ampleur considérable. L’opération concrète de déclassification – par apposition d’un tampon, d’encres, d’inscriptions – risque d’endommager certains documents. Surtout, ainsi que le service historique de la défense le reconnaît lui-même, « l’application de ces consignes impose la mise en œuvre de procédures très lourdes qui ont des conséquences directes sur le délai de mise à disposition des archives ». De nombreux témoignages de chercheurs attestent déjà des retards de plusieurs mois qui en résultent et affectent directement leur travail. Le ministère des armées a indiqué le 11 février 2020 sa volonté de mettre à disposition des « moyens supplémentaires » afin d’accélérer les procédures. Mais le calendrier de mise en œuvre de ces moyens ni leur nature exacte ne sont connus et rien ne garantit qu’ils suffisent à garantir un accès rapide aux documents qui sont, pour l’heure, effectivement bloqués. En somme, qu’elles soient politiques, juridiques ou matérielles, les implications des consignes données au service historique de la défense sont d’une gravité extrême. Les documents ainsi rendus inaccessibles ne concernent pas que l’histoire militaire. Ils permettent d’écrire l’histoire de la Nation. Restreindre leur accès, c’est rendre impossible la recherche sur le passé et, partant, la compréhension des enjeux du présent et le débat démocratique. Comme l’écrit un collectif de chercheurs français et étrangers dans le journal Le Monde du 14 février 2020 : « ces mesures portent un coup d’arrêt brutal à la recherche sur des sujets essentiels pour la connaissance historique et le débat public dans notre démocratie », elles représentent « une atteinte très sérieuse à a réputation internationale de la France dans le domaine de la recherche historique ». Venant d’historiens reconnus en France et dans le monde et dont les travaux sur l’histoire de notre pays ont éclairé le débat public, un tel avertissement doit être pris au sérieux. C’est pourquoi il souhaite apprendre de sa part quelles dispositions il compte mettre en œuvre pour revenir sur les restrictions imposées de façon opaque à compter de janvier 2020, et pour garantir, au contraire, l’accès immédiat et sans réserve aux archives rendues publiques dans le respect du cadre et à l’issue des délais prévus par la loi de 2008.
Le 26 juin, le Premier ministre répondait :
L’article 413-9 du code pénal dispose que « présentent un caractère de secret de la défense nationale les procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers intéressant la défense nationale qui ont fait l’objet de mesures de classification destinées à restreindre leur diffusion ou leur accès ». Ce faisant, le code pénal donne une définition formelle du secret de la défense nationale, en supposant la présence sur le document ou l’information protégé d’un marquage de classification dont les niveaux sont définis par l’instruction générale interministérielle n° 1300 sur la protection du secret de la défense nationale, approuvée par arrêté du 30 novembre 2011. L’articulation de ces dispositions avec celles du code du patrimoine relatives à la communicabilité des archives classifiées au-delà d’un délai de cinquante ans [1] exige qu’avant sa communication à un consultant ou un chercheur non habilité à connaître du secret de la défense nationale, chaque document classifié ne soit plus couvert par des « mesures de classification destinées à restreindre sa diffusion ou son accès ». Tous les documents classifiés doivent ainsi faire l’objet d’un démarquage préalable, sauf à faire peser, sur les personnels des services d’archives autant que sur les consultants, un risque de poursuites pénales. C’est dans ce sens que l’instruction générale interministérielle 1300 sur la protection du secret de la défense nationale exige l’examen de chaque document classifié demandé à la consultation, y compris après l’expiration du délai de cinquante ans prévu pour sa communicabilité. L’application de ces règles destinées à protéger le secret de la défense nationale a pu heurter des modes de fonctionnement mis en place dans les services d’archives depuis plusieurs années, en imposant la mise en œuvre de véritables chantiers de déclassification sur de vastes ensembles documentaires et entraîner de fait un fort ralentissement des délais de traitement des demandes de consultations d’archives classifiées, en particulier au service historique de la défense (SHD). Pour résorber ce stock, deux types de mesures ont été décidées par le Gouvernement. D’une part le renforcement des moyens humains du SHD, d’autre part, la mise en œuvre, à titre exceptionnel, d’une procédure d’urgence accélérant le processus de déclassification formelle. Ces mesures devraient permettre, sous réserve des contraintes liées à l’état d’urgence sanitaire qui pourraient compliquer leur mise en œuvre, d’apurer d’ici l’été prochain le stock des archives de la Seconde Guerre mondiale de traiter ensuite l’ensemble des autres documents classifiés de plus de 50 ans postérieurs. [1] L’article L213-2 du code du patrimoine prévoit un délai de 50 ans pour les documents « dont la communication porte atteinte au secret de la défense nationale, aux intérêts fondamentaux de l’Etat dans la conduite de la politique extérieure à la sûreté de l’Etat (…) »