Coronavirus : vers la fin de l’Union européenne ?

L’épidémie de Covid-19 démontre l’incapacité des institutions européennes à répondre efficacement à une telle crise sanitaire et à prévenir la crise économique qui s’ensuit. Depuis l’apparition des premiers cas en Italie, les États ont agi seuls. La Commission européenne n’est véritablement intervenue que le 13 mars pour annoncer un plan de relance décevant et entériner les positions prises par les États membres en termes de restriction des déplacements et des échanges économiques. Cet attentisme dévoile l’inadaptation de l’Union européenne à la gestion de crise. Elle est le terrain de confrontation des intérêts contradictoires des États membres. Les tractations entourant les modalités du plan européen de relance de l’investissement dans les États membres montrent le fossé qui sépare les pays du nord et du sud de l’Europe. Car l’accord adopté hier par les ministres européens est insuffisant. Le dogmatisme budgétaire des pays nordiques peut dans cette crise causer la dislocation de l’Union européenne.

L’inutilité des institutions supranationales

On ne peut pas tout imputer à l’Union européenne, nous dit-on. Ses thuriféraires l’affirment, elle n’a qu’une compétence d’appui en matière de santé publique. Elle ne peut que coordonner l’action des États membres dans ce domaine. Ils oublient juste de rappeler qu’entre 2011 et 2018, la Commission a demandé 63 fois aux États membres de réduire leurs dépenses de santé. Mais finalement, à part pour imposer l’austérité aux peuples, l’Union n’est qu’une coquille vide. Ce sont les États qui décident des politiques européennes. Au premier rang d’entre eux, l’Allemagne bien sûr. La Commission n’a qu’une compétence limitée au soutien des États qui s’est matérialisée par la passation de commandes groupées de matériel médical et par l’attribution de financements en matière de recherche.

L’attentisme de la Commission

Cependant, malgré son incompétence de principe en matière sanitaire, l’Union européenne aurait pu agir par le biais des pouvoirs dont elle dispose. Il appartenait à la Commission, en vertu de ses attributions, de prendre et de proposer les mesures de restriction des libertés de circulation qui s’imposaient pour limiter la propagation du virus. Mais, enfermée dans la même logique strictement financière que notre gouvernement, les institutions européennes ont privilégié la préservation les libertés économiques et le dogme de la concurrence libre et non faussée à la protection de la santé des individus.

La Commission s’est notamment opposée à la restriction des déplacements transfrontaliers au sein l’Union au motif d’une atteinte à la libre circulation, avant de renoncer devant le fait accompli. Pourtant les traités permettent de déroger aux règles européennes pour des raisons de santé publique. Elle aurait donc dû inciter les États à prendre toutes les mesures, même contraires aux règles européennes, pour limiter la propagation du virus dans l’intérêt supérieur de la santé des citoyens européens.

Les aberrations des dogmes européens

Mais, au sein des institutions européennes, les considérations mercantiles prévalent toujours sur l’intérêt général des peuples. Même le bon sens a été balayé par l’impératif économique. Ainsi a-t-on pu voir voler des avions à vide, afin que les compagnies aériennes conservent leurs créneaux de vol, sans que les institutions européennes réagissent. Il a fallu près d’un mois aux institutions européennes pour corriger le tir alors que les circonstances exceptionnelles permettaient d’invoquer les dérogations prévues dans les traités. Les États ont donc individuellement suspendu l’application de ces règles avant que la révision de la réglementation européenne n’intervienne.

Les carences européennes se sont également illustrées en termes de soutien économique aux États dans la crise du Covid-19. La BCE a refusé dans un premier temps de soutenir financièrement les États européens. Seule la pression des marchés la conduit à accepter un programme d’achat de dettes publiques d’un montant de 750 milliards d’euros. Aux ordres des marchés, toujours. Mais même ce soutien est insuffisant. Et, si l’Union n’est pas à la hauteur, la crise économique qui se prépare risque de renforcer l’individualisme des États membres et peut-être de conduire à sa décomposition.

L’individualisme des États membres

Les crises révèlent les hommes et donc les États, ou plutôt leurs gouvernants. Et celle que nous traversons est, à cet égard, une épreuve pour la cohésion dans l’Union européenne. La solitude dans laquelle s’est retrouvée l’Italie au début de l’épidémie a montré l’absence de solidarité de ses plus proches voisins. Et les tergiversations entourant les modalités du soutien européen à la relance risquent de renforcer encore davantage les dissensions.

Il ne faut pas oublier que la France et l’Allemagne ont d’abord refusé de fournir à l’Italie des masques. L’arrivée de médecins chinois et cubains incite l’Allemagne et le Luxembourg à accueillir quelques patients dans leurs hôpitaux. La République tchèque est allée jusqu’à dérober des masques en provenance de Chine. On ne peut donc clairement pas parler de solidarité européenne. Au contraire, les États ont fermé leurs frontières unilatéralement et ont recherché des partenariats bilatéraux pour leur approvisionnement en matériel médical. Et les tentatives de l’Union de procéder à des achats groupés n’ont convaincu que peu d’États qui poursuivent en parallèle leurs propres programmes de ravitaillement.

La crise sanitaire a exalté l’individualisme des États européens et ouvert la voie au repli nationaliste. Et les discussions qui entourent le volet économique de la réponse à la crise du Covid-19 risquent de l’exacerber et de conduire, à terme, à l’explosion de l’Union européenne.

Un soutien européen clairement insuffisant

Le 13 mars dernier, la Commission a présenté son programme de lutte contre les conséquences économiques de l’épidémie. Elle a annoncé la suspension des règles budgétaires et débloqué 37 milliards d’euros pour faire face à la crise sanitaire (soutien des systèmes de santé et de chômage des États membres). Cependant, ces mesures sont insignifiantes au regard de la crise qui s’annonce. Les États vont devoir s’endetter pour couvrir les dépenses exceptionnelles engagées pour lutter contre l’épidémie, les pertes de recettes liées à la diminution de l’activité ainsi que l’investissement nécessaire à la relance de l’économie. Mais, alors que les pays du sud de l’Europe en appellent à la solidarité européenne, les pays du nord s’opposent à tout soutien inconditionnel.

« Coronabonds » ou utilisation du Mécanisme européen de stabilité, telle a été l’alternative au cœur de la discussion des derniers jours. Et celle-ci risque d’être tendue. La première option proposée par les pays du Sud consiste en une mutualisation des dettes publiques, ce qui leur permettrait d’emprunter à un meilleur taux du fait de la garantie européenne. La seconde option, préférée par l’Allemagne et les Pays-Bas, repose sur le mécanisme de prêt sous condition mis en place lors de la crise des dettes souveraines.

Un accord décevant

L’accord trouvé hier est une combinaison bancale de ces différentes options. Sur les 540 milliards déboursés, 240 milliards sont issus du Mécanisme européen de stabilité. Mais le prêt sera accordé sans contrepartie sous réserve que les fonds empruntés soient dirigés vers la santé. 200 milliards d’euros vont venir abonder un fonds de solidarité pour les entreprises et 100 milliards pour soutenir le chômage partiel.

Le gouvernement s’est félicité de cet accord au motif qu’il évite de recourir aux Coronabonds, conformément aux attentes des Pays-Bas et de l’Allemagne. Mais il ne fixe aucune condition dans l’octroi de l’aide, comme l’exigeaient les États du sud. Pourtant c’est une nouvelle capitulation de la France devant l’Allemagne. Pas de Coronabonds, alors que la France les demandait, il y a peu encore. Les États qui recourent à ces financements ne sont pas libres de leur utilisation. La destination des fonds alloués a été fixée par l’accord. Mais surtout le montant de l’aide est clairement insuffisant.

La crise sanitaire n’a pas impacté que les systèmes de santé des États membres. L’ensemble de l’économie a été touchée. Les États vont devoir investir massivement dans de nombreux domaines d’activité. Mais si l’Union les contraint à se financer sur les marchés, elle reproduira la même crise qu’en 2012. Et le risque d’une sortie de l’Union de certains États membres se reproduira. Or, cette fois, il est possible que l’Union n’y survive pas.

L’austérité est responsable, pas l’Italie

Car l’Italie n’est pas responsable de cette épidémie ni des conséquences économiques des mesures nécessaires à son endiguement. Au contraire, les programmes d’ajustement budgétaire imposés par la Commission après la crise des dettes souveraines ont participé à la destruction des mécanismes de protection sociale et des systèmes hospitaliers de l’ensemble des États membres. Cela a réduit de fait leurs capacités d’absorption des crises sanitaire et économique.

Il est donc tout à fait logique que l’Italie refuse de payer deux fois les conséquences de cette crise sanitaire. La proposition des Allemands et des Néerlandais de conditionner le soutien financier accordé aux pays subissant la plus forte diffusion du covid-19 à la mise en œuvre d’un plan d’austérité est inacceptable. Après avoir refusé de porter assistance à leur partenaire dans la lutte contre l’épidémie, l’Allemagne et les Pays-Bas veulent imposer leur orthodoxie budgétaire. Or, ces positions dogmatiques ne font qu’exacerber les nationalismes, alors que nous avons besoin de solidarité dans la lutte contre les conséquences socio-économiques de cette crise exceptionnelle.

Il faut racheter les dettes publiques

Ainsi, comme le note la Délégation France insoumise au parlement européen : « Face à l’un des plus grands défis de son histoire, l’Union européenne s’avère donc incapable de sortir des dogmes qui la tuent à petit feu. La seule solution viable est pourtant connue : c’est le rachat des dettes publiques par la Banque centrale européenne, pour organiser progressivement leur annulation. Il faut pour cela sortir des traités européens actuels qui empêchent la BCE de prêter directement aux États. C’est une des conditions pour sortir de la crise sanitaire d’aujourd’hui, faire face à la crise économique et sociale qui vient, et répondre enfin à la catastrophe écologique. »