M. le député Bastien Lachaud interroge Mme la Ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion, sur les conditions du recours au télétravail au sein des entreprises dans le contexte de la lutte contre la pandémie de coronavirus Covid-19.
Dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, le Président de la République a annoncé ce mercredi 14 octobre 2020 l’entrée en vigueur de mesures instaurant un couvre-feu entre 21 h et 6 h dans les zones d’alerte maximale, au sein desquelles le virus circule le plus activement. Ces mesures sont supposées viser à limiter la propagation du virus dans le cadre d’activités de loisirs et de réunions privées. Elles sont lourdes de conséquences sur la vie sociale de l’ensemble de nos concitoyens — l’émotion légitime qu’elles ont suscitée suffit à le mesurer. Elles sont susceptibles d’avoir des répercussions graves sur les secteurs économiques impactés, dans la restauration, la culture, le spectacle, etc. Ces motifs seuls devraient suffire à inciter les pouvoirs publics à observer la plus extrême prudence au moment d’évaluer leur nécessité. Surtout, les données fournies par les organismes de santé conduisent à s’interroger sur la pertinence de telles dispositions. Et à considérer que des mesures visant à limiter autant que possible les interactions en milieu professionnel seraient plus pertinentes et devraient impérativement être mises en œuvre.
De fait, selon les chiffres communiqués par Santé Publique France, sur les 1 070 foyers d’épidémie (« clusters ») en cours d’investigation en France au 5 octobre 2020, 20 % concernaient des entreprises privées et publiques et 35,3 % des établissements scolaires et universitaires, soit près de 60 % au total. A contrario, les événements publics ou privés ne représenteraient à la même date que 7,9 % des clusters en cours d’investigation et le milieu familial élargi 0,8 %. Si les clusters ne représentent pas la majorité des cas de contamination à la Covid-19 — dans la plupart des cas, un patient testé positif au virus ne peut être relié à un cluster du fait des difficultés du traçage —, il n’en reste pas moins qu’aucun indicateur chiffré ne permet d’affirmer comme le Président de la République que « les contacts privés sont les plus dangereux ».
Extrapoler à partir des clusters et des chaînes de contamination identifiées devrait plutôt conduire, au contraire, à estimer que c’est en milieu professionnel ou scolaire et universitaire que le virus se propage le plus facilement et couramment, beaucoup plus fréquemment qu’à travers les contacts avec quelques personnes familières appartenant à un même cercle social. En tout état de cause, les mesures de prévention ne peuvent se limiter à la sphère privée. Il convient donc d’examiner la nécessité d’adopter des mesures plus énergiques pour limiter la diffusion de l’épidémie dans le cadre scolaire et professionnel.
Cette dernière situation pose la question du recours aussi large que possible au télétravail, afin d’éviter les contacts et de rompre les chaînes de contamination. Dans ce domaine, l’action du Ministère du Travail semble s’être essentiellement limitée à des appels à la bonne volonté des entreprises — la ministre indiquait encore ce jeudi 15 octobre « qu’il est désormais demandé aux entreprises (…) de définir un nombre de jours minimal de télétravail par semaine pour les postes qui le permettent », mais sans obligation, à travers le dialogue social. Cependant, faute de mesures volontaristes et systématiques, ces appels risquent de rester lettre morte, entraînant un recours insuffisant au télétravail ainsi qu’une inégalité entre les salariés qui sont placés dans ce régime et ceux qui ne le sont pas.
M. le Député a été interpellé par un habitant de sa circonscription, qui partage ces inquiétudes et souhaite interroger, la ministre sur les mesures qui pourraient être prises pour limiter les interactions professionnelles. Il écrit : « Une mesure serait pourtant aisée, efficace et réalisable par décret. Toutes les entreprises disposent d’un Document Unique d’Évaluation des Risques Professionnels, rédigé en concertation avec les représentants du personnel. Il suffirait d’obliger les entreprises à rédiger une nouvelle section de prévention de risques dédiée à la COVID-19 qui évalue les possibilités de télétravail. L’inspection du travail pourrait alors juger de l’effort dans la prévention du risque de COVID-19, et des distribuer des amendes si une présence inutile dans les locaux est imposée. J’ai en effet dans mon entourage des personnes à qui le télétravail est strictement interdit par leur employeur, alors que leur travail est réalisable à distance. Cette interdiction met en danger leur santé et celle de leurs proches, en leur imposant des transports bondés, et en multipliant les interactions au travail. Actuellement, ils n’ont aucun moyen de levier sur leur employeur, les délégués du personnel se heurtant à une fin de non-recevoir. Un tel décret permettrait d’ouvrir du moins un dialogue, et la possibilité d’une inspection du travail, voire d’une amende, si l’employeur continue à s’opposer au télétravail sans raison valable. »
Une disposition de cet ordre pourrait être à même de garantir la santé et les droits des salariés, et l’égalité de tous et toutes face au risque sanitaire. Elle serait de nature à inciter les entreprises à prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger leurs salariés, et à garantir un recours systématique au télétravail partout où cela est possible. La propagation de l’épidémie de COVID-19 en milieu professionnel pourrait ainsi se trouver significativement freinée. Le recours à des mesures restreignant les libertés individuelles et pesant lourdement sur la vie sociale, tel que le couvre-feu, pourrait ainsi s’avérer superflu.
M. Bastien Lachaud souhaite donc obtenir l’éclairage de Madame la Ministre sur la possibilité d’une telle mesure de prévention de la COVID-19 en milieu professionnel. Il souhaite apprendre de la ministre les dispositions qu’elle compte prendre pour systématiser le recours au télétravail partout où cela possible, et garantir l’égale protection de tous les salariés face à l’épidémie.