L’arrivée du Covid-19 dans une société néolibérale, qui a méthodiquement ravagé ses propres capacités de riposte sanitaire a été ravageuse. Une société aussi moderne a dû recourir à une technique du moyen-âge pour empêcher la propagation de l’épidémie : le confinement.
J’analyse en détail ce phénomène et ses ressors dans un livre que j’ai publié au moment du déconfinement. Ce que je disais alors n’est que confirmé par ce qui se passe maintenant.
Toutefois, un phénomène qui n’apparaissait pas tellement au printemps est en train de prendre de l’ampleur : la transformation de la crise sanitaire en crise politique.
Ils ont détruit le consentement à l’autorité de l’État
L’apparition de l’épidémie en France n’aurait pas dû surprendre les autorités, mais a été une surprise pour la société toute entière. Le 7 mars, le Président de la République incitait à sortir et aller au théâtre malgré le Coronavirus. A peine 10 jours plus tard, il déclarait le confinement général du pays. Il y a de quoi être surpris. Toutefois, le confinement a été bien accepté et respecté, parce que les français ont bien compris l’urgence, la gravité de la situation sanitaire, et la difficulté de faire autrement.
L’exemple international aidait à comprendre qu’il y avait peu d’autres solutions possibles, la moitié de l’humanité a été confinée en même temps. Rares ont été les pays qui ne l’ont pas fait, et on en a peu parlé, comme le Vietnam. Et les pays qui ne le faisaient pas étaient sous la direction de personnes globalement perçues comme irresponsables, niant l’existence d’une pandémie, comme Trump ou Bolsonaro.
Toutefois, les conditions sont complètement différentes pour ce reconfinement. Les errements du gouvernement ont sapé l’autorité de leurs décisions. Les mensonges évidents, les contradictions par exemple sur les masques, les grandes déclarations contredites par les faits et l’évidence, ne permettent plus d’avoir cette confiance de principe dans le gouvernement. J’ai interpellé le gouvernement sur ce sujet, voyez la désinvolture de la réponse !
Et la nécessité de cette gestion de la crise sanitaire n’est plus du tout démontrée quand on voit que la Chine a pu fêter Halloween sans masques, dans la ville même d’où est partie l’épidémie.
Ils ont détruit le consentement aux règles sanitaires par leur incurie, et aussi par leur capacité à profiter de la crise sanitaire pour imposer des politiques libérales de destruction des règles du travail par exemple. Ou d’imposition d’une surveillance généralisée. La pandémie intervient juste après une très longue grève contre une réforme des retraites qui a suscité une large mobilisation populaire. Comment suivre le gouvernement, alors qu’il en profite pour saper encore davantage le code du travail ?
On ne peut pas respecter une règle matériellement impossible à mettre en œuvre
La crise politique prend de l’ampleur quand des pans entiers de la société refusent d’appliquer les décisions prises. C’est évidemment à craindre quand on prend des décisions impossibles à mettre en œuvre.
Par exemple, quand le gouvernement impose le port du masque sous peine d’amende, mais refuse la gratuité des masques. Alors il prend une décision impossible à mettre en œuvre, parce que des personnes déjà pauvres, et encore davantage appauvries avec la crise, se retrouvent à devoir choisir entre se nourrir et acheter des masques. Evidemment, ils choisissent de se nourrir, et portent les masques qu’ils peuvent, sans pouvoir les changer ou les laver autant de fois que nécessaire pour être bien protégés contre la contamination.
La France insoumise a demandé depuis avril la gratuité des masques. En vain.
De même qu’il est impossible de demander aux gens de rester chez eux, alors qu’ils n’ont aucune ressource. Il est impossible de demander aux gens de rester chez eux, alors qu’ils sont entassés dans un logement insalubre et surpeuplé. Ou plus encore pour les personnes qui n’ont déjà pas de domicile en temps normal, dans quel « chez eux » sont-ils censés rester ?
La règle est matériellement impossible à respecter encore quand le gouvernement envoie les enfants à l’école avec un « protocole renforcé », mais qui n’a de renforcé que le nom : il ne crée pas de salles de classe supplémentaires, il ne crée pas de lavabos ou point d’eau supplémentaires, il ne répare pas les fenêtres qui ne peuvent pas s’ouvrir, il ne diminue par le nombre d’élèves par classes. Donc il fait des phrases, parce que matériellement il est impossible de répartir davantage les élèves à moins d’en faire des demi-groupes.
Donc les élèves comme les enseignants et tous les personnels éducatifs vont être exposés à la contamination, alors qu’il n’est pas du tout prouvé que les enfants soient moins contaminants. Au contraire, l’exemple israélien tend à faire penser que c’est la réouverture des écoles qui a conduit à devoir reconfiner ultérieurement. C’est en tout cas ce qu’affirme une étude de leur ministère de la Santé.
Il est irresponsable de placer les parents devant l’alternative affreuse entre respecter la loi, et exposer leurs enfants à la contamination en les envoyant à l’école. De toute façon ils n’ont pas vraiment le choix, puisque le chômage partiel n’est plus possible pour garder ses enfants. Mais comment demander aux parents de ne pas chercher à protéger ce qu’ils ont de plus cher, leurs enfants ?
On ne peut pas respecter une règle qui condamne à la mort sociale
La rébellion des petits commerçants qui n’avait pas cette ampleur lors du premier confinement montre bien cette impossibilité. On ne peut consentir à ce qui nous condamne à voir tous ses efforts depuis des années réduits à néant.
Le Président de la République avait été rassurant lors du premier confinement : les conséquences économiques seraient prises en charge par l’Etat « quoi qu’il en coûte ». Mais on a pu voir depuis que ce n’était pas le cas. Que la fermeture administrative n’est pas compensée, que les aides sont sporadiques, que le plan de « relance » est indigent.
Il est difficile d’accepter de fermer boutique, alors qu’à côté les supermarchés, qui concentrent davantage de personnes aux mêmes endroits, qui donc sont un lieu de contamination plus probable, restent ouverts et font une concurrence déloyale. Il l’est encore davantage de fermer quand on sait que la clientèle va se reporter sur les géants du net qui en plus ne paient pas d’impôts en France, et que le gouvernement ne fait rien pour les taxer.
La rébellion des maires est un pas de plus dans la crise politique
La situation en est à ce point devenue impossible que les différents échelons de l’autorité politique s’opposent. Des maires prennent des arrêtés contraires aux décisions gouvernementales, pour permettre aux commerçants d’ouvrir malgré le confinement. Les tribunaux administratifs devront trancher rapidement.
De même que pendant le premier confinement, différents échelons administratifs se sont fait concurrence, étant donnée l’incapacité matérielle du gouvernement à fournir des masques à tous les hôpitaux. C’est ainsi que des masques commandés par des régions, ont été réquisitionnés par l’Etat pour les rediriger vers les régions les plus touchées, provoquant l’indignation des responsables régionaux.
La crise politique est ferment de Révolution… ou de chaos
On aurait tort de se réjouir de cette situation de crise politique. Même des opposants politiques du gouvernement, même des partisans de la 6e République.
Parce que cette crise politique peut tout aussi bien dégénérer dans la violence et le chaos. Les Révolutions adviennent quand les pouvoirs en place ont démontré leur incapacité matérielle de répondre aux besoins des populations. C’est le cas ici. Mais pour sortir par le haut, par une 6e République démocratique, écologique et sociale, il faut que le peuple politique parvienne à se fédérer sur ces mots d’ordre. Nous faisons tout pour que cela advienne, de manière pacifique et démocratique.
Mais le gouvernement fait tout pour exacerber les tensions, ce qui fait éclater la violence sociale, puis la répression. On l’a vu pendant le mouvement des Gilets Jaunes. Le gouvernement aux abois, acculé du fait de sa propre incapacité à gérer la crise, vire à l’autoritarisme.
Puisqu’il a lui-même sapé les fondements de l’autorité politique qu’il a, le consentement aux institutions, il risque de renforcer son propre autoritarisme encore et encore, jusqu’au point de rupture avec la société.