Défense européenne : ne laissons pas brader la France

LREM a déposé une proposition de résolution européenne relative à la défense européenne. J’ai dénoncé sa naïveté, visant encore une fois à promouvoir un couple-franco-allemand qui n’existe pas.
L’Allemagne poursuit ses intérêts, et c’est bien son droit, mais la France doit en tenir compte au lieu d’espérer qu’elle en fasse autrement par des vœux pieux comme cette résolution.

L’expérience des accords de Schwerin, dans le domaine spatial, où les capacités de recherche et industrielles françaises ont été siphonnées, devrait nous apprendre à nous méfier davantage, plutôt que d’aller encore plus loin dans la complaisance.

Lire le texte de mon intervention sur la défense européenne :

« Il faut en finir avec les illusions de l’autonomie stratégique européenne ». « Nous devons reconnaître que nous continuerons à dépendre des États-Unis ». Ce sont les mots de la ministre de la défense allemande Annegret Kramp-Karrenbauer. On les trouve dans une tribune publiée aujourd’hui même dans Politico.

J’avoue que dans ces conditions, je ne sais même pas comment on peut examiner sérieusement la résolution européenne qui nous est soumise aujourd’hui.

On nous a assez répété que « le couple franco-allemand » – comme personne ne le dit d’ailleurs outre-Rhin – est le cœur du projet européen. Sur cette bluette, on a conçu que des programmes d’armements franco-allemands constitueraient le couronnement de la coopération de défense et qu’ils permettraient de concrétiser ce fumeux concept d’autonomie stratégique européenne. Apparemment, il y a eu tromperie ou malentendu.

Depuis longtemps, j’alerte sur le naïveté coupable qui fait primer en France un chimérique intérêt européen quand nos partenaires ne se soucient que de leurs intérêts nationaux. J’alerte sur la duplicité du gouvernement allemand qui cherche à compléter sa suprématie économique d’une hégémonie politico-militaire.

Aujourd’hui, nous sommes embarqués ensemble dans trois programmes à plusieurs milliards : l’avion du futur (le SCAF), le char du futur (MGCS) et un programme d’avion patrouilleur maritime. Ces programmes ne sont pas menés entre égaux. Ils siphonnent des capacités industrielles françaises.

L’Allemagne en matière de diplomatie, de défense, mais aussi d’économie ne suit que son propre agenda et ne poursuit – c’est bien son droit – que son propre intérêt.

J’évoque régulièrement l’exemple de déloyauté des accords de Schwerin. J’y reviens : rappelez-vous comment l’Allemagne et la France s’étaient entendu pour se répartir la charge du développement de satellites optique et magnétique. Après avoir paralysé l’effort de recherche français, l’Allemagne avait finalement choisi de développer ses compétences dans les deux domaines, nous laissant le bec dans l’eau.

Du point de vue financier, notez que dans cette résolution, on salue une relance européenne à 750Md€. Il suffit de rappeler que le commissaire européen Thierry Breton réclamait lui un plan à 2 000 milliards, pour voir combien ce satisfecit est enfantin. Le gouvernement allemand a donné un os à ronger et il faudrait applaudir.

Pourtant, lorsqu’il s’agit de faire sauter un tabou, celui de l’équilibre budgétaire, le gouvernement allemand ne rechigne pas et investit plus de 11 points de PIB dans la relance.

Le décalage avec les 2,3 points consentis par le gouvernement français nous promet des catastrophes.

Du point de vue des relations internationales, l’écart ne cesse aussi de se creuser entre France et Allemagne. La complaisance que la chancelière montre envers la Turquie est aux antipodes des gestes de fermeté que la France attend d’un allié privilégié au moment même où monsieur Erdogan provoque des tensions en Méditerranée, viole l’embargo en Libye, envoie des mercenaires au Haut Karabakh, fait tirer sur des Français en Syrie en 2019 et injurie le Président de la République…

Il faut dire que ces atermoiements s’inscrivent bien dans la stratégie décrite par Mme Kramp Karrenbauer de soumission aux États-Unis.

Les programmes capacitaires franco-allemands ne sont nullement des moyens d’échapper à la vassalisation, comme on le fait miroiter ici. Ce n’est qu’un aspect de la mutualisation des moyens militaires promue par l’OTAN elle-même, et une habile méthode pour circonvenir les ambitions de la BITD française.

C’est pourquoi cette résolution est le dernier en date des vœux pieux que la France exprime au sujet de la défense européenne. Il nous approche un peu plus d’une déconvenue dangereuse. Il est encore temps de mettre un terme à cette mascarade et de placer avant toute considération la défense de l’indépendance de la France. C’est d’abord une affaire de volonté.