L’éducation prioritaire est donc la prochaine cible du gouvernement, qui entend détruire méthodiquement les services publics. Cette interview est la première pierre d’un projet de démantèlement de l’éducation prioritaire, pour créer une logique de projet, ouvrant la porte à l’arbitraire, la concurrence entre les établissements, et institutionnalisant la gestion de la pénurie.
Au lieu de donner la priorité à l’éducation, le gouvernement veut saccager les dispositifs de l’éducation prioritaire qui donnent plus de moyens aux établissements accueillant les élèves qui ont le plus de besoins.
Lire l’analyse du groupe thématique éducation de la France insoumise.
Question écrite au gouvernement, publiée le 08/12/2020 :
M. Bastien Lachaud interroge M. le Ministre de l’Éducation nationale sur l’avenir de l’éducation prioritaire. Le 22 novembre 2020, la secrétaire d’État à l’éducation prioritaire Mme Nathalie Elimas s’exprimait à ce sujet dans la presse. Ses propos ne manquent pas d’inquiéter. Elle a en effet déclaré au Parisien l’intention du gouvernement de « sortir de [la] logique de zonage » pour entre dans une logique de « projet ».
Cette intention, même soumise à expérimentation préalable, est grandement dommageable, puisque les contrats et projets, contrairement à la logique de zonage, relèvent du cas par cas. Certes, la logique de zonage a ses limites, puisque certains établissements sont isolés, ou dans d’autres endroits comme Aubervilliers ou Pantin, circonscription d’élection de M. Bastien Lachaud, certains établissements sont en REP et d’autres en REP + alors qu’ils présentent les mêmes profils, et font face aux mêmes difficultés. M. le député fait cependant observer qu’il est possible d’améliorer le zonage en fonction de critères précis. La logique de projet, au contraire, expose les établissements à l’opacité des critères et à l’arbitraire des moyens.
Le classement en REP et REP + donne en effet des moyens prédéfinis, qui sont les mêmes pour tous les établissements, des critères de nombres d’élèves par classe, des primes aux enseignants et des points de mutation sur lesquels ils comptent dans les projets de vie. Ce système est non seulement égalitaire, mais donne aussi de la lisibilité aux parents comme aux enseignants. À l’inverse, la logique contractuelle laisse libre cours aux rapports de force locaux, aux arrangements, voire à la concurrence entre les établissements. Les établissements n’auront pas « seulement » à faire le travail fixé par les programmes nationaux, mais devront en outre faire des projets, sans que pour autant les personnes ne soient réellement volontaires pour le faire. Contraints à faire davantage que leur travail pour espérer avoir les moyens matériels, humains et financiers de faire leur travail. Dans les faits, cela contraindra surtout à gérer la pénurie de moyens pour les établissements des milieux populaires à l’échelon local, et à culpabiliser les acteurs locaux. L’État se défaussant ainsi de sa responsabilité d’organiser l’égalité des droits, sur les établissements eux-mêmes qui n’ont presque aucun levier d’action. Quant à la limitation à trois ans du dispositif des « projets », elle laisse songeur, puisqu’il ne couvre même pas la scolarité entière d’un élève dans un établissement (5 ans en primaire, 4 ans en collège).
Par ailleurs, M. Lachaud souhaite savoir si ce dispositif entend mettre fin au dédoublement des classes de CP et CE1 mis en place au début du quinquennat.
Les garanties données par la secrétaire d’État, qui affirme que « les établissements labellisés REP + » ne seront pas touchés, pas plus que « pour l’année 2021, la carte des REP » ne sauraient rassurer réellement puisqu’elle semble impliquer que les choses changeront immédiatement après 2021.
Autre point évoqué, dans l’interview donnée par Mme Elimas au Parisien, le développement des « devoirs faits à distance » avec des « “bureau d’aide rapide”, appelé Bar, dans lequel des enseignants de différentes disciplines répondent aux questions des élèves quand ils font leurs devoirs chez eux », avec la logique d’un numéro vert est inquiétant à plus d’un titre. D’abord parce qu’elle entérine la logique numérique de l’aide aux devoirs, qui revient à admettre que les moyens ne seront jamais mis pour garantir une aide effective, par une présence physique d’adultes référents. Ensuite parce qu’une telle politique est vouée à l’échec. Les enfants des classes populaires sont ceux dont les parents ne peuvent payer d’aide à domicile, mais sont aussi ceux qui ont le moins d’équipement informatique, de connexion internet, de savoir-faire à la maison pour utiliser ces outils. Ainsi, il est à craindre que ces « Bar » bénéficient davantage aux catégories plus aisées de la population, et ne soient pas directement accessibles aux élèves qui en ont le plus besoin, mais n’y auront, de fait, pas accès. Par ailleurs, une telle initiative est sans doute malheureuse en ce qu’elle atteint directement au principe de la neutralité du net. Même si l’intention est de rendre accessibles des contenus pédagogiques, le risque est grand d’entériner un principe où les contenus internet sont différenciés. Cette remise en cause de la neutralité du net, même pour des buts pédagogiques, risque d’ouvrir la boîte de pandore de la différenciation des prix d’accès à internet. C’est ouvrir la porte à des forfaits à des prix différents, selon les contenus. Si l’État commence à remettre en cause la neutralité du net, il pourra difficilement l’imposer aux opérateurs.
D’autres mesures semblent plus à même de renforcer l’Education prioritaire, à commencer par attribuer réellement aux établissements les moyens dont ils doivent disposer, veiller au bon remplacement des professeurs absents, reconstituer le réseau des RASED.
Aussi, M. Bastien Lachaud souhaite apprendre du ministre s’il entend renoncer à ce qui est dans les faits une destruction de l’éducation prioritaire, et ce qu’il compte entreprendre afin que le principe républicain d’Égalité soit bel et bien appliqué en matière scolaire.
Lire la réponse, publiée le 20/07/2021 :
L’égalité des chances est une grande priorité du quinquennat et la création d’un secrétariat d’État dédié à l’éducation prioritaire, auprès du ministre Jean-Michel Blanquer, témoigne de la détermination du Gouvernement pour lutter contre les inégalités scolaires.
En réponse aux préconisations du rapport Mathiot/Azéma et après avoir rencontré différents acteurs de terrain de l’éducation prioritaire ainsi que de nombreux élus, Nathalie Elimas, secrétaire d’État chargée de l’éducation prioritaire, a annoncé l’expérimentation des contrats locaux d’accompagnement (CLA) dans trois académies (Lille, Nantes et Aix-Marseille) à partir de septembre 2021.
L’objectif est d’introduire plus de progressivité dans l’allocation des moyens en créant des CLA en faveur des écoles et des établissements socialement proches de l’éducation prioritaire ou bien ayant des besoins d’accompagnement particuliers identifiés. Il sera ainsi possible de répondre de manière proportionnée et différenciée aux enjeux des écoles et des établissements, territoire par territoire, au niveau académique. Ces contrats viseront à intensifier les prises en charges éducatives des élèves en répondant au mieux à leurs besoins, et permettront notamment de répondre aux problématiques des écoles défavorisées ou situées en quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV) qui ne sont pas rattachées à un réseau d’éducation prioritaire, des lycées professionnels et des territoires ruraux.
La liste des écoles et établissements scolaires retenus pour expérimenter ces CLA comprend à ce stade 99 écoles, 33 collèges et 40 lycées, identifiés par les autorités académiques parmi les écoles et les établissements dont les caractéristiques socio-économiques sont proches des moyennes de l’éducation prioritaire sans être situés en éducation prioritaire. La carte des réseaux REP et REP+ demeure aujourd’hui inchangée : les dispositifs qui y sont associés, tels que les dédoublements – mesure phare de la politique de renforcement des savoirs fondamentaux que mène le ministère depuis 2017 – demeurent également inchangés.
Un budget dédié de 3,2 M€ supplémentaires sera attribué par le biais d’un contrat conclu à l’échelle d’une école ou d’un établissement afin de permettre aux autorités académiques concernées de répondre à des problématiques locales de manière très réactive. D’une durée de trois ans, sa clause de revoyure sera déterminée localement. Parmi ces moyens figurent notamment l’attribution d’emplois, de crédits pédagogiques, d’heures supplémentaires et/ou d’indemnités.
Les moyens mobilisés dans le cadre de cette expérimentation, tant au plan national qu’au plan académique, seront distincts de ceux mis actuellement à disposition des écoles et collèges des REP et REP+.
Par ailleurs, la notion de projet évoquée dans la question était déjà présente à l’origine de la politique d’éducation prioritaire (circulaire n° 81-536 du 28 décembre 1981, circulaire n° 82-128 du 19 mars 1982 et circulaire n° 82-589 du 15 décembre 1982), qui insistait sur la nécessaire initiative locale et le projet au coeur de l’action éducative en éducation prioritaire.
Le développement de « e-devoirs faits » quant à lui, est une solution qui permet de faciliter la vie des élèves situés en zone rurale, dépendants des transports scolaires pour rentrer chez eux. De plus, les familles peuvent assister à distance à l’aide aux devoirs et ainsi mieux comprendre comment épauler leurs propres enfants lorsqu’ils rencontrent des difficultés. Elle présente enfin un avantage compte tenu de la crise sanitaire actuelle, puisque la distance permet de limiter le brassage des élèves dans une même salle de classe.