La réforme du franc CFA ne change rien aux relations Afrique-France

Le 10 décembre 2020, Bastien Lachaud s’est exprimé sur le projet de passage du franc CFA à l’ECO dans l’Union monétaire Ouest Africaine.

La fin du franc CFA est un symbole, mais guère plus qu’un symbole.
Cet accord signé en Côte d’Ivoire, très opportunément pour l’hôte Alassane Ouattara. Depuis, hélas, le président ivoirien a remporté des élections qu’aucun observateur rigoureux n’accepte de qualifier de démocratiques. Et il enchaîne un troisième mandat en contrevenant à la constitution ivoirienne.

Les dispositions monétaires ne vont pas permettre de faire les investissements dans les infrastructures, et ne serviront qu’à lutter contre l’inflation. Il s’agit toujours d’intérêts financiers et de ressources accaparées par des oligarchies et des affairistes. La nouvelle monnaie sera pas moins néolibérale que le franc CFA.

Enfin, cette nouvelle monnaie ne changera rien aux accords commerciaux déséquilibrés que l’UE a signés avec les état d’Afrique de l’Ouest, qui détruisent les agricultures et la pêche vivrières.

Lire le texte de son intervention :

Mme la Présidente, M. le Ministre, Mes chers collègues,

Nous sommes appelés à approuver un accord de coopération qui transforme le Franc CFA d’Afrique de l’Ouest en ECO. Bruno Le Maire a jugé qu’il était si important qu’on pouvait dire qu’il permet de « couper le cordon » entre la France et les États de l’Union monétaire ouest-africaine.

Cet accord est le premier du genre depuis 1973 et il serait confortable, d’y voir un bouleversement profond des relations que nous entretenons avec l’Afrique de l’Ouest et les anciennes colonies. Bien sûr, la politique et la diplomatie sont aussi affaires de symboles mais elles ne sauraient s’y réduire.

Or, ce texte nous laisse au milieu du gué. Rénover nos relations avec les États d’Afrique de l’Ouest impliquera bien davantage que cet accord signé en Côte d’Ivoire, très opportunément pour l’hôte Alassane Ouattara.

Depuis, hélas, le président ivoirien a remporté des élections qu’aucun observateur rigoureux n’accepte de qualifier de démocratiques. Il enchaîne un troisième mandat en contrevenant à la constitution ivoirienne. Cela sans que les autorités françaises ne s’en émeuvent beaucoup.

Bien sûr, refuser l’ingérence est une condition sine qua non de la rénovation de nos relations avec les États africains mais c’est une trop commode justification pour fermer les yeux lorsque sont bafoués les principes démocratiques les plus élémentaires.

Les fondements des relations franco-africaines n’ont guère été assainis. Il s’agit toujours d’intérêts financiers et de ressources accaparées par des oligarchies et des affairistes, là-bas certes ! mais également ici.

Du point de vue strictement économique, les standards de la mondialisation néolibérale ne seront pas non plus ébranlés. La nouvelle monnaie, l’ECO reste solidement arrimée à l’euro. La parité, la convertibilité rassurent du point de vue de la stabilité. 

Mais la lutte contre l’inflation est d’abord une politique au service des rentiers, et ne permet pas de financer les investissements dont les États ouest africains ont tant besoin. Elle est incapable de lutter contre le chômage massif qui frappe leur population extrêmement jeune.

Ces faiblesses sont d’ailleurs au cœur de la crise sécuritaire qui frappe ou menace un très grand nombre des États de l’UMOA. Mais au lieu d’apporter une aide qui permette de traiter les causes, nous restons obstinés à ne parler que des effets : la guerre, le terrorisme – djihadiste ou non – et le banditisme.

Alors certes, ce texte semble desserrer un peu la dépendance des États d’Afrique de l’Ouest à l’égard de la France et de l’Europe, et pourrait faire espérer que petit à petit on apprend la leçon. Bientôt peut-être on cessera de considérer les États africains comme un pré carré. Bientôt peut-être on cessera de penser que la question des migrations africaines est un processus dont il faut protéger l’Europe mais bien plutôt une hémorragie dont il faut protéger l’Afrique. A l’inverse, on considèrera peut-être bientôt que les nombreux étudiants africains qui viennent en France représentent une chance et un véritable investissement pour la prospérité de tous. Une fois compris cela, peut-être se rendra-t-on compte enfin que l’augmentation des droits d’inscription à l’université pour les étudiants étrangers est une injustice et une incroyable sottise.

Bientôt peut-être on cessera de nouer avec les États d’Afrique de l’Ouest des accords commerciaux déséquilibrés qui empêchent le développement endogène, menacent les agricultures et la pêche vivrières et participent à la destruction des écosystèmes.

Je veux d’ailleurs à cet instant avoir avec vous une pensée pour les victimes de l’émigration clandestine et en particulier pour les 140 personnes au moins qui ont perdu la vie en mer en quittant le Sénégal il y a près d’un mois. Nombre d’entre elles ne parvenaient plus à vivre des produits de leur pêche et venaient chercher en Europe un mirage de prospérité. Je regrette que la nouvelle de leur noyade n’ait pas suscité davantage de réaction et de compassion.

Je n’ai pas quitté notre sujet en vous disant cela. Car c’est en pensant à cette réalité humaine que nous devons nous prononcer sur cet accord monétaire. Certes son ambition ne pouvait être démesurée et d’autres négociations importantes sont en cours pour remplacer les accords de Cotonou ; certes il semble faire un pas dans la bonne direction. Mais voyez-vous, quand les enjeux sont si immenses, on ne peut seulement se satisfaire des symboles. Nos peuples, de part et d’autre de la Méditerranée méritent et demandent plus. Et ils ont raison !