Le 5 mai 2021, Bastien Lachaud a interrogé le gouvernement sur les dépenses militaires. La loi de programmation militaire prévoit explicitement que pendant l’année 2021, un débat parlementaire d’actualisation devait avoir lieu.Le gouvernement a décidé de s’en dispenser, et la commission de la Défense a organisé des auditions pour tout débat.
Le groupe de la France insoumise a donc décidé, sur son temps de contrôle parlementaire, d’organiser un débat sur l’actualisation de la LPM et la souveraineté.Les question de défense nationale méritent un vrai débat.
Lire le texte intégral :
Dans son article 7, la loi de Programmation militaire de 2018 disposait que plusieurs actualisations de la loi serait possible au cours de la période 2019- 2024 et qu’une devrait avoir lieu de toute façon avant la fin de l’année 2021. La loi précise : « Ces actualisations permettront de vérifier la bonne adéquation entre les objectifs fixés dans la présente loi, les réalisations et les moyens consacrés.»
La lettre est on ne peut plus claire et pourtant, madame la ministre, le gouvernement a décidé qu’aucun texte spécifique ne devait être voté au parlement au titre de l’actualisation. Il a même préféré ne pas organiser de débat : c’est sur l’initiative du groupe de la France insoumise que le Parlement débat aujourd’hui de l’avenir de la défense nationale. On reconnaît bien là le sens de la démocratie qui caractérise la présidence Macron.
Il y a pourtant matière à discuter. Hier en commission vous-même avez observé que des « ajustements » devraient être apportés. Mais cela ne justifierait pas de mener une discussion large et ouverte sur les besoins et les priorités de la défense nationale ? cela ne nécessite pas de vérifier qu’il y a adéquation des moyens aux fins ? Les documents qui ont finalement été transmis à la représentation nationale portent tous un seul message : tout est sous contrôle. On nous a fourni une liste des achats sans véritable justification. Aucune réflexion de fond et argumentée n’est proposée sur le format des armées. Tout au plus quelques notations éparses indiquent que les effectifs devraient augmenter. Mais on se garde bien de justifier les cibles d’embauche ni d’identifier comment on parviendra à pourvoir des postes, bien souvent restés vacants ces dernières années : je pense en particulier à certains dans le domaine cyber. On répète le mantra du modèle d’armée complet et on fait mine d’ignorer que c’est une fable. Nous savons par exemple que nous sommes en défaut dans le domaine du transport aérien tactique. Nous répétons sans cesse que Barkhane est tributaire des appareils danois et britannique. On sait aussi que la LPM telle qu’elle est conçue n’empêchera pas certains trous capacitaires après 2023. C’est par exemple vrai dans le domaine du ravitaillement en mer. Ce le sera aussi pour les capacités amphibies. Sur ce dernier point, songez que nous marchons vers des déconvenues dans la mesure où ce matériel est particulièrement utile dans l’aide aux populations en cas de catastrophe naturelle.
On trouve des généralités sur le besoin de redondance ou d’épaisseur des armées qui constituent tout de même une nouveauté par comparaison avec le rapport annexé à la LPM. Ces notions sont en nette contradiction avec la logique d’efficience qui prévalait encore il y a trois ans. Malgré tout, on nous demande d’admettre que la trajectoire budgétaire de la LPM est conforme à cette nouvelle logique.
De fait, la justification de cette trajectoire était largement artificielle : il s’agissait à toute force d’atteindre 2% du PIB pour les dépenses militaires, quitte à placer le plus gros de la hausse des crédits après les élections présidentielles de 2022.
D’ailleurs madame la ministre, vous l’avez concédé hier en commission, la crise actuelle nous a fait atteindre ces 2% plus tôt que prévu. Vous en tiriez curieusement un argument pour qu’aucun texte ne sanctionne l’actualisation de la LPM. Peut-être est-ce par crainte de voir Bercy refuser de continuer à engager des dépenses. En tout cas, je vois pour ma part que la réflexion avait bien été biaisée. On aurait mieux fait en 2018 de réfléchir en termes de besoins que de plafond de dépense
Parmi les grands absents de la réflexion autour de l’actualisation, il y a bien sûr, les OPEX : encore une fois, aucun bilan n’en est fait. Il a été considéré en 2018 que le niveau de dépense des OPEX serait fixé à 1,1 milliard d’euros et n’en bougerait plus. Eh bien, nous ne sommes toujours pas d’accord. D’une part, parce qu’il s’agit d’une remise en cause du principe de financement interministériel des OPEX. Vous espérez peut-être au fil du temps qu’on oublie qu’il a existé. D’autre part, nous refusons de tenir pour acquis que nos armées doivent maintenir un tel niveau d’engagement à l’extérieur : d’autant plus que les résultats ne sont pas concluants.
Ce point détermine évidemment une très grande partie du fonctionnement de nos armées : il affecte aussi bien la préparation opérationnelle que la régénération des matériels, soumis d’ailleurs à une usure particulière sur le théâtre sahélien.
Pour soutenir ces missions aux effets incertains, le gouvernement vante sa capacité à mobiliser les partenaires européens. D’une manière générale l’actualisation stratégique tire un bilan positif et exagérément flatteur de la coopération avec les. Au premier chef, il est alarmant de constater que les démarches de l’Allemagne pour imposer ses vues n’appellent aucune mise au point de la part du gouvernement. Au prétexte d’un « partage du fardeau », qui est un objectif mesquin et de courte vue, la France laisse l’Allemagne devenir petit à petit une nation cadre dans le domaine militaire. Je rappelle souvent comment elle a déchiré les accords de Schwerin sur le partage des compétences dans le domaine spatial. Je dois aujourd’hui vous signaler qu’elle se positionne résolument pour devenir leader dans ce domaine. Elle est devenue le premier financeur de l’Agence spatial européenne et sa contribution lui permet notamment désormais d’avancer sur le segment des mini-lanceurs.
Et on apprend aujourd’hui même qu’un accord aurait été trouvé pour notifier la commande d’un démonstrateur pour l’avion de combat du futur. Pour mémoire, le Bundestag sera appelé à voter sur un tel projet mais pas l’Assemblée nationale. On peine à croire que cela n’ait pas d’incidence sur l’exécution de la LPM.
D’une manière générale, les projets les plus structurants n’ont jamais fait l’objet d’un vote du parlement : la création d’un commandement de l’espace ? pas de vote ! Qu’il soit en étroite relation avec le centre de l’OTAN dédié à l’espace ? pas de vote. Le lancement du projet de Porte-avions de nouvelle génération ? pas de vote. Vont-ils affecter la trajectoire budgétaire de la LPM ? De quelle façon ? Est-on seulement capable de le dire précisément : on n’en saura rien.
De même pour les contrats d’armements. On annonce la vente de 30 Rafale à l’Egypte. On crie hourra et on passe à autre chose. Hier je demandais si la garantie d’emprunts que la France assurait à ce contrat passé avec un Etat notoirement surendetté pouvait avoir un impact sur l’exécution de la LPM. Vous m’avez seulement répondu que l’Egypte n’avait jusqu’à présent jamais fait défaut. Vous n’avez pas répondu à la deuxième partie de la question : combien ces mécanismes de garantie ont-ils coûté à l’Etat ces quinze dernières années ? Peuvent-ils affecter l’exécution de la LPM ?
Au-delà de cette considération financière, il faut se demander : armer la dictature du maréchal Al Sissi, est-ce une bonne chose ? Ne pas avoir obtenu de garantie en matière de droits de l’Homme ; ne pas avoir obtenu la libération de prisonniers politiques, comme Ramy Schaath, est-ce une bonne chose ? Non. Le partenariat étroit que la France sous Emmanuel Macron entretient avec les dictatures n’est pas de nature à garantir durablement la sécurité des Français. Il n’est que de voir la montée du sentiment anti-Français dans bien des régions. Mal gré que vous en ayez, madame la ministre, tout ne peut pas être imputé à la manipulation de l’information par des puissances rivales.
Pour conclure, je rappelle que ces dernières années ont vu se multiplier les modalités de confrontation et leur intensité. Nos hôpitaux ont par exemple fait l’objet de nombreuses attaques informatiques. Chacun voit que la compétition pour les matières premières est en train de prendre un tour critique. L’emprise que certains acteurs privés et notamment les GAFAM conquièrent petit à petit sur nos vies est sans précédent dans l’histoire. Elle appelle une réponse extrêmement ferme des Etats et notamment de la France : par exemple pour garantir nos câbles sous-marins. La situation est très dégradée et la pandémie de covid-19 a montré l’étendue de notre dépendance aux approvisionnements extérieurs. Mais les conclusions que tirent l’actualisation stratégique sont. Comme la revue stratégique, elle sert de justification à une politique de saupoudrage et de mutualisation des moyens au niveau européen plutôt qu’à une véritable mobilisation des ressources de notre peuple. C’est notamment ce que permettrait la création de la conscription citoyenne défendue par la France insoumise et dont environ un quart des participantes et participants, sur la base du volontariat, seraient affectés à la défense nationale. C’est le meilleur garant de notre résilience et de notre indépendance face aux menaces émergentes.
A cet égard, je souhaite faire observer un détail sémantique qui résume la réalité des ambitions du gouvernement. Aux notions de souveraineté nationale ou d’indépendance, les auteurs de l’actualisation stratégique ont subrepticement substitué l’expression « d’autonomie nationale ». Quel aveu !
Je vous le dis madame la ministre : la France n’est pas un petit état pourvu d’une certaine autonomie au sein d’une fédération européenne. La France est un Etat souverain et cette souveraineté réside dans son peuple. Sa défense doit être indépendante et au service de son indépendance. Elle ne doit s’aligner sur aucune autre puissance mais assumer une politique de grandeur pacifique au service de l’intérêt général humain. Tel devrait être le cap ambitieux de la LPM.