Sauvons l’imprimerie de l’IGN !

Question écrite au gouvernement, posée le 07/09/2021 :

M. Bastien Lachaud alerte Mme la ministre de la transition écologique sur l’externalisation de l’impression des cartes de l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN).

En effet, ces cartes ne devraient plus être imprimées, à compter de 2023, que par des sous-traitants, sous le prétexte de faire des économies. Or l’activité d’impression de cartes est à ce jour rentable, d’autant plus qu’avec la crise sanitaire, les activités en plein air ont connu un regain et les achats de cartes papier ont bondi significativement (57 % en 2020 par rapport à 2019, 29 % en 2021 par rapport à 2019). Malgré cela, la rentabilité n’est pas un critère d’existence ou non d’un service public.

Les cartes nécessitent des papiers d’une taille et d’un grammage spécifiques. Les produire demande des qualifications professionnelles précises, assurées aujourd’hui par 25 ouvriers d’État, imprimeurs, photograveurs, fabricants, ou encore plieurs. L’externalisation vers des imprimeurs privés laisse craindre une baisse de qualité, des économies minimes et surtout une augmentation des coûts et donc du prix des cartes. L’externalisation de cette activité de service public risque à court terme d’entraîner une rupture d’accès au service public, comme ce fut le cas pour d’autres services publics qui ont été externalisés. Seules les activités les plus rentables risquent d’être conservées, les autres moins rentables, mais qui sont toutefois d’utilité publique, sont abandonnées.

Mais, compte tenu des impératifs techniques de l’impression des cartes, il est à craindre que cette externalisation ne soit qu’une première étape vers la fin de l’impression des cartes papier, comme le dénonce le syndicat CGT de l’IGN. En effet, les risques sont grands que l’activité d’impression de cartes de façon externalisée ne soit pas rentable pour l’IGN, trop complexe et coûteuse et ne soit ensuite abandonnée. Si l’imprimerie de l’IGN a été démantelée entre temps, la machine vendue, les savoir-faire professionnels des ouvriers d’État dispersés, il sera impossible de reprendre l’impression publique des cartes.

Ainsi, le service public cartographique imprimé risque de disparaître à moyen terme. Les risques de cette sous-traitance, menant quasi inévitablement à la fin de l’impression des cartes, sont nombreux.

L’augmentation des coûts en conséquence de l’externalisation va inciter à utiliser l’application numérique, qui ne remplit pas les mêmes fonctions et n’apporte pas pour l’instant une équivalence ou une supériorité d’usage à la carte papier. En effet, la carte permet d’avoir une appréciation globale de l’environnement. Pour les randonneurs, elle permet de planifier un trajet dans son ensemble et d’anticiper l’itinéraire. La vision sur écran contraint de n’avoir qu’une vision locale. Plus encore, les personnes se fiant à des services de géolocalisation risquent de se mettre en danger du fait de leur marge d’erreur. Sans compter le fait que les batteries des outils numériques ne sont pas illimitées : des randonneurs perdus comptant sur leurs téléphones pour se retrouver risquent de se retrouver sans aucune carte si celles-ci venaient à faiblir, les mettant d’autant plus en danger. Enfin, la généralisation de ces outils numériques va faire perdre aux usagers la compétence de lire une carte.

Plus encore, l’impression publique des cartes revêt un enjeu de souveraineté. En effet, l’impression des cartes est une ressource non seulement pour le grand public, mais celles-ci sont aussi utilisées par les armées. Or le décret n° 2011-1371 du 27 octobre 2011 relatif à l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN), prévoit dans son article 5 que « l’exécution des travaux demandés par le ministre de la défense est assurée en priorité. L’institut assure la formation technique en géomatique et en cartographie des personnels relevant de ce ministre ». Il semble impensable de sous-traiter ce type de missions, dont certaines pourraient nécessiter une habilitation, à un imprimeur privé, dont les salariés ne sont pas habilités. Le ministère des armées ne disposerait donc plus d’un moyen fiable d’obtenir rapidement des cartes imprimées en cas de besoin.

Les cartes peuvent avoir un intérêt tactique décisif et ne peuvent résider uniquement dans des équipements numériques. En effet, ceux-ci sont toujours susceptibles de pannes, de brouillage, dépendent des capacités spatiales. L’exigence de résilience des armées face à des menaces cyber demande à pouvoir disposer d’alternatives, notamment de cartes papier. Dans le passé, des batailles ont été perdues faute de cartes. Ainsi, lors de la guerre de 1870, l’état-major n’a pas de cartes de la région et ignore les positions exactes de l’ennemi. Les officiers français ont même pu utiliser des cartes allemandes du territoire français ! De nouvelles cartes ont été éditées dans l’urgence, dans des conditions rocambolesques. Des officiers, incapables de lire les cartes d’état-major ne savaient comment agir, ni comment exploiter à leur avantage les éléments géographiques du terrain de bataille. Ces lacunes ont eu un rôle important dans la défaite militaire. Cette expérience, même lointaine, doit instruire, car si les technologies les plus modernes venaient à faire défaut, même ponctuellement, il ne faudrait pas que les armées françaises se retrouvent dans la même situation que leurs lointains prédécesseurs, sans cartes.

Ainsi, il lui demande de garantir que l’impression des cartes IGN reste un service public, garantisse la pérennité de l’impression de ces cartes et renonce à ce projet d’externalisation.

Image par Th G de Pixabay