60 ans du CNES : longue vie à l’indépendance de la France dans l’espace !

Le Centre national d’études spatiales (CNES) fête ses soixante ans aujourd’hui. C’est une des plus anciennes agences spatiales au monde. Dans l’effervescence des Trente glorieuses, sa fondation exprimait une grande ambition pour la France : faire partie du club fermé des puissances spatiales disposant de capacités autonomes. cette ambition s’est

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Le Centre national d’études spatiales (CNES) fête ses soixante ans aujourd’hui. C’est une des plus anciennes agences spatiales au monde. Dans l’effervescence des Trente glorieuses, sa fondation exprimait une grande ambition pour la France : faire partie du club fermé des puissances spatiales disposant de capacités autonomes. cette ambition s’est rapidement matérialisée avec le succès du lancement de Diamant A, le 26 novembre 1965, effectué depuis le Centre interarmées d’essais d’engins spéciaux à Hammaguir, en Algérie. L’essai transformé a enclenché un cycle d’avancées scientifiques et techniques, et hissé le CNES au rang d’agences spatiale de premier plan. Inventivité et sens de l’indépendance, il en aura fallu pour maintenir ce rang dans le contexte tendu de la Guerre froide.

L’ère des succès

L’espace est alors le théâtre d’une guerre de position idéologique entre les deux Blocs de l’Ouest et de l’Est. La France parvient à préserver son pré carré sans jamais s’aligner. Au contraire, elle n’a de cesse de s’engager dans des coopérations internationales. Remarquable constance. Cela n’a pas toujours été simple, comme l’attestent les débuts de l’Europe spatiale dans les années 1960. Néanmoins, les efforts ont payé. Grâce à l’obstination des ingénieurs et des responsables du programme spatial français, l’Europe spatiale s’est trouvé une lignée de véhicules pour accéder à l’espace : Ariane. C’est toute une filière industrielle qui s’est peu à peu structurée autour des sites de Toulouse et de Kourou. Des lanceurs aux satellites, jusqu’aux applications, le CNES est donneur d’ordre et maître d’ouvrage « omnicompétent ». L’État en a fait une priorité, en accordant un budget significatif (le deuxième au monde, rapporté au nombre d’habitants).

Finalement, la France maîtrise l’ensemble des savoirs et savoir-faire de la technologie spatiale et s’est ainsi donné les moyens de peser dans le concert des nations spatiales. Faire l’inventaire des réussites passées serait fastidieux, tant elles sont nombreuses. Elles vont des missions scientifiques aux applications technologiques et commerciales, touchent une variété d’usages, de l’astronomie spatiale à l’observation de la Terre, jusqu’aux recherches en microgravité à bord des stations spatiales. C’est par ce biais que le CNES, en partenariat avec d’autres agences, a maintenu son excellence technique pendant des décennies.

Menaces sur un modèle d’excellence

Mais il faut être vigilant. L’entrée dans le nouveau millénaire a banalisé de nouvelles conceptions des usages de l’espace, qui peuvent dénaturer l’identité même du CNES. Le « New Space » fait partie de ces tendances. La perspective d’une conquête spatiale tirée par les intérêts privés et marchands existe depuis les années 1960. Elle ne cesse de s’accentuer après la chute de l’URSS pour devenir le slogan des agences spatiales publiques depuis quelques années. Chacun fait mine de préserver l’autorité culturelle et politique des organisations gouvernementales mais la petite musique insidieuse de la marchandisation s’installe et recouvre tout. Certains cèdent à la fascination des entreprises « iconiques » de l’impérialisme étasunien, en particulier SpaceX. Plutôt que de marquer sa différence, on cède à un dangereux conformisme à l’heure de la « start-up nation ».

Certes, le mandat du CNES inclut le commerce mais ça n’est pas une entreprise comme les autres. L’orienter comme simple pourvoyeur d’innovations techniques pour conquérir des parts de marché est un pis-aller, une impasse stratégique, et c’est pourtant la direction qu’a choisie le gouvernement, dans la continuité des précédents. Sous tutelle de Bercy, le CNES devient le bras armé d’une vision mercantile de l’espace, qui procède par l’externalisation, la privatisation et la vaine dépense dans les « jeunes pousses » d’un improbable New Space français. La privatisation de la filière des lanceurs Ariane et, en interne, la destruction de la Direction des lanceurs, confirment une dépossession technique sans précédent. Le CNES est déboussolé par les financiers de Bercy. L’excellence technique est bradée. La transmission du savoir-faire, de même, est menacée par le manque de perspectives offertes aux nouvelles générations d’ingénieurs, qu’une carrière au CNES ne tente plus. Autant aller travailler dans l’industrie privée plutôt que de végéter dans un centre voué à imiter les modes de l’industrie spatiale « 2.0 ».

60 années de plus !

Dans ces conditions, célébrer cet anniversaire laisse un goût amer… Un beau cadeau pour le CNES serait de réactiver la politique d’indépendance et relancer l’astronautique française, dans l’environnement bouleversé que nous traversons aujourd’hui. Cela supposera, notamment :

  • de refuser toute fuite en avant de la marchandisation ; d’investir dans des missions et des programmes utiles à la connaissance, à la bifurcation écologique, au développement, à la planification sanitaire
  • de repenser de fond en comble le gouvernement des activités spatiales, en France comme en Europe 
  • de garantir à la France l’accès à l’espace 
  • de replacer le CNES en inspirateur et aiguillon de l’exploration de l’espace, au service de l’intérêt général humain

Il est encore temps de sortir de l’ornière.

(texte co-écrit avec Jean-Jacques Parson)

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