Interdisons la publicité pour les paris sportifs en ligne

A l’approche de la coupe du monde de football, il semble indispensable de réguler les paris sportifs en ligne, et interdire la publicité pour de telles activités. En effet, ces publicités se situant dans les limites de la législation, opèrent un démarchage agressif en direction de la jeunesse, et particulièrement

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A l’approche de la coupe du monde de football, il semble indispensable de réguler les paris sportifs en ligne, et interdire la publicité pour de telles activités.

En effet, ces publicités se situant dans les limites de la législation, opèrent un démarchage agressif en direction de la jeunesse, et particulièrement celle vivant dans des quartiers populaires. Les conséquences peuvent être terribles sur une population déjà économiquement fragile : endettement, addiction, isolement, etc.

Question écrite au gouvernement, posée le 22/11/2022 :

Monsieur le député Bastien Lachaud interroge monsieur le Ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, sur la régulation du secteur des jeux d’argent en ligne et plus particulièrement des paris sportifs, et des pratiques publicitaires ciblant les populations les plus jeunes.

Les paris sportifs en ligne ont en effet connu une croissance exponentielle au cours des dernières années. Selon l’Autorité Nationale des Jeux (ANJ), la prochaine Coupe du monde de football au Qatar sera l’événement sportif où les mises sur internet seront les plus importantes, au minimum 530 millions d’euros en France, soit une croissance de 70% de plus par rapport au Mondial 2018, organisé en Russie. 

Dans le bilan qu’elle dresse de l’année 2021, l’ANJ évoque une « progression spectaculaire des jeux en ligne », dont les paris sportifs constituent le principal moteur. Sur l’année 2020/2021, le secteur des paris sportifs connaît une envolée vertigineuse : le volume des mises augmente de 47% ; le produit brut des jeux de 44% ; le nombre de comptes joueurs actifs augmente de 16% pour atteindre 4,5 millions ; le chiffre d’affaires par compte joueur actif croît à hauteur de 25% pour atteindre 303 euros en 2021. C’est à cette croissance des jeux en ligne et des paris sportifs, essentiellement le football que l’on peut attribuer l’essentiel de la progression du chiffre d’affaires du secteur des jeux d’argent, qui a enregistré une croissance de 7% en 2021.

Cette croissance importante s’explique notamment une ouverture croissante des jeux et paris sportifs en ligne à la part la plus jeune de la population. Selon une étude réalisée en 2021, les dépenses en paris sportifs en ligne des 18-24 ans avaient enregistré une hausse de 127% au cours de la première moitié de l’année, et de 30% sur la seule période correspondant au championnat d’Europe de football. Les 18-24 seraient désormais la tranche de population qui effectue le plus de transactions liées aux paris sportifs en ligne, suivis des 24-35 ans. Les moins de 18 ans sont également touchés : selon une récente enquête commandée par l’ANJ, plus d’un tiers des 15-17 ans auraient joué à un jeu d’argent au cours de l’année 2021, en dépit de leur interdiction aux mineurs.

Cette implication croissante des plus jeunes adultes résulte directement d’une stratégie publicitaire agressive et délibérée de la part des acteurs du jeu en ligne. Les budgets publicitaires des principales entreprises du secteur auraient ainsi augmenté de 26% entre 2019 et 2021. Des campagnes publicitaires massives mettent en scène des jeunes et reprennent les codes qui leurs sont familiers. Elles ciblent en particulier les habitants des quartiers populaires. Elles se situent à la limite de ce que la régulation autorise, en valorisant le jeu comme une forme de réussite sociale et un moyen de sortir de difficultés personnelles, professionnelles et sociales.

Illusion de puissance et de réussite facile, pertes considérables d’argent, addiction, isolement social : les conséquences sont graves pour les jeunes victimes de ce démarchage agressif. Un nombre croissant d’enquêtes publiées par la presse comme d’acteurs associatifs impliqués dans la prévention alertent sur les ravages des paris sportifs dans la jeunesse, en particulier chez les jeunes les plus vulnérables issus des quartiers populaires. La secrétaire d’État chargée de la jeunesse s’est elle-même inquiétée de ce phénomène, dans une lettre adressée à la présidente de l’ANJ en juillet 2021.

Le 23 février 2022, l’ANJ dévoilait un plan d’action visant à prévenir le jeu excessif des plus jeunes, élaboré après consultation des acteurs du secteur. La stratégie promotionnelle annuelle des 15 opérateurs de jeux agréés doit être soumise à des « recommandations » de l’ANJ. Des « lignes directrices » « souples » interprétant le décret du 4 novembre 2020 sur les communications commerciales liées au jeu doivent orienter et encadrer tant le contenu que la fréquence des messages publicitaires. Il y a cependant lieu de douter de l’efficacité de telles mesures, au regard de leur caractère essentiellement non-contraignant, qui laisse pour l’essentiel aux opérateurs la responsabilité de se réguler eux-mêmes. La présidente de l’ANJ assurait ainsi en février dernier que l’ANJ n’est « pas l’ennemie de la publicité, qui permet à l’offre légale d’être connue ». « Nous aurons un comité de suivi : si cela ne marche pas, nous aurons toujours la réponse législative et réglementaire : mais ce serait dommage pour les opérateurs eux-mêmes ».

De telles dispositions paraissent loin d’être à la hauteur des enjeux et des risques encourus, en particulier par les publics les plus vulnérables. D’autres pays européens tels l’Italie, l’Espagne ou la Belgique ont ainsi agi de façon beaucoup plus énergique. L’Espagne encadre strictement les horaires de diffusion des publicités pour les paris, qui n’est autorisée qu’entre 1h et 5h du matin à la télévision et à la radio. L’Italie a fait le choix d’interdire toute publicité pour les paris et les jeux d’argent à la télévision, sur internet ou à la radio. La Belgique a introduit un seuil maximum d’un spot télévisé réservé aux paris sportifs par page de publicité en période normale ; pendant la retransmission d’une compétition sportive, les publicités pour les paris sportifs sont effectivement interdites. Par comparaison, la France apparait aujourd’hui très en retard et permissive.

Des dispositions réglementaires ou législatives beaucoup plus contraignantes doivent être prises pour encadrer les jeux d’argent et les paris sportifs en ligne et leurs pratiques commerciales agressifs.

Monsieur le député souhaite apprendre de monsieur le ministre les mesures que le gouvernement compte prendre dans ce sens.

Lire la réponse, publiée le 07/02/2023 :

Les pouvoirs publics sont particulièrement attentifs à l’encadrement des paris sportifs en ligne, alors que sont programmées de grandes compétitions sportives entre 2022 et 2024 et que l’activité des paris sportifs en ligne connaît une forte croissance, en particulier auprès de parieurs âgés de 18 à 35 ans.

La politique de l’État en matière de jeux d’argent et de hasard, telle que la définit l’article L. 320-3 du code de la sécurité intérieure (CSI), a pour objectif constant de limiter et d’encadrer l’offre et la consommation des jeux et d’en contrôler l’exploitation, afin notamment de prévenir le jeu excessif ou pathologique et protéger les mineurs.

Pour garantir le respect de cet objectif, l’ordonnance n° 2019-1015 du 2 octobre 2019 réformant la régulation des jeux d’argent et de hasard a, d’une part, rénové le cadre légal des jeux d’argent et de hasard en France et, d’autre part, regroupé les différentes missions de régulation au sein de l’Autorité Nationale des Jeux (ANJ), nouvelle autorité de régulation mise en place en juin 2020 et dotée de pouvoirs renforcés.

En premier lieu, l’encadrement des communications commerciales des opérateurs et le dispositif de prévention du jeu excessif et pathologique ont été récemment renforcés. Les publicités des opérateurs doivent être assorties d’un message de mise en garde contre le jeu excessif ou pathologique, ainsi que d’un message faisant référence au système d’information et d’assistance prévu à l’article 29 de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne.

Ce message doit figurer sur chaque support publicitaire ou promotionnel et contenir notamment le numéro du service de communication en ligne du dispositif public d’aide aux joueurs mis en place sous la responsabilité de l’agence nationale de santé publique. Certaines communications commerciales sont interdites, notamment : celles incitant à une pratique de jeu excessive, banalisant ce type de pratique ; celles contenant des déclarations infondées sur les chances qu’ont les joueurs de gagner ou les gains qu’ils peuvent espérer ; celles suggérant que jouer peut être une solution face à des difficultés personnelles, professionnelles, sociales ou psychologiques.

Les opérateurs de jeux sont, en outre, tenus de prévenir les comportements de jeu excessif ou pathologique par la mise en place de dispositifs de modération, d’auto-exclusion, et d’auto-limitation des dépôts et des mises. Ils doivent identifier les personnes dont le jeu est excessif ou pathologique et les accompagner en vue de modérer leur pratique, dans le respect de l’arrêté de 9 avril 2021, pris sur proposition de l’ANJ, définissant le cadre de référence pour la prévention du jeu excessif ou pathologique et la protection des mineurs.

En second lieu, l’ANJ a été dotée d’importants pouvoirs pour exercer ses missions. L’ANJ a bien constaté que la visibilité accrue de l’offre de paris sportifs en ligne auprès des jeunes résulte de l’augmentation des budgets publicitaires que les opérateurs de jeux y consacrent (239 M€ dans la publicité en 2021). Elle dispose de moyens de nature à endiguer ces pratiques publicitaires. L’ANJ peut ainsi exiger le retrait d’une communication commerciale comportant une incitation excessive au jeu et mener des contrôles sur place. En outre, tous les opérateurs de jeux sont tenus de lui soumettre chaque année pour approbation leur stratégie promotionnelle ainsi que leur plan d’action en matière de prévention du jeu excessif et de protection des mineurs.

À ce titre, au regard des dérives en matière de surenchère publicitaire constatées lors du championnat d’Europe de football, l’ANJ a réuni les opérateurs de paris sportifs en juillet 2021 pour faire un bilan intermédiaire de la mise en œuvre de leurs stratégies promotionnelles telles qu’approuvées par le collège de l’ANJ en janvier 2021. Le collège de l’ANJ est habilité à poursuivre les opérateurs de jeux ou de paris dont les comportements sont contraires aux dispositions législatives ou réglementaires applicables à leur activité, notamment en matière de publicité.

À ce titre, la jurisprudence du Conseil d’État a en outre reconnu à l’ANJ le pouvoir de contrôler le respect des dispositions générales du code de la consommation et de sanctionner le cas échéant toute infraction à ces dispositions (pratiques commerciales déloyales, trompeuses ou agressives notamment). L’ANJ a diffusé en février 2022 des lignes directrices précises et opérationnelles sur la publicité sur son site internet ainsi que des recommandations.

Par ailleurs, depuis le 31 décembre 2020, a été confiée à l’ANJ la gestion du fichier – initialement tenu par le ministère de l’intérieur – des interdictions volontaires de jeux (sites de paris sportifs, jeux de la Française des jeux ou du PMU réalisés en ligne ou en points de vente avec un compte joueur, etc), lequel apparait comme une réponse possible au mécanisme d’addiction.

Le nouvel article D. 320-10 du CSI introduit par le décret n° 2020-1349 du 4 novembre 2020 complète l’interdiction de publicités visant les jeunes, en précisant que sont également prohibées celles mettant en scène des personnalités ou personnages appartenant à l’univers des mineurs. L’ANJ conduit en outre à destination des jeunes ainsi qu’à celle de leur entourage familial, des actions d’information et de sensibilisation sur les réseaux sociaux (directement ou relayées par des influenceurs). Enfin, d’importantes mesures ont été prises récemment dans le cadre des travaux engagés par l’ANJ en 2022. Le 23 février 2022, l’ANJ a publié les lignes directrices mentionnées ci-dessus. Les dispositions du CSI précisent que toute communication commerciale visant à mettre en avant des jeux d’argent et de hasard est interdite lorsqu’elle suggère que jouer contribue à la réussite sociale.

Dans ces lignes directrices, l’ANJ précise son interprétation de cette interdiction :

i/ les communications commerciales ne doivent pas associer la pratique du jeu d’argent et de hasard avec la possibilité de changer de statut social, de vivre des expériences hors du commun ou d’accéder à des services habituellement considérés comme réservés à des personnes très fortunées, par exemple un voyage en jet privé ou une croisière en yacht de luxe ;

ii/ les publicités hyperboliques sont autorisées sous réserve qu’elles n’aient pas pour effet, par le recours à l’emphase, à la parodie ou à une mise en scène manifestement exagérée, de contourner ou de porter atteinte aux règles précitées.

Pour compléter ce dispositif, l’ANJ a également publié en octobre 2022 des lignes directrices et recommandations relatives aux offres commerciales des opérateurs de jeux d’argent et de hasard comportant une gratification financière, de façon à rendre ces offres claires et transparentes et d’en modérer le montant et la fréquence, notamment vis-à-vis des publics vulnérables.

L’ANJ a procédé à l’examen de certaines communications commerciales au regard de ces lignes directrices. Par une décision n° 2022-073 du 17 mars 2022, l’Autorité a ainsi prescrit à un opérateur de jeux, en faisant usage de ce pouvoir pour la première fois, de retirer une communication commerciale de tout support de diffusion, dans un délai d’un mois à compter de la notification de la décision. Elle a en effet considéré que cette communication véhiculait le message selon lequel les paris sportifs peuvent contribuer à la réussite sociale.

En outre, l’ANJ propose aux opérateurs de paris des recommandations pour restreindre l’intensité de la pression publicitaire sur l’ensemble des canaux médiatiques, notamment les leviers numériques et renforcer la protection des mineurs et des publics vulnérables. Enfin, au mois de novembre 2022, l’ensemble de la chaîne de valeur de la publicité des jeux d’argent et de hasard (opérateurs, syndicats représentatifs des professionnels de l’audiovisuel, afficheurs) a signé, sous l’égide de l’ANJ et en lien avec l’ARCOM, des chartes d’engagement pour une communication commerciale responsable dans ce secteur d’activité.

Des réflexions sont également en cours sur le sponsoring sportif. Durant la coupe du monde de football, l’ANJ a exercé une surveillance renforcée et a mené des opérations de contrôle sur le respect du cadre de régulation de la publicité renforcé depuis le début de l’année 2022. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) fait également preuve d’une vigilance renforcée dans le secteur des jeux et paris sportifs.

Elle est chargée de veiller au respect des dispositifs de protection des consommateurs, d’assurer la transparence des relations commerciales entre consommateurs et professionnels et de prévenir et sanctionner les pratiques commerciales trompeuses et/ou agressives en matière de jeux d’argent. Au regard de la multiplication de sites internet proposant des pronostics sportifs, les services d’enquête de la DGCCRF ont réalisé, en étroite coordination avec les services de l’ANJ, des contrôles de l’activité de ces sites.

Ces investigations ont eu pour objet de rechercher et de constater d’éventuelles pratiques commerciales trompeuses, notamment celles, réputées trompeuses en toutes circonstances, ayant pour objet « d’affirmer d’un produit ou d’un service qu’il augmente les chances de gagner aux jeux d’argent et de hasard », ainsi que les prestations de services « à la boule de neige » (marketing de réseau ou pyramidal conditionnant l’accès à la prestation au recrutement de nouveaux membres), qui sont interdites respectivement par les articles L. 121-4, 11° et L. 121-15 du code de la consommation.

À la suite de ces contrôles, une procédure contentieuse menée dans le cadre d’une instruction judiciaire est en voie de finalisation. D’autres enquêtes sont actuellement en cours de réalisation. Pour conclure, l’ensemble de ces mesures et de ces travaux engagés ne « laisse [pas] pour l’essentiel aux opérateurs la responsabilité de se réguler eux-mêmes ».

La quinzaine d’opérateurs autorisés sur le marché français à proposer des paris sportifs en ligne est bien placée, d’une part, sous l’étroite régulation de l’ANJ qui s’assure que ceux-ci respectent bien leurs obligations, dans l’objectif de maintenir un jeu récréatif et protecteur des joueurs, des plus jeunes en particulier et, d’autre part, sous le contrôle régulier de la DGCCRF qui fait également preuve d’une vigilance renforcée dans le secteur des jeux et paris sportifs, en donnant aux manquements et infractions constatés les suites appropriées. Enfin, au regard de la dynamique dont fait preuve le secteur du pari sportif en ligne, l’ANJ et la DGCCRF ont d’ores et déjà engagé une réflexion et des travaux sur les éventuelles protections supplémentaires qui pourraient être ajoutées, dans l’objectif de maintenir ce jeu d’argent dans une perspective de jeu récréatif.

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