17 octobre 1961 : Justice, vérité et mémoire

Le 17 octobre 1961, la police francaise reprimait dans le sang les algeriens qui manifestaient pacifiquement pour leur independance. Des milliers furent arrêtés, torturés. Des centaines assassinés, jetés à la Seine. Une page sombre de l’histoire de France, une tragédie pour les manifestants et une souffrance pour les familles.

Commémorer le 17 octobre 1961, c’est un geste de vérité, de justice et de civisme. La répression brutale et le déni de l’État français en font un crime d’État. Le crime raciste d’un Etat colonial.

Ensemble, honorons la mémoire des victimes. Rappelons aussi que les maux du passé résonnent encore aujourd’hui et prouvent toute la nécessité de lutter sans cesse contre le racisme, les inégalités sociales et les discriminations.

Engageons-nous à construire une France harmonieuse et fidèle à nos principes républicains. Liberté – Égalité – Fraternité 🇫🇷

Merci Le 93 au coeur de la RépubliqueAssociation Bouzeguene Europe – ABE, merci à toutes et tous.

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À lire en intégralité ici :

Mesdames et Messieurs les Élus,

Mesdames et Messieurs les membres des associations,

Mes chers amis,

C’est un honneur et une grande émotion pour moi que d’être à nouveau parmi vous aujourd’hui. 

Je tiens à remercier l’« Association Bouzeguene Europe », et « Le 93 au cœur de la République » de m’avoir invité. Je tiens à dire toute ma reconnaissance envers les associations, envers les militantes et militants, envers toutes celles et ceux qui dont l’engagement et le dévouement permettent d’organiser chaque année cette commémoration, et de faire vivre la mémoire qui nous réunit aujourd’hui. 

Le 17 octobre 1961, entre 20 et 40 000 Algériens et Algériennes manifestent pacifiquement pour le droit de l’Algérie à l’indépendance. Contre le couvre-feu qui les vise depuis le 5 octobre. Contre la violence, les discriminations, la relégation qu’ils subissent depuis des années, en « métropole » et dans les « départements français d’Algérie », comme on disait alors. 

Les manifestants se heurtent à la répression sauvage de la police française, orchestrée par le pouvoir et par Maurice Papon, alors Préfet de police de la Seine. 14 000 manifestants sont arrêtés, maltraités. Des dizaines, peut-être des centaines sont arrêtés, torturés, assassinés. Les cadavres sont retrouvés dans la Seine. Le nombre exact des victimes demeure encore aujourd’hui inconnu. 3 morts, osera dire la police française au lendemain des faits. Plusieurs centaines en vérité. 

Aubervilliers a été particulièrement meurtrie par cet événement tragique. De nombreux albertivillariens et albertivillariennes ont participé à la manifestation. Nombre de familles albertivillariennes sont marquées par cette mémoire. Certains ont payé leur lutte pour l’indépendance et la dignité de leur vie, de celle d’un parent, d’un proche. C’est dans les eaux du Canal Saint-Denis, à hauteur d’Aubervilliers, qu’a été retrouvé, le 31 octobre 1961, le corps de Fatima Bédar, la plus jeune victime connue du massacre du 17 octobre. Elle n’avait que 15 ans.

A la violence de la répression féroce du 17 octobre a succédé une seconde violence, symbolique, mais tout aussi cinglante, tout aussi inhumaine. Celle du mensonge d’État. Celle du déni. Car les crimes de la police française ont longtemps fait l’objet d’une occultation. Dès le lendemain même des faits. 

Seule la presse communiste, L’Humanité, France nouvelle, refuse de fermer les yeux et dénonce la répression. Le pouvoir, lui tait le nombre des victimes, rend les manifestants coupables : « Violentes manifestations de musulmans algériens hier soir à Paris », déclare le communiqué de presse de la préfecture. Les autorités imposent la censure. Lorsque le père de Fatima Bédar se rend au commissariat de Stains et Saint-Denis le 18 octobre pour signaler sa disparition, il est reçu par la police avec des insultes, des bousculades, des coups. Lorsqu’on le convoque finalement le 31 pour identifier le corps de sa fille, les policiers concluent à un suicide. La grande majorité de la presse reprend le discours officiel, empreint de racisme à l’égard de la communauté algérienne. « Il y a eu des heurts, mais, grâce à la vigilance et à la prompte action de la police, le pire – qui était à craindre – a pu être évité », écrit Le Figaro le 18 octobre. La loi du silence s’installe pour longtemps autour des crimes de la nuit du 17.

Il a fallu une lutte longue de plusieurs décennies pour rompre ce silence. Pour que le brouillard du déni et de l’oubli se dissipe enfin. Pour que la République commence à reconnaître ce crime. Le 17 octobre 2012, pour la première fois, par un communiqué du président François Hollande déclarant que « la République reconnaît avec lucidité ces faits ». Le 17 octobre 2021, par un communiqué du président Emmanuel Macron, qui évoque des « crimes inexcusables pour la République ». Reconnaissance toujours incomplète cependant. 

Car, 62 ans après les faits, le combat n’est pas encore achevé. Il faudra la déclassification des archives pour que toute la vérité soit enfin faite sur la responsabilité du pouvoir politique de l’époque. Il faudra que les autorités cessent de jouer sur les mots, d’invoquer la seule culpabilité du préfet Maurice Papon – comme s’il avait agi seul. Pour que l’on dise enfin que le massacre du 17 octobre 1961 fut le crime de tout un pouvoir colonialiste et raciste. Un crime d’État. 

Il faut saluer le combat, du courage, de toutes celles et ceux qui se sont battus et se battent encore pour cette reconnaissance. Hommes et femmes. Descendants des victimes. Militants des associations. Des mouvements anticoloniaux. Antiracistes. De toutes les forces de progrès. Historiens aussi.

Aubervilliers peut s’honorer d’avoir très tôt marché en tête sur ce chemin vers la justice et la vérité. D’avoir depuis des années, bien avant 2012, regardé le passé en face et rendu hommage aux victimes. Notre ville le doit à ses associations. Elle le doit à des militants comme Mouloud Aounit, Boualem Benkhelouf, et tant d’autres. Elle le doit à des politiques. Des élus. Des maires. Jack Ralite qui inaugura le premier une plaque commémorative, en 2001. Jacques Salvator. Pascal Beaudet. Au-delà des clivages et des changements de majorité politique à gauche, l’ensemble des forces de progrès a toujours su se rassembler dans le devoir de mémoire, et marquer cette communion républicaine par des gestes forts. 

C’est cette tradition que nous continuons ensemble aujourd’hui. Nous avons toutes et tous répondu à l’appel des associations, des citoyens et des citoyennes, pour montrer, au-delà des appartenances et des querelles politiques et partisanes, notre unité dans le devoir de mémoire. 

Commémorer le 17 octobre 1961, c’est un geste de justice. S’acquitter d’une dette. Envers les victimes dont les souffrances, la mort, les noms même ont été tus, cachés, occultés. Envers leurs familles, leurs descendants, leurs proches, auxquels notre pays s’être trop longtemps refusé à demander pardon. 

Commémorer le 17 octobre 1961, c’est un geste de vérité. Lire à livre ouvert les pages de l’histoire de notre pays. Y compris les pages sombres. Celle des crimes que certains préfèreraient dissimuler. Et plus largement celle du passé colonial, qui fut tout entier une tache dans notre histoire. « De toutes les expéditions coloniales accumulées, de tous les statuts coloniaux élaborés, de toutes les circulaires ministérielles expédiées, on ne saurait réussir une seule valeur humaine. » disait justement Aimé Césaire.

Commémorer le 17 octobre 1961, c’est, enfin, un geste de civisme. Commémorer, ce n’est pas refermer d’un seul coup les plaies ouvertes par l’histoire, et tourner une page. C’est s’engager à veiller toujours à ce que ces plaies ne se rouvrent pas.  Et c’est retenir les avertissements et les leçons du passé pour nourrir nos luttes du présent. 

Le 17 octobre 1961 nous dit beaucoup, en cette période où les discours de haine ressurgissent, et où certains stigmatisent à nouveau les mêmes qu’ils pointaient du doigt hier. Il nous dit beaucoup sur ce que nous a légué la colonisation et qui marque encore aujourd’hui notre société : racisme, inégalités sociales, discriminations territoriales, violences policières. Nos concitoyens et concitoyennes de confession musulmane, issus de l’immigration, habitants des quartiers et des villes populaires, sont toujours pris pour cible. Des manifestations sont à nouveau interdites. Et des manifestants à nouveau frappés par une police qui tolèrent en son sein la violence, le racisme.  L’époque a changé, mais les maux d’hier sont encore, pour une large part, ceux d’aujourd’hui. 

C’est cet héritage sombre qu’il nous faut regarder en face et comprendre, pour mieux œuvrer à le solder. A bâtir enfin une France harmonieuse et fraternelle, pour toutes et tous. 

Une République réellement fidèle à ses principes : Liberté – Égalité – Fraternité.

Je vous remercie.