Budget des armées 2024 : dissiper la brume de l’incertitude

Hier je défendais la position du groupe La France insoumise contre le budget voulu par le gouvernement pour nos armées. Les enjeux sont énormes, et les questions soulevées sont essentielles pour l’avenir de la sécurité nationale.

Comment ce budget colossal affectera-t-il la France ? Quels sont les défis en matière de transparence, d’anticipation et de vision globale ? Je m’inquiète également de la contribution de la France à l’OTAN, aux coopérations franco-allemande et également de la protection de nos secteurs stratégiques.

Ce budget, bien que conséquent, ne permettra pas, pour la France, de dissiper le brouillard de l’incertitude.

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La guerre est le domaine de l’incertitude disait Clausewitz. Dès lors, l’enjeu, pour tout stratège avisé, est de réduire cette incertitude afin d’augmenter ses chances de victoire. 

Le budget de la Défense, que nous avons en face de nous aujourd’hui, est un colosse budgétaire. 

Un colosse budgétaire par son montant et par son contenu. Il apparaît d’autant plus facilement comme un monstre lorsqu’on le compare aux précédents budgets qui, au nom de l’austérité et de la rationalité comptable, ont continuellement limé le glaive et émoussé le bouclier de la République. 

Malgré ce déversement de fonds et de mesures, nous devons nous demander si ce budget est à la hauteur des enjeux. Permet-il de dissiper la brume de l’incertitude qui règne sur le champ de bataille ? 

Au groupe La France Insoumise, nous pensons que non. Ce budget est un colosse oui, mais aux pieds d’argile.

Le budget de la défense s’élève pour 2024, hors pension, à 47,2 milliards d’euros. Il respecte l’augmentation de 3,3 milliards prévue par la LPM et tous les programmes sont en augmentation. Nous le saluons. 

Cependant les prévisions concernant l’inflation y sont minorées. Tous les responsables de programme que nous avons eu l’occasion d’auditionner témoignent de leur crainte de voir leurs budgets absorbés par l’inflation. Certains évoquaient même une inflation pouvant atteindre 10% dans certains secteurs. Nous avons ainsi déposé des amendements afin de mieux prendre en compte l’inflation et de créer un nouvel indicateur pour recenser et mieux anticiper les reports de commandes causés par l’inflation. 

Ensuite, nous relevons un manque de transparence dans ce budget.

Les indicateurs de disponibilité des matériels et de l’activité des forces armées font désormais l’objet d’une diffusion restreinte. Dès lors, la représentation nationale est privée d’une partie de ses outils pour contrôler l’action du Gouvernement. Nous le déplorons. 

La contribution de la France à l’OTAN quant à elle, n’est pas présentée visiblement dans le Projet Annuel de Performances comme le relève la Cour des comptes dans un avis récent. 

Outre ce manque de transparence, nous relevons également un manque d’anticipation.

Toujours sur cette question de la contribution au budget de l’OTAN, celle-ci pourrait s’élever à 830 millions d’euros en 2030 alors que la France ne cesse de contribuer « en nature » au fonctionnement de l’alliance, notamment via sa participation aux opérations de renforcement du flanc Est de l’OTAN. Comment cette contribution est-elle valorisée ? Quels financements de l’OTAN voulons-nous obtenir ? Bref, avons-nous une stratégie au sein de cette alliance qui n’a plus lieu d’être ou bien suivons-nous tout simplement les États-Unis ? En l’absence de vision claire du Gouvernement sur ce sujet, nous avons déposé une demande de rapport sur la stratégie d’influence de la France au sein de l’OTAN. 

Ensuite, nous déplorons le manque de vision globale sur le long terme. 

Le PLF 2024 contient une « stratégie climat-défense » mais rien de concret n’est explicité, notamment concernant l’après-pétrole. 

Nous pouvons malheureusement faire le même constat dans le domaine de l’espace où certains défis sont oubliés comme la météo spatiale et les débris spatiaux. 

Ensuite, ce budget persiste dans les errements de la coopération franco-allemande avec le SCAF et le MGCS, dont l’avenir reste plus qu’incertain. En misant tout sur le MGCS, par exemple, la France s’expose à un risque sérieux de dépendance industrielle vis-à-vis de l’Allemagne et d’inadaptation de ses armées si celle-ci était amenée à participer à un conflit majeur avant 2040-2045. Il est indispensable de développer une capacité souveraine telle que l’EMBT.

Aussi, ce budget, dans la continuité du manque de vision à long terme, ne permet pas desécuriser l’appareil productif français dans des secteurs stratégiques comme les supercalculateurs avec l’entreprise Atos ou encore la maîtrise des fonds marins avec Alcatel Submarine Networks.  En refusant d’agir maintenant, la France risque de perdre pied pour finalement rater la marche de la guerre de demain.  

Enfin, concernant la mission défense, ce PLF 2024 soulève une question centrale, à la fois politique et budgétaire, concernant la qualification juridique et le financement des missions opérationnelles, notamment les missions Aigle pour la Roumanie et Lynx pour l’Estonie. Ces missions remplissent tous les critères d’une OPEX avec des militaires qui bénéficient de quasiment l’ensemble des dispositifs OPEX sauf la bonification des pensions, ce qui n’est pas rien, pourtant elles ne sont pas qualifiées d’OPEX mais de « missions opérationnelles » (MISSOPS). Pour la part RH, ces missions sont financées directement par le BOP OPEX, ce qui apparaît comme un abus. Pour le reste, elles sont financées directement par les Armées. Elles peuvent bénéficier d’un financement interministériel lors des collectifs budgétaires de fin d’année. Outre le contournement démocratique évident du Parlement provoqué par cette situation, cela crée des tensions en gestion sur le programme 178 de la mission Défense. Nous avons ainsi déposé des amendements visant à assurer le financement de ces opérations dans le cadre des opérations extérieures. Ainsi, outre la sécurisation budgétaire pour nos armées, le Parlement doit retrouver sa place en se prononçant sur l’opportunité de ces opérations. 

Concernant la mission anciens combattants mémoire et lien avec la Nation, nous proposerons des amendements pour améliorer la prise en charge des blessés psychiques ou étendre la reconnaissance des souffrances endurées par les orphelins victimes de barbaries durant la deuxième guerre mondiale et les orphelins de parents incorporés de force et exécutés.

Chers collègues, l’argent est le nerf de la guerre, nous en convenons, mais c’est la stratégie qui en est son cœur. 

L’apport financier sans stratégie cohérente et vision globale est vain. Ce budget, bien que conséquent, ne permettra pas, pour la France, de dissiper le brouillard de l’incertitude.

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre ce budget.