A gauche, la petite musique du « compromis »
Ça y est ! Michel Barnier est tombé et son gouvernement illégitime sont tombés. Pour faire barrage à son coup de force antidémocratique et à son budget d’austérité, la censure était indispensable et inévitable. C’est un malheur de moins pour le peuple. Mais déjà, tous se projettent dans l’après.
Cela a commencé dès ces derniers jours, avant même la censure. Toute la gauche socialiste, écologiste ou communiste à commencer à s’agiter. D’Olivier Faure à Yannick Jadot en passant par André Chassaigne, tous ont commencé à élaborer leur scénario politique pour la suite, et se sont précipités sur les plateaux télé pour le promouvoir.
Leur stratégie tient un en mot : « Compromis ». « Compromis », « compromis », « compromis » : ils le répètent tous en chœur.
Il y a des nuances. Un « premier ministre de gauche qui applique les priorités du Nouveau Front Populaire, avec le souci du compromis », et un pacte de non censure, dit le Parti Socialiste. Un « pacte républicain » dépassant le programme du NFP, pour convenir de mesures transpartisanes partagées, dit André Chassaigne. Un « pacte républicain transitoire entre le NFP et le bloc central », dit Yannick Jadot, qui propose un gouvernement avec des ministres issus du macronisme. Marine Tondelier a carrément proposé une rencontre de tous les partis hors RN – de Horizons à La France insoumise – pour travailler « ensemble » !
Tout cela revient au même. Et tout cela n’a aucun sens.
Le compromis est impossible car les macronistes ont démontré qu’ils n’en veulent pas
Leur soi-disant « compromis » est impossible. Pour la simple et bonne raison que ce sont les macronistes et leurs alliés de droite qui refusent tout compromis avec la gauche, et cela depuis des mois.
D’abord, ils ont refusé d’accepter le résultat des élections législatives et la nomination de Lucie Castets comme première ministre. Ils ont ainsi refusé d’emblée un gouvernement du NFP, sans lui laisser la possibilité de construire des majorités texte par texte au parlement. Puis, quand nous avons débattu, au parlement, pour amender le budget de Michel Barnier, les macronistes ont rejeté en bloc le résultat de notre travail. C’était pourtant un budget « de compromis » que nous avions construit, en trouvant des majorités dans l’hémicycle pour amender le texte gouvernemental : ils l’ont refusé. Enfin, ce sont les macronistes encore qui ont poussé jusqu’au bout la logique du refus de tout compromis, en menant une obstruction scandaleuse pour nous empêcher de débattre de la réforme des retraites lors de la niche parlementaire du groupe insoumis.
Qui peut croire alors que le « bloc central » tolérerait un gouvernement de gauche qui se baserait sur le programme du NFP comme le dit le PS, ou même sur quelques priorités compatibles avec une politique de gauche ? Les faits ont démontré que c’est impossible.
« Pacte de non-censure » : une compromission
Pour qu’un « compromis » et un pacte de non-censure soit possible aux yeux des macronistes, il faudrait en fait que la gauche renonce à l’essentiel de ses revendications. Il s’agirait alors, en somme, non pas de chercher des majorités à l’assemblée sur la base du programme du NFP, mais d’annoncer d’emblée que l’on s’accorde pour mener un programme macroniste allégé. Pas d’abrogation de la réforme des retraites. Rien pour le pouvoir d’achat et les services publics. Rien pour en finir avec la dérive xénophobe et raciste qu’incarne la loi asile-immigration.
Une partie de la gauche est-elle prête à accepter un tel marché de dupes avec les macronistes ? On peut le penser. Le groupe socialiste à l’Assemblée ne demande plus la nomination de Lucie Castets à Matignon, mais d’une « personnalité de centre gauche ». Monsieur Karim Bouamrane, lui, a déclaré que 60 milliards d’Euros d’économies budgétaires, c’est trop, mais que 20 milliards, cela passerait. Et Olivier Faure lui-même, a enfoncé le clou, ce jeudi soir après la censure : il ne demande plus l’abrogation immédiate de la réforme des retraites, mais une « conférence de financement » préalable pour y réfléchir – comme si nous ne savions pas comment faire, comme si nous n’avions pas présenté un programme et même des amendements prévoyant en détail le financement. En clair, il renvoie à plus tard la revendication centrale du mouvement social et des électrices et électeurs de gauche ces dernières années !
Ce serait une capitulation inouïe. Pas un compromis, mais tout simplement une compromission. Le NFP et l’union du peuple de gauche n’y survivraient pas, car nous, les insoumis, n’accepterions jamais de telles conditions. Les partisans du « compromis » sont-ils vraiment prêts à prendre ce risque ?
Grande coalition : grande trahison
Quand certains comme Chassaigne, Jadot ou Tondelier, évoquent un « pacte républicain » entre le NFP et les macronistes, ils vont plus loin encore : de la compromission, l’on passerait à la trahison pure et simple La proposition a le mérite d’être plus franche et d’en venir au fait : il s’agirait d’abandonner explicitement le NFP et son programme pour former une « grande coalition » avec les macronistes.
En matière d’orientation politique et programmatique, le problème reste le même : le seul « compromis » que les macronistes sont prêts à faire, c’est une capitulation en rase campagne de la gauche. Au-delà, la formation d’une « grande coalition » aurait un impact politique dévastateur. Ce serait accepter le coup de force antidémocratique qu’a commis Macron, quand il a refusé de nommer un gouvernement du Nouveau Front Populaire, arrivé en tête aux têtes des élections. Ce serait considérer que l’on peut présenter un programme et une coalition la veille d’un vote, puis en mettre en place une autre le lendemain.
Quel électeur, quelle électrice du NFP a voté pour un gouvernement avec M. Attal ou M. Retailleau ? Quel électeur de gauche souhaite un gouvernement qui maintiendra la réforme des retraites ou la loi asile-immigration ? Comment le peuple pourrait-il l’accepter ? Agir de la sorte, sous couvert d’être « raisonnable », c’est tout simplement exclure la possibilité d’une alternance à gauche, assassiner la gauche et tuer la démocratie. Et à la fin, c’est l’extrême-droite seule qui en profiterait, comme cela a été le cas dans tous les pays qui ont connu des « grandes coalitions » associant droite et gauche. Ceux qui avancent cette hypothèse se rendent-ils compte seulement des conséquences dramatiques qu’elle peut avoir ?
Derrière l’impossible compromis au parlement : la lutte des classes
Il faut, plus largement, sortir des spéculations sur la composition d’une majorité parlementaire, pour comprendre la cause de l’impossibilité fondamentale de tout compromis entre le macronisme et la gauche. Car comme toujours, les différents politiques plongent leurs soubassements dans l’affrontement des forces sociales et des intérêts matériels.
Le clan Macron et ses alliés de droite refusent toute mesure de justice fiscale et sociale, toute politique de partage et de redistribution de la richesse, tout rééquilibrage du rapport entre le capital et le travail. Monsieur Barnier l’a dit et répété sur tous les tons : une politique de gauche, pour lui, c’est la catastrophe ! Ils veulent poursuivre coûte que coûte la même politique économique : cadeaux fiscaux pour les multinationales, les milliardaires et les actionnaires. Seulement voilà : cette politique a ruiné la France. Elle devait susciter le « ruissellement », la croissance, des rentrées fiscales : il n’en est rien. Tout est passé dans la poche des plus riches. Les fermetures d’usines et les plans de licenciement continuent de plus belle et s’accélèrent. Et les caisses de l’État sont vides. Alors, pour continuer à régaler ses amis, le pouvoir veut faire payer le peuple. Une cure d’austérité, pour boucher les trous, continuer à subventionner le grand patronat, et rassurer les marchés financiers.
Les macronistes croient dur comme fer à cette politique économique. Et ils défendent bec et ongle les intérêts de classe de ceux à qui elle profite. Ils ne lâcheront donc rien. Pas un centimètre pour la gauche. Pas une miette pour le peuple. Même la taxe de 2% sur 147 milliardaires, que nous avions fait adopter à l’Assemblée, c’était déjà trop.
La gauche aveugle et l’illusion du consensus
C’est parce qu’elle est aveugle à cet état du rapport des forces sociales qu’une partie de la gauche s’obstine à croire au « compromis » avec le macronisme.
Il y a bien sûr, de petites raisons politiciennes. Les dirigeants du PS, Faure, Vallaud, veulent rassurer leur aile droite, car ils sont en pleine préparation d’un congrès où François Hollande et ses partisans pointent le bout de leur nez. Cela vous semblera dérisoire, au vu des enjeux pour le pays, mais c’est ainsi que pensent ces gens : le congrès d’abord ! Ils cherchent aussi à gagner du temps, car la perspective d’une présidentielle anticipée qui arriverait dès les prochains mois les terrorise – logique, ils n’ont ni candidat, ni programme, ni le début d’une idée ! Au fond, ils ne rêvent que de marginaliser La France insoumise, en réactivant un clivage entre une soi-disant « gauche de gouvernement » – eux –, qui serait « raisonnable » et des extrémistes – nous –, qui serions ainsi renvoyés à la marginalité politique. C’est la fameuse théorie des « deux gauches irréconciliables » jadis promue par Manuel Valls, qui a semblé avoir retrouvé une place centrale dans les esprits du PS.
Ces raisonnements d’ordre tactique renvoient à des divergences politiques de fond. Une partie de la gauche continue de croire qu’en prenant une posture prétendument « raisonnable », elle rassurera une certaine opinion publique et pourra attirer à nouveau à elle des électeurs qui se seraient égarés vers le macronisme, mais seraient prêts à revenir, vers la « vieille maison » socialiste par exemple. Quelle erreur, quand toutes les enquêtes et les résultats électoraux successif démontrent que cette couche sociale s’est radicalisée et écarté durablement de la gauche ! Au-delà, cette gauche ne comprend rien de l’état actuel des rapports économiques et sociaux. Elle croit encore pouvoir reproduire à l’identique au XXIe siècle une politique de compromis négocié avec le patronat, semblable à celle de l’ancienne social-démocratie. Elle n’a toujours pas compris que cette période historique s’est refermée à partir des années 1980, et que les évolutions du capitalisme néolibéral, mondialisé et financiarisé, toujours plus prédateur, rendent impossible de reproduire la formule de l’époque fordiste et keynesienne, où capital et travail se partageaient les fruits de la croissance. C’est la raison pour laquelle les fondés de pouvoir de ce capital prédateur que sont les macronistes n’accepteront jamais le moindre compromis. Jusqu’à quand cette gauche aveugle refusera-t-elle de le voir ?
La convergence du macronisme et de l’extrême-droite va se poursuivre
A l’inverse, le macronisme est prêt à ouvrir la porte aux pires concessions faites à l’extrême-droite. Les raisons de cette convergence sont profondes : en effet, le camp néolibéral s’accorde avec l’extrême-droite, car comme lui elle ne souhaite pas toucher au rapport de classe – mais seulement lui substituer un « pacte racial », qui oppose les « français » à « l’immigration » et aux minorités.
Ainsi, c’est quand il s’est adressé à l’extrême-droite, que Michel Barnier s’est montré accommodant, et même servile – à l’image de sa dernière interview télévisée. C’est quand Marine Le Pen a formulé des exigences que le Premier Ministre s’est montré prêt à céder sur presque toute la ligne, d’une nouvelle loi immigration à la destruction de l’aide médicale d’État. Et c’est avec les députés du Rassemblement National que les macronistes se sont alliés dans l’hémicycle pour rejeter le budget que la gauche avait amendé. Aujourd’hui encore, le clan Macron continue de rechercher les bonnes grâces de Le Pen, en évoquant la nomination de Bruno Retailleau ou d’un « profil sans hostilité affichée avec le RN » à Matignon.
Pour l’heure, Marine Le Pen repousse ces offres. Le RN est sorti de son soutien tacite au gouvernement Barnier et a voté la censure. Il reprend sa posture d’opposant, poussé par l’accélération du calendrier judiciaire et la menace qu’il fait peser sur une éventuelle candidature de Marine Le Pen à l’élection présidentielle de 2027. Dans cette perspective, il n’a pas intérêt à jouer plus longtemps la roue de secours d’une majorité macroniste. Mais la divergence est tactique, et non pas fondamentalement politique. Tôt ou tard une partie de ce qui restera du macronisme et l’extrême-droite s’entendront.
La seule issue pour sortir du blocage, c’est donner la parole au peuple.
En somme, imaginer un quelconque « compromis » avec le macronisme, n’a pour la gauche, aucun sens. Un tel compromis est impossible, sauf au prix d’une trahison aussi indicible que funeste. Renoncer au Nouveau Front Populaire et à son programme de rupture, et ce sans obtenir aucune avancée. Ce serait ajouter le déshonneur à la défaite. Jamais les insoumis ne l’accepteront.
Il n’y a que deux portes de sortie à la crise et à la situation de blocage actuelle. La première, c’est que Macron reconnaisse enfin le résultat des élections, appelle Lucie Castets à Matignon et laisse le NFP gouverner, sur son programme, et bâtir des majorités texte après texte, ainsi que le veut le fonctionnement normal de la démocratie parlementaire. Mais il s’y refuse. Et s’il était constitué, ce gouvernement risquerait de tomber, sous le coup des votes réunis des macronistes et du RN – comme ils ont déjà voté ensemble pour rejeter notre proposition de budget. Tout autre combinaison gouvernementale subirait le même sort, faute de véritable majorité.
Il ne restera alors qu’une issue : que Macron s’en aille, et convoque une élection présidentielle anticipée, en appelant les citoyens à trancher à nouveau sur le destin de la nation. La seule issue pour sortir du blocage, c’est donner la parole au peuple. Et c’est ce que le peuple demande, quand plus de 60% des citoyens déclarent souhaiter aujourd’hui la démission de Macron. Nous avions lancé le mot d’ordre dès la rentrée dernière : censure, mobilisation, destitution ! La première étape est franchie, et la suite commence. Nous, les insoumis, nous y sommes prêts. La gauche des « compromis » et des illusions se rendra-t-elle compte de son erreur et reviendra-t-elle à la raison ?