Question écrite au gouvernement déposée le 10 juin 2025
M. Bastien Lachaud interroge M. le ministre des armées au sujet des récentes déclarations du président de la République, Emmanuel Macron, concernant l’éventuelle ouverture de la dissuasion nucléaire française aux pays membres de l’Union européenne. Plus particulièrement, son possible partage avec la Pologne, à l’occasion de la signature du traité d’amitié de Nancy avec ce pays. La réélection de Donald Trump à la présidence des États-Unis a ravivé le débat sur la fiabilité du parapluie nucléaire étatsunien et, plus largement, sur l’avenir de l’OTAN. En effet, le président des États-Unis remet régulièrement en cause le cadre de l’alliance atlantique, tout en critiquant sévèrement le niveau d’engagement militaire des pays européens membres. La fin de ce parapluie nucléaire toucherait en priorité les pays d’Europe de l’Est, qui se sentent particulièrement vulnérables face à la Russie de Vladimir Poutine, depuis le début de la guerre en Ukraine. C’est dans ce contexte que, le 5 mars 2025, le président de la République a annoncé vouloir ouvrir un « débat stratégique » sur l’extension de la dissuasion nucléaire française à d’autres pays européens. Il a réitéré ces propos sur TF1 le mardi 13 mai 2025 où il s’est dit prêt à une « discussion » sur le déploiement d’avions armés de « bombes » nucléaires dans d’autres pays, sur le modèle de ce que font les États-Unis pour partager leur parapluie nucléaire sur le continent. Ces déclarations remettent en cause les fondements de la doctrine nucléaire française. D’une part, la France est signataire du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), qui l’engage dans une logique de stricte suffisance en matière d’armement nucléaire. D’autre part, la doctrine française repose sur une stratégie exclusivement défensive, centrée sur la préservation de ses intérêts vitaux, des intérêts volontairement non définis afin de maintenir un flou stratégique essentiel à la crédibilité de la dissuasion. Par ces annonces, le président de la République risque non seulement de participer à la prolifération nucléaire, en contradiction avec les engagements internationaux de la France, mais également d’affaiblir la notion de flou stratégique qui constitue un pilier de la doctrine. Ce glissement doctrinal n’est pas nouveau. Dès 2020, le président Macron avait introduit une « dimension européenne » dans la définition des intérêts vitaux de la France. Il va aujourd’hui plus loin, en envisageant un véritable « parapluie nucléaire » français pour les pays membres de l’Union européenne. Aussi, il l’interroge sur les conséquences de ces annonces, qui sont en contradiction avec les engagements internationaux de la France ainsi qu’avec la doctrine nucléaire française.
Réponse du gouvernement publiée le 11 novembre 2025
La politique de dissuasion de la France doit tenir compte de l’évolution de notre environnement stratégique, de nos alliances et de la construction européenne. La France affirme ainsi, depuis les prises de paroles du général de Gaulle dans les années 1960, que sa dissuasion comporte une dimension européenne. S’inscrivant dans la continuité de ses prédécesseurs, compte-tenu du caractère unique de la construction européenne et de la solidarité inébranlable qu’elle a créée entre la France et ses partenaires européens, le Président de la République l’a confirmé en 2020 lors de son discours à l’Ecole de Guerre et l’a réaffirmé en 2025 lorsqu’il a ajouté que les intérêts vitaux des principaux partenaires européens étaient intégrés dans ceux de la France. Fondement de la doctrine de dissuasion, ces intérêts vitaux nationaux, qui concernent les menaces les plus graves qui pourraient mettre en péril la survie de la nation, ne sont évidemment pas détaillés afin de conserver une forme d’ambiguïté indispensable vis-à-vis de nos compétiteurs. Le 5 mars 2025, le Président de la République a annoncé ouvrir le débat stratégique sur la protection de nos alliés du continent européen par la dissuasion française. Ce dialogue a vocation à s’inscrire en pleine complémentarité avec la politique nucléaire de l’Alliance atlantique, sans chercher à s’y substituer, et dans le respect des normes internationales. En effet, la France est profondément attachée au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), qui constitue la pierre angulaire du régime de non-prolifération nucléaire depuis plus de cinquante ans. Au titre de ce traité, la France a fourni des efforts considérables en matière de désarmement nucléaire : elle a réduit de moitié son arsenal depuis la guerre froide et d’un tiers ses composantes aéroportée et océanique, par ailleurs elle a entièrement démantelé, de manière irréversible et vérifiable, sa composante sol-sol, ses infrastructures de production de matières fissiles pour les armes et son centre d’essais dans le Pacifique. Enfin, elle n’a pas augmenté son arsenal, sur lequel elle fait par ailleurs preuve d’une transparence exemplaire. Or, le contexte stratégique s’est profondément dégradé ces dernières années. Il y a maintenant plus de trois ans, la Russie a lancé une guerre d’agression contre l’Ukraine, se sert de sa capacité nucléaire à des fins d’intimidation et de coercition, et s’est retirée de nombreux accords de maîtrise des armements et de désarmement, fragilisant notre architecture de sécurité collective. Dans le même temps, la Chine augmente son arsenal nucléaire de manière exponentielle, en toute opacité, et les crises de prolifération se poursuivent. Dès lors, notre responsabilité est de prémunir notre nation des menaces. A cet égard, dans une optique de préservation de la paix et de la sécurité internationale, en particulier en Europe, notre stratégie de dissuasion demeure un atout particulièrement précieux dans un monde de compétition des puissances, de désinhibition des comportements et d’érosion des normes. Quelles que soient les options retenues à l’issue des débats stratégiques, cette offre de protection sera conditionnée à 3 lignes rouges comme l’a exprimé le Président de la République le 13 mai 2025 : elle ne se fera pas sans effort de la nation protégée, elle ne viendra pas en soustraction de notre propre besoin et la décision d’emploi ne sera pas partagée.