Ces dernières semaines, plusieurs agendas se télescopent et tous pointent vers le même sujet : la Paix. À l’Assemblée, j’ai posé il y a deux semaines une question au gouvernement sur les ventes d’armes à l’Arabie saoudite et la guerre au Yémen ; le budget de la défense a été examiné et voté en première lecture. Cette semaine à Dakar, je participe en tant que membre de la délégation française au 5ème Forum sur la Paix en Afrique. Dans une semaine, un Forum sur la paix aura lieu aussi à Paris. Dans l’intervalle, les commémorations de la fin de la Grande Guerre auront fait couler beaucoup d’encre. Enfin, en marge des commémorations Emmanuel Macron fait campagne pour les élections européennes en assurant qu’il faut « une vraie armée européenne ».
L’urgence humanitaire au Yémen
Il faut commencer par l’urgence ; la guerre au Yémen. La mort du journaliste Jamal Khashoggi, assassiné dans le consulat d’Arabie saoudite en Turquie et sur ordre des autorités saoudiennes, a suscité un mouvement d’indignation planétaire. Travaillant pour un grand titre de presse aux Etats-Unis, son sort a ému et mobilisé ses collègues. Ce qui a obligé l’administration Trump à réagir. Ce n’est qu’une fois cette « condition » remplie qu’Emmanuel Macron s’est senti autorisé à demander lui aussi des explications. La chronologie en dit long sur le degré d’indépendance de la France vis-à-vis des Etats-Unis et de l’Arabie saoudite elle-même.
L’histoire ne s’arrête pas là bien sûr. En jetant la lumière sur la violence qui est au cœur de la monarchie saoudienne, le groupe de la France insoumise a considéré que nous aurions peut-être une chance d’attirer enfin l’attention sur la situation humanitaire horrible au Yémen. Depuis plusieurs années, l’Arabie saoudite et les Emirats Arabes Unis y font la guerre d’une façon particulièrement épouvantable. Depuis son arrivée à l’Assemblé nationale le groupe France insoumise a essayé d’alerter à de nombreuses reprises. Dès septembre 2017, nous évoquions le sujet des ventes d’armes à l’Arabie saoudite au détour d’un amendement au projet de loi de sécurité intérieure.
Notre raisonnement était simple : la sécurité des Français·es est mise en danger par ce soutien militaire à des régimes tyranniques qui déstabilisent le Moyen-Orient et financent l’islamisme le plus sectaire. La majorité En Marche « ne voyait pas le rapport » et a enterré l’affaire. Depuis nous avons demandé qu’une commission d’enquête soit créée sur les ventes d’armes : nous soutenons qu’elles sont illégales. Le Traité sur le Commerce des Armes précise en effet que vendre des armes susceptibles de servir à commettre des crimes de guerre est illégal. Le vendeur a donc la responsabilité de s’assurer que ces armes ne serviront pas à cela.
Or, depuis des mois nous savons que l’Arabie saoudite et les Emirats commettent ce genre de crime au Yémen. En août dernier, un rapport de l’ONU a étayé très précisément les accusations qu’avaient lancées de nombreuses ONG auparavant. Dans l’intervalle, le journaliste Georges Malbrunot a affirmé que des soldats français opéraient directement au Yémen. J’ai alors déposé une nouvelle demande de commission d’enquête. Malheureusement ces demandes ont toutes été enterrées. On nous a même fait savoir que si, par chance, elles aboutissaient, le secret défense empêcherait de faire la lumière…
Mais une dernière révélation a eu lieu : d’après un de ses proches, Jamal Khashoggi s’apprêtait à faire des révélations sur l’emploi d’armes chimiques au Yémen. Il est vrai que pour comprendre un tant soit peu ce crime, il manquait un mobile : celui-ci est très crédible. Il est impératif d’en avoir le cœur net. Avec Jean-Luc Mélenchon, j’ai donc écrit un courrier à Emmanuel Macron demandant qu’il saisisse l’Organisation pour l’Interdiction des Armes Chimiques (OIAC).
De fait, c’est l’organisation internationale en charge d’enquêter sur ces sujets et elle peut être saisie par n’importe quel membre ayant signé le traité sur l’interdiction des armes chimiques. Emmanuel Macron va donc être obligé de prendre position. D’ailleurs, les Etats-Unis commencent à faire pression pour obtenir un cessez-le-feu. La France suit. C’est devenu son habitude. Mais il serait étonnant que quoi que ce soit bouge rapidement. Le double langage tient lieu de politique : le programme pourtant très chargé du Forum de Paris sur la paix, voulu par Macron, ne mentionne même pas la guerre au Yémen !
Le seul moyen d’avancer désormais est dans la mobilisation de l’opinion. Il faut faire pression sur le pouvoir. Il semble que la presse commence à se saisir du sujet. Il est temps. La presse française, placée dans le même genre de dépendance fascinée à l’égard de la presse étatsunienne que le pouvoir macronien à l’égard Maison Blanche, a relayé des images de la famine qui frappe les enfants au Yémen. Elles sont atroces. Je crois malheureusement qu’elles sont nécessaires si l’on veut qu’enfin quelque chose bouge.
La faim menace de mort 14 millions de personnes dont 5 millions d’enfants. Evidemment, arrêter de vendre des armes à l’Arabie saoudite ne signifie pas l’arrêt immédiat du conflit mais c’est une étape indispensable pour obliger à l’instauration d’un cessez-le-feu. L’arrêt de ces livraisons d’armes relève du Premier ministre. Interpeler directement, par téléphone, ou par courrier les élus d’En Marche est un moyen de faire croître la pression pour que cesse le double jeu.
Faux-semblant et hypocrisie, le cœur du macronisme
Car sur ce sujet aussi, Emmanuel Macron s’est fait une spécialité de réécrire l’histoire ou de faire le contraire de ce qu’il dit. Les commémorations du centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale donnent un autre aperçu du problème. Je ne veux pas polémiquer vainement sur un sujet comme celui-ci qui demande avant tout du recueillement et de la sérénité.
En revanche, cette sérénité doit être l’occasion d’une réflexion sérieuse et non d’une instrumentalisation au service de la politique contemporaine. Les Français·es ne sont pas des enfants : ils sont capables de faire la part des choses entre les événements d’hier et d’aujourd’hui. Ils sont aussi capables de voir les continuités quand elles existent. Voilà pourquoi il n’est pas acceptable qu’on occulte des faits pour empêcher d’y réfléchir. Or, un des traits les plus marquant de ces commémorations, c’est l’occultation de la victoire elle-même.
Pourquoi ne pas célébrer la victoire ? Cela ne minorerait pas le caractère inouï et catastrophique du massacre que fut cette guerre. En réalité, l’objectif est de ne pas froisser l’Allemagne d’Angela Merkel. Ce choix est puéril et indigne de ceux et celles qui sont morts pour cette victoire. Comme si les Allemands pouvaient ignorer que cette guerre a été gagnée par la France et perdue par l’Allemagne ! C’est ridicule et même irrespectueux. L’atmosphère de complaisance est telle qu’elle amène aux pires absurdités. L’une des plus criantes a paru sur le compte Twitter de l’armée de l’air : le 4 novembre, on a pu y lire un message qui célébrait « 100 ans d’amitié franco-allemande ». Exit la Deuxième Guerre mondiale et le nazisme. Ajoutez à cela l’espéce de réhabilitation scandaleuse de Pétain tentée par Emmanuel Macron. Rappelons pourtant que Philippe Pétain a été condamné à mort et à la dégradation nationale pour indignité nationale, haute trahison et intelligence avec l’ennemi, Ce sont des chefs d’accusation : dans les faits, on parle du renversement de la République, de dictature, de Collaboration, d’antisémitisme d’Etat, de résistants assassinés, d’enfants raflés envoyés dans les camps… Ce qu’Emmanuel Macron appelle « choix funestes ». Réécrire l’histoire aussi éhontément, en toute rigueur, cela devrait être qualifié de révisionnisme…
Alors quel genre de contrepartie espère obtenir Emmanuel Macron de ces cajoleries ? Il a fourni une partie de la réponse au micro d’Europe 1, le 6 novembre en déclarant qu’il fallait à l’Europe « une vraie armée européenne ». Evidemment une idée pareille est dangereuse. Une armée démocratique est l’émanation d’un peuple souverain. Le recours à la force doit justement protéger cette souveraineté du peuple. Or, il n’y a pas un peuple européen ; il y a des peuples européens. Emmanuel Macron le sait mais il pense qu’on peut forcer l’ordre des choses. Au lieu de créer un peuple – ce qui est possible mais demande beaucoup de temps – il préfère forcer les choses, créer des institutions factices dans lesquelles les peuples réellement existant devront rentrer coûte que coûte. C’est un projet fou mais tout à fait conforme à l’histoire récente de l’Union Européenne : créer des institutions coquilles vides et prétendre que la démocratie est respectée. Pour que ce projet ait une chance de réussir, il faut nécessairement que l’Allemagne y adhère. Pour cela, il faut donner des gages et trouver un ennemi. Evidemment, ce dernier est tout trouvé : c’est la Russie qui sert d’épouvantail.
L’Europe de la Défense, le faux-nez de Etats-Unis
Et nous voici rendus au sommet de l’hypocrisie. Emmanuel Macron explique que son idée d’armée européenne est le moyen de s’émanciper des Etats-Unis. En France, le souci d’indépendance qui habite notre peuple, rend ce discours séduisant. Dans le reste de l’Europe, presqu’aucun pays n’en veut, surtout pas à l’Est. L’obsession anti-russe fait préférer les Etats-Unis à n’importe quoi. De toute façon, même s’il le voulait réellement, Emmanuel Macron ne pourrait pas disposer d’une défense européenne réellement indépendante des Etats-Unis d’Amérique. Dans ce domaine aussi, les traités de l’Union européenne sont formels. C’est le fameux article 42 du Traité de l’Union Européenne qui précise clairement que les objectifs européens en matière de défense doivent être conformes aux orientations de l’OTAN.
Pour bien s’en persuader, il suffit de regarder : il y a moins d’une semaine, le plus important exercice de l’OTAN a été organisée en Norvège. Il a notamment mobilisé 3 000 soldats français et commandé par un général étasunien ! Il s’appelle Trident Juncture et bien sûr c’est une pure rodomontade à l’égard de la Russie.
Pour sortir de cette spirale, j’ai défendu la sortie de l’OTAN pendant le débat sur le budget. J’ai la certitude que cette position est bien comprise parmi les armées. En revanche, les député.es d’En Marche avec la constance des robots ont bien sûr refusé d’utiliser pour autre chose les 80 millions d’euros que paie la France à l’OTAN. Il faut dire que leurs habitudes de godillots ne surprennent plus personne.
Si l’on fait le bilan, on a donc un président qui affirme vouloir la paix mais vend des armes aux Saoudiens qui en profitent pour commettre des crimes de guerre et même des crimes contre l’humanité au Yémen.
On a un président qui affirme vouloir s’émanciper de la défense américaine mais envoie 3 000 Français participer au plus important exercice militaire de l’OTAN depuis la Guerre froide.
On a un président qui prétend de défendre la paix en Europe en suggérant de faire la guerre à la Russie.
Voilà le « en même temps » dans sa version la plus terrifiante.