Après avoir évoqué des questions nationales, une chronique plus centrée sur la Seine-Saint-Denis. Mais bien sûr, ce qui se passe dans notre département permet de mener une réflexion nationale. Elle est un peu longue mais le sujet le justifie. En effet, l’enjeu est de taille. La période de confinement risque d’ouvrir encore d’avantage les blessures des quartiers populaires
L’« unité »nationale » face aux inégalités
Je l’écrivais dans un précédent billet : l’appel à l’« unité nationale » face à l’urgence sanitaire actuelle ne doit en aucun cas nous conduire à faire silence sur les inégalités sociales, spatiales, les discriminations et les préjugés racistes aussi, dont sont victimes un grand nombre de nos concitoyens. Ce serait tomber dans le piège que veut nous tendre Macron. Ce serait surtout faillir à notre mission de représentants du peuple. Il est au contraire de notre devoir de porter la parole du peuple et ses revendications.
Et ce à plus forte raison, quand la crise du Coronavirus aggrave encore les inégalités. Je l’observe de façon frappante dans le département de la Seine-Saint-Denis, à Aubervilliers et Pantin, où je suis élu. Depuis des décennies, le département a été négligé. La pauvreté et la précarité augmentent ; le tissu social s’effiloche ; faute de moyens suffisants octroyés par l’État, les services publics souffrent. Dans le même temps, les discours réactionnaires stigmatisent sans relâche la « banlieue » et ses habitants, transformés les bouc-émissaires de la Nation. A l’heure du Coronavirus et du confinement, ces blessures menacent de s’ouvrir davantage.
Fantasmes et discours de haine
Des discours parfois délirants ont entouré la mise en place du confinement. Certains se sont en effet empressés de stigmatiser une nouvelle fois les habitants de la Seine-Saint-Denis, en pointant du doigt leur prétendu manque de civisme et en les accusant de ne pas respecter le confinement. La presse a parlé de « l’indiscipline » de la population des quartiers populaires, face à laquelle les pouvoirs publics devaient « sévir » ; alors que les mêmes journaux multipliaient au même moment les articles à l’eau de rose décrivant les « promenades » des parisiens profitant du confinement sur les quais de Seine. Un syndicat de police a cru bon de diffuser sur les réseaux sociaux une « fake news », à travers une vidéo, présentée comme datant de la période de confinement, assortie de commentaires insultants sur les soi-disant « territoires perdus de la République ». La fachosphère n’a pas tardé à se déchainer et à multiplier les propos racistes, se délectant de la perspective de pillages, sur lesquels l’extrême-droite s’empresserait de faire son beurre en semant la haine.
Le civisme et l’entraide des habitants face au confinement
La réalité est évidemment bien éloignée de ce tissu de mensonges et d’immondices. Comme tous nos concitoyens, les habitants de la Seine-Saint-Denis font preuve chaque jour d’un civisme exemplaire. A Aubervilliers par exemple, une page Facebook recense quotidiennement les initiatives de citoyens solidaires face au besoin que chacun peut avoir de faire ses courses, d’assurer les devoirs de ses enfants, d’apporter de l’aide à un proche dans le besoin. Les agents communaux sont mobilisés, parfois au risque de leur propre santé, pour assurer la continuité des services. Partout, c’est l’entraide, l’engagement, depuis toujours au cœur de l’identité de nos villes populaires, qui permet de faire face aux difficultés du moment. La solidarité en temps de crise constitue le quotidien des sequano-dyonisiens.
Oui, le confinement crée parfois des tensions
Faut-il pour autant nier que le confinement créé parfois des tensions ? Loin de moi l’intention de le faire. Quand des habitants de Pantin m’interpellent sur la situation du quartier des Quatre Chemins, où des individus isolés et désœuvrés, parfois menaçants, continuent d’occuper l’espace public, j’alerte la municipalité et l’autorité préfectorale pour rétablir un climat de sécurité et donner des moyens à l’accompagnement social. Quand on me rapporte que dans le quartier de la Maladrerie à Aubervilliers, une jeune femme qui sortait faire ses courses munie d’une attestation manuscrite, a été appréhendée et aurait été victime de violences policières, j’interpelle le Préfet du département pour demander une enquête.
Les raisons sont sociales
S’aveugler ou taire ces évènements, ce serait s’interdire d’en pointer les responsables et de leur demander des comptes, s’empêcher d’en comprendre les causes profondes et de se donner les moyens de les résoudre. Ne pas les analyser, ce serait s’empêcher de voir qu’ils ne sont pas dus à une quelconque « indiscipline » des habitants, contrairement à ce que l’opinion réactionnaire voudrait faire croire. Et qu’ils s’expliquent bien plutôt par les difficultés matérielles, la précarité sociale qui affectent une population déjà défavorisée et qui, en temps de crise, est doublement victime.
Le confinement est plus difficile
Faut-il vraiment rappeler à ceux qui stigmatisent les quartiers populaires que rester chez soi est infiniment plus difficile quand l’on vit à plusieurs dans un logement insalubre, exigu et sur occupé, que quand l’on peut se retirer dans une maison de campagne, comme le font les vedettes qui publient leurs journaux dans la presse ? Faut-il redire combien il est difficile d’assurer seul.e la garde et la scolarité de ses enfants, quand on est père ou mère d’une famille nombreuse et que l’on ne peut compter à l’ordinaire que sur l’école de la République ? Faut-il encore répéter que rester chez soi est infiniment plus difficile quand l’on exerce un emploi précaire, mal payé, que lorsque l’on peut bénéficier de bonnes conditions de télétravail ?
Dans un département où le taux de chômage dépasse depuis 20 ans les 10%, où la proportion d’habitants dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté est la plus élevée de France et « deux fois supérieure à la moyenne nationale », où le logement insalubre représente presque 10% de l’habitat privé et beaucoup plus dans certains quartiers : évidemment, le confinement est plus dur à vivre, plus difficile à mettre en place.
Où est l’État ?
Faire ce constat, c’est se poser du même coup la question des moyens mis en œuvre par l’État pour s’assurer que le confinement soit compris de tous et mis en œuvre dans un contexte apaisé. N’allons pas par quatre chemins pour y répondre : la puissance publique n’est toujours pas à la hauteur des besoins des habitants. Un rapport parlementaire que j’ai pu suivre en tant que député dressait il y a presque deux ans déjà un constat sans appel des « graves dysfonctionnements de l’action publique » dans le département. Macron et son gouvernement n’ont réagi que par des mesurettes. Alors que l’urgence actuelle justifierait plus que jamais que l’on remédie aux insuffisances, ces failles se révèlent plus béantes encore.
Quelle place pour la police ?
Ainsi par exemple, les moyens policiers déployés pour appliquer le confinement interrogent. En Seine-Saint-Denis, les forces de la police nationale sont de longue date en sous-effectif. La ville de Saint-Denis compte 1 policier pour 464 habitants alors que le 18e arrondissement de Paris bénéficie d’1 policier pour 315 habitants. Les polices municipales ne suffisent pas à compenser ce déficit et ne sont en aucun cas supposées se substituer à la police nationale. Les policiers sont surchargés par leurs tâches. Et alors qu’ils sont aujourd’hui plus sollicités encore et particulièrement exposés au Coronavirus du fait de leur présence sur le terrain, ils manquent trop souvent des moyens de protection indispensables, à commencer par les masques dont le port n’a été autorisé que tardivement. Résultat : 5000 policiers seraient aujourd’hui confinés avec des symptômes sur l’ensemble du territoire national. Alors même que leur présence est particulièrement nécessaire, les services de police sont à bout, et l’on ne peut compter sur des renforts.
Les quartiers populaires abandonnés
Il s’ensuit une situation ubuesque : le ministère de l’intérieur aurait, rapporte la presse, donné instruction aux préfets de ne pas considérer l’application du confinement comme « prioritaire » dans certains quartiers. Rien n’y est jamais prioritaire en termes d’implication de la puissance publique. Faute de moyens pour mettre en œuvre des mesures pourtant indispensables face aux risques sanitaires, l’État laisse courir. L’État laisse les maires des villes populaires face à une situation de crise. Face au danger de propagation, la Maire d’Aubervilliers Mériem Derkaoui, a pris ses responsabilités pour protéger les habitants, instauré un couvre-feu par arrêté municipal. L’État l’a enjointe de revenir sur cette mesure. Soit. Mais alors, où sont les moyens nécessaires pour faire appliquer le confinement ? L’État laisse les policiers sur le terrain, sans renforts ni matériel adéquat. Et en contrepartie, il ferme parfois les yeux sur certaines violences inacceptables, qui devraient susciter l’indignation de tout républicain et donner lieu à des sanctions. Surtout : l’État laisse les habitants insuffisamment protégés face à la pandémie.
Aucune mesure sociale n’est prévue
Quant aux mesures sociales qui devraient accompagner les dispositions de confinement et sans lesquelles celles-ci ne peuvent être vraiment appliquées, elles demeurent trop insuffisantes. Là où des individus ou des mineurs isolés demeurent dehors, faute de solution il faut les mettre systématiquement à l’abri. Prendre à bras le corps l’hébergement d’urgence, la distribution de nourriture à ceux qui en ont besoin. Là aussi, les municipalités, si volontaires soient-elles, ne peuvent pas tout. Où est l’État ?
Reconstruire la République sociale
Une police républicaine irréprochable, dotée des moyens d’agir sereinement, accompagnée d’une action sociale résolue et massive, permettraient de garantir que le confinement soit bien compris et mis en œuvre dans le calme, dans le respect des droits et pour le bien de tous et toutes.
Pourquoi le gouvernement n’agit-il pas résolument ? Pourquoi Macron et les siens acceptent-ils de mettre ainsi en danger les habitants des villes populaires ? Misère d’une gestion de crise brouillonne, qui sème les germes de tensions. Impuissance aussi de pouvoirs publics qui n’ont plus les moyens d’intervenir, dominés qu’ils sont depuis des décennies par l’obsession de « la dette » et de la réduction des dépenses publiques, qui conduit à démanteler les services essentiels et à privatiser ce qui devrait relever du service public, laissant la police exsangue, les services sociaux démunis.
Dans une catastrophe, les pauvres sont toujours les premières victimes
Frappé par la situation présente, j’ai relu ces derniers jours l’ouvrage qu’un historien a consacré il y a quelques années à l’ouragan Katrina, qui a dévasté la Nouvelle-Orléans en 2005. Ce qu’on peut y lire sur cette catastrophe naturelle qui a frappé les États-Unis est riche d’enseignements sur l’urgence sanitaire qui touche aujourd’hui la France. L’on y retrouve tous les ingrédients de notre situation présente : une crise qui exacerbe les clivages sociaux et frappe inégalement selon que l’on est riche ou pauvre ; l’abandon des plus modestes et de des minorités, stigmatisés alors même qu’ils sont les premières victimes. Et le coupable est toujours le même : l’impuissance des pouvoirs publics, d’un État failli, ravagé par des décennies de néolibéralisme et d’austérité.
L’expérience du confinement nous invite à en finir avec ce monde. A reconstruire un État fort, juste et souverain. Qui refermera enfin les fractures que la crise du Coronavirus met aujourd’hui une nouvelle fois en évidence. Qui n’abandonnera plus les habitants des quartiers populaires au bord de la route. En un mot : la République sociale.