Il y a près d’un mois, le ministère des Armées a lancé un appel à projets aux PME susceptibles de développer des solutions innovantes et utiles à la lutte contre le Covid-19.
Depuis, deux projets ont été retenus et bénéficieront d’une aide financière. La première, une entreprise bretonne touchera un million d’euros pour le développement d’un système de détection du coronavirus dans le sang. La deuxième, une PME francilienne, percevra 1,8 million d’euros pour développer un projet d’automate de test du coronavirus.
Une mobilisation générale
Dans le contexte de mobilisation générale de la société pour lutter contre l’épidémie, on comprend bien que le ministère des Armées soit mis à contribution. Que son personnel et ses finances soient appelés en renfort a quelque chose de rassurant aux yeux de la population. En outre, le ministère des Armées finance déjà depuis des années la recherche médicale et soutient aussi des PME du secteur de la défense.
Financer les entreprises
Il y a en théorie deux raisons pour l’État de soutenir financièrement des entreprises du secteur de la défense. Il s’agit tout d’abord de garantir la souveraineté nationale en assurant qu’une compétence participant d’une façon décisive à la protection du territoire ou de la population ne fasse jamais défaut aux armées en cas de besoin…
Ensuite, on sait que l’innovation dans le domaine de la défense est le plus souvent, et même de plus en plus, « duale » : les techniques développées en vue de la guerre sont utilisables en temps de paix. Si bien que l’industrie de défense est un véritable volant d’entraînement dans le cadre d’une planification de la relance et de la relocalisation d’autres activités industrielles.
C’est en théorie dans cette perspective que l’État investit dans le secteur privé : il a ainsi en vue un intérêt plus général que la réussite économique d’un seul acteur.
Mélange des genres
Pourtant, dans le cas de ces appels à projets, nous sommes face à un mélange des genres insatisfaisant. Nul ne conteste l’intérêt de développer des technologies médicales de pointe pour détecter le coronavirus : toute la société devrait en bénéficier. Mais deux questions se posent. La première est très générale et mériterait des développements inutiles pour l’instant ici : pourquoi des firmes privées seraient-elles plus aptes à développer des solutions de pointe plutôt que des laboratoires publics ? Dit autrement, est-il légitime d’utiliser de l’argent public pour un investissement dont les bénéfices financiers ne seront pas publics ?
La deuxième question est plus restreinte : pourquoi mobilise-t-on des crédits du ministère des armées plutôt que du ministère de la Recherche pour ce genre de dépense ?
Le gouvernement a dû présenter une loi rectifiant la loi de finances initiale pour faire face à la situation exceptionnelle que nous traversons. L’enveloppe dédiée au soutien des initiatives privées de recherche pour lutter contre l’épidémie aurait pu être réaffectée. Cela n’a pas été le cas.
De mauvaises habitudes
Je vois à cela trois raisons. La première est idéologique. On soutient depuis des années que la fonction de l’argent public c’est de stimuler l’offre privée et donc de subventionner les profits. François Hollande avait lui-même théorisé sa politique comme une « politique de l’offre ».
La deuxième raison tient au fait que le gouvernement aura sans doute préféré sauver les apparences en ne montrant pas — au moins pour l’instant — que le budget des armées sera affecté par la crise actuelle. Il est pourtant fort probable que la Loi de Programmation Militaire 2019-2024 n’y résiste pas.
Enfin, je fais l’hypothèse que ces crédits, le ministère de la Recherche n’est pas lui-même en mesure de les affecter. En effet, pour expertiser les projets présentés par les entreprises, on n’aura sans doute pas trouvé plus efficace que la Délégation Générale de l’Armement (DGA) pour faire face à un surcroît inattendu de travail. N’est-ce pas d’ailleurs la DGA qui est mandatée pour expertiser les projets de masques chirurgicaux développés par les entreprises ? Voilà qui témoigne du cruel délabrement du ministère de la Recherche, bien documenté par de nombreux collectifs, mais aussi de l’ancien ministère de l’Industrie. Ce dernier n’existe même plus à part entière : l’industrie n’est plus qu’un appendice du ministère des Finances…
Souhaitons que les projets financés aboutissent, et rapidement. Néanmoins, gardons à l’esprit que leur subventionnement est aussi une mauvaise nouvelle. Il rappelle que l’État, depuis des années, se prive des moyens d’organiser et planifier la recherche et les productions stratégiques du pays.