8 mai : Que brûle la flamme de la liberté

“Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles” Le 8 mai 1945, il y a soixante-quinze ans, la Seconde Guerre Mondiale prenait fin en Europe. L’Allemagne nazie était vaincue. Le 2 septembre, c’est le Japon qui déposait les armes. Après six années de guerre, le monde faisait face

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“Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles”

Le 8 mai 1945, il y a soixante-quinze ans, la Seconde Guerre Mondiale prenait fin en Europe. L’Allemagne nazie était vaincue. Le 2 septembre, c’est le Japon qui déposait les armes. Après six années de guerre, le monde faisait face à un terrible bilan, que l’on ne peut évoquer sans être saisi d’effroi : plus de soixante millions de morts, parmi lesquels plus de civils, hommes, femmes, enfants, que de combattants. C’est vers toutes ces victimes que notre esprit se tourne aujourd’hui, à l’heure de nous recueillir. Victimes d’une violence dont la notion de “crime contre l’humanité”, apparue pour la première fois dans le droit en 1945, rend compte de la barbarie et de la portée inédite dans l’histoire.

Vingt ans seulement après les orages de feu et d’acier de 1914-1918, l’horreur innommable du génocide, des charniers et des camps nazis a ébranlé encore davantage la confiance dans le progrès humain. Le mot du poète Paul Valéry, résistant, mort en cette année 1945, et qui écrivait dès 1919, au lendemain de cette Première Guerre Mondiale, dont la seconde fut, à plus d’un titre la fille, que “nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles”, résonne comme un avertissement, plus vibrant encore.

La seconde guerre mondiale fut un affrontement entre la liberté et le fascisme, entre l’émancipation et la réaction

Si l’humanité est apparue mortelle, en 1939-1945, c’est avant tout du fait de ceux qui ont cherché à l’assassiner. Car cette guerre ne fut pas qu’un choc d’États mus par des intérêts opposés. Elle fut un affrontement entre la liberté et le fascisme. Porteurs de l’héritage des tranchées de la “Grande guerre”, qui avait brutalisé les corps et les esprits et attisé la haine nationaliste, les régimes fascistes et autoritaires prétendaient redessiner à leur profit l’ordre international, par le fer et le sang.  Animés par le refus de l’émancipation humaine, individuelle et collective, ils aspiraient à mettre partout à bas la démocratie et à effacer les conquêtes du mouvement ouvrier, afin d’étouffer tout espoir de liberté, d’égalité, de fraternité, pour mieux défendre un ordre social hiérarchique et inégalitaire. La persécution et le meurtre de masse de toutes celles et ceux que l’idéologie raciste jugeait “inférieurs”, déniant leur humanité même, portait cette logique à son paroxysme. C’est de cette volonté belliqueuse et réactionnaire, dont le nazisme fut l’incarnation la plus monstrueuse, que naquit l’ouragan de mort et de destruction qui s’abattit sur le monde.

La France fut meurtrie par les années noires et l’infamie de la trahison

La France, notre patrie républicaine, ne fut pas épargnée par cette grande balafre de l’histoire. Plus de six cent mille morts. Plus d’un millions de ménages laissés sans toit par les destructions matérielles. Deux millions de personnes déplacées à rapatrier, prisonniers de guerre internés et travailleurs forcés internés en Allemagne, résistants, militants politiques, homosexuels, Juifs rescapés de la déportation et de l’enfer concentrationnaire. C’est endeuillée, meurtrie, que la France émerge des années noires en 1945.

Jusqu’à la fin des années 1930, pourtant, l’élan des forces populaires et progressistes rassemblées sous la bannière du Front Populaire, avait permis à la République de tenir tête aux vents mauvais du fascisme, qui soufflaient sur l’Europe, et arraché au capital de nouvelles conquêtes sociales. Mais la défaite de 1940 a brisé cet élan. Tragédie nationale pour la majorité du peuple français, la débâcle fut saluée comme une “divine surprise”, selon le mot de Charles Maurras, par le camp de ceux qui n’avaient jamais accepté la République, et moins encore la République sociale qui, comme le disait Jaurès, devait en être l’aboutissement. Cette défaite, ils l’avaient même appelée de leurs vœux et favorisée, préférant, comme on le disait alors, “Hitler au Front Populaire”. Ils en profitèrent pour ériger le prétendu “État français” de Vichy, véritable “contre-révolution civique et sociale” – pour reprendre la très juste expression de Léon Blum.

La souveraineté populaire fut mise à bas, et la dictature de Vichy installée. Les droits sociaux, balayés, au nom d’un régime corporatiste qui servait le grand patronat et étouffait la voix des travailleurs et travailleuses. La laïcité, flétrie, au nom d’une politique qui substituait le cléricalisme à l’émancipation. La citoyenneté, mutilée, dès octobre 1940, par un “statut des Juifs”, qui, au nom de la folie raciste et antisémite, prétendait trier les français en fonction de leurs origines.  S’abîmant dans une collaboration toujours plus étroite avec l’occupant allemand, les forces de Vichy déchaînèrent une répression toujours plus sauvage contre la population française, et se firent complices zélées du génocide des Juifs. Aux pertes humaines, aux dégâts matériels, risquait ainsi de venir s’ajouter une tâche indélébile sur l’honneur de la France.

Rendons hommage à celles et ceux qui apportèrent la lumière de la victoire et de la liberté

L’ombre des années noires fut cependant chassée par la lumière de la victoire. Et c’est aussi cette victoire et ses héros et héroïnes que nous commémorons aujourd’hui, en même temps que le martyr des victimes. Car partout dans le monde, les défenseurs de liberté surent se coaliser pour abattre le fascisme.

La France se doit de rendre hommage aux armées libératrices, soldats du débarquement venus d’Outre-Manche et d’Outre-Atlantique pour chasser l’occupant du territoire national, mais aussi hommes et femmes de l’Armée Rouge, qui apportèrent une contribution décisive à la défaite de l’Allemagne nazie. Mais notre Patrie dût aussi son salut à elle-même. A tous ceux et toutes celles qui refusèrent la défaite de 1940 et la trahison de la collaboration. Soldats des Forces Françaises Libres qui avaient répondu à l’appel du Général de Gaulle et qui, dès 1941, alors qu’ils combattaient les troupes allemandes en Libye, à des milliers de kilomètres de la France, juraient de ne s’ “arrêter que lorsque la drapeau français flotterait sur Strasbourg”. Résistants et résistantes, qui formaient cette armée des ombres, de l’intérieur, dont l’activité de renseignement et de sabotage eu une importance capitale. Ces hommes et ces femmes étaient issus de l’ensemble des forces politiques républicaines, communistes, socialistes, gaullistes. Ils et elles étaient citoyens français, de toutes origines. Mais aussi “sujets de l’Empire” colonial, comme on disait alors – que l’on n’oublie pas que c’est de l’Afrique équatoriale et de l’Afrique du nord françaises que vint la libération de la métropole, à la semelle des jeunes soldats qui s’étaient portés volontaires pour secourir une patrie qu’ils n’avaient pas choisie ni jamais vue, et qui n’avait que trop souvent failli à sa promesse d’égalité. Les massacres de Sétif, le 8 mai 1945, en apportèrent à nouveau la preuve tragique. Certains encore étaient étrangers, à l’image de ces résistants du groupe Manouchian, tombés sous les balles allemandes et qui “criaient la France en s’abattant”, comme le dit le vers d’Aragon.

C’est à ces hommes et ces femmes que nous pensons aujourd’hui, et à la dette que nous avons à leur égard. Parce qu’ils et elles savaient que Vichy n’était pas la France, ils continuèrent la République et incarnèrent son idéal, dans leurs esprits, leurs cœurs et leurs actes. C’est grâce à leur bravoure, militaire et politique, que la Nation et le Peuple reconquirent leur souveraineté, là où le libérateur états-unien eut préféré placer le territoire français sous une administration étrangère alliée, l’Amgot. Et c’est leur contribution à la victoire qui permit à la France de s’assoir à la table des vainqueurs et de faire à nouveau entendre sa voix dans le monde, contraignant le maréchal nazi Wilhelm Keitel à s’exclamer, signant la capitulation allemande en ce 8 mai 1945 : “Ah ! Il y a aussi des français ! Il ne manquait plus que cela.”

La victoire sur le fascisme marqua la naissance d’un monde plus juste

Enfin, il faut nous souvenir que la victoire sur le nazisme et le fascisme fut aussi la naissance d’un monde nouveau, plus juste. Car vaincre la barbarie du nazisme et du fascisme supposait d’en éradiquer les causes.

En France, le programme du Conseil National de la Résistance adopté en mars 1944 affirmait la volonté de faire de la libération la fondation d’une “République nouvelle”, qui garantirait les libertés publiques, la soumission des grandes féodalités économiques et financières à l’intérêt général, l’emploi, la justice sociale et le bien-être des travailleurs et travailleuses. Sur le vieux continent, les débuts de la construction européenne traduisaient l’aspiration à la coexistence pacifique et au rapprochement de peuples qu’une guerre de Trente ans venait de déchirer. Dans le monde, la création des Nations Unies, le 24 novembre 1945, manifestait la volonté de mettre en place des mécanismes de règlements pacifique des conflits, par le dialogue international entre nations libres et souveraines. La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 proclamait le droit inaliénable de chaque individu, sans distinction de fortune, de sexe, de langue, de race, de religion, à la dignité, la liberté, l’égalité en droit, à un travail digne, à la protection sociale, à l’éducation à la culture.

Il est vrai que cet élan fut loin de se traduire intégralement et immédiatement dans les faits. Une partie de l’Europe, derrière le rideau de fer, demeura privée du plein exercice des libertés politiques. Les peuples colonisés durent lutter pour balayer le joug de l’oppression et arracher de haute lutte leur liberté.  Cependant, malgré bien des convulsions et les tensions de la Guerre froide, le spectre d’un nouveau conflit mondial fut écarté. Des lendemains de la Seconde Guerre Mondiale jusqu’aux années 1970, c’est une vague émancipatrice qui sembla parcourir le monde. La reconstruction avait ouvert une ère de prospérité. Le partage croissant des richesses, l’extension des libertés et des droits des individus, l’indépendance des nations autrefois soumises au joug colonial étaient à l’ordre du jour.

Après des années de régression, le legs de 1945 est aujourd’hui menacé

S’il faut rappeler aujourd’hui ce que furent les souffrances de la guerre et le monde nouveau qui émergea après la victoire de 1945, c’est que la Grande régression qui a déferlé sur le globe depuis une trentaine d’années menace de faire oublier les leçons de la Seconde Guerre Mondiale.

Mue par la soif inextinguible du profit et le fondamentalisme du marché, une oligarchie tente de balayer partout les conquêtes des lendemains de 1945. “Défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance” : tel fut d’ailleurs précisément le mot d’ordre lancé il y a une décennie de cela par un représentant du grand patronat français. Cette volonté d’accumulation sans borne au profit d’une minorité, et au détriment du plus grand nombre, menace de faire à nouveau faire basculer le monde. Lancées dans une rivalité économique sans merci, les nations pourraient à nouveau s’affronter par les armes. Abandonnés à la précarité, les peuples pourraient à nouveau s’égarer à chercher dans l’autoritarisme et le nationalisme, loin de l’égalité et de la fraternité, les réponses à la quête humaine de sens et d’un destin collectif.

D’autres dangers – les excès du productivisme et d’une technique débarrassée des limites que la raison doit lui fixer – que l’humanité entrevoyait déjà en 1945, à l’heure de la guerre industrielle et du premier déchainement du feu nucléaire, mais qui n’ont fait que croître depuis lors, pourraient donner aux catastrophes à venir une portée plus large encore qu’à celles du passé. La pandémie mondiale et la crise sanitaire que nous vivons aujourd’hui, et qui trouve une partie de leur origine dans la violence faite à la nature au nom du profit économique, préfigurent le désastre que nous vivrons si nous n’écartons pas ces errements pour construire un monde plus juste, comme nos prédécesseurs ont su le faire en 1945.

Préservons la mémoire, pour construire un monde de liberté, d’égalité, de fraternité

Conjurer les périls. Empêcher que se répètent demain les tragédies d’hier. Bâtir un monde de justice et de paix, fidèle aux espoirs de ceux qui ont lutté, et donné leur vie pour que les valeurs universelles, de liberté, d’égalité, de fraternité l’emportent sur la haine, pour que la lumière triomphe sur la nuit. Ne jamais nous soumettre à l’oppression et à la régression. Faire brûler toujours la flamme de la liberté. Tel est le devoir auquel la mémoire de la tragédie de 1939-1945 nous oblige.

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