Madame la Présidente, Madame la rapporteure, Mes chers collègues,
Je voudrais en préambule à cette discussion vous dire que je suis heureux et fier de pouvoir aujourd’hui défendre une proposition de loi qui émane d’un groupe de la majorité et que j’ai co-signée. Son objet est extrêmement important et exige de nous que nous passions outre les clivages partisans. L’expression violences éducatives ordinaires pourraient effectivement induire en erreur. Vous pourriez penser qu’il s’agit de légiférer sur une matière anecdotique. En réalité, il s’agit d’enjeux immenses. Il s’agit de la vie et même de la mort d’enfants. Il s’agit de notre conception de l’enfance, de la République et même pour reprendre l’expression de l’historien Norbert Elias, du « processus de civilisation ».
Selon une estimation de l’INSERM, 2 enfants meurent chaque jour par maltraitance, négligence ou abandon, dont une proportion considérable sous les coups de leurs parents. L’association « observatoire de la violence éducative ordinaire » fait le constat glaçant suivant : 44 % des enfants maltraités ont moins de 6 ans. On dénombre 600 à 700 décès d’enfants par an. Il existe aujourd’hui plus de 98 000 cas connus d’enfants en danger. Ce chiffre témoigne d’une augmentation de 10% en dix ans. Tout le monde en conviendra, cette tendance doit être enrayée. La protection de l’enfance doit être une priorité. Cela suppose bien sûr une action globale concertée. Cette action devrait protéger les enfants des effets de la pauvreté, en assurant notamment qu’ils vivent dans un logement décent. Elle devrait garantir leur accès aux soins de santé. Elle devrait assurer que leur droit à l’éducation soit pleinement respecté. Ces impératifs figurent dans la charte des droits de l’Enfant dont la France est signataire. Car ces droits sont universels et en tant que tels les enfants devraient en jouir indépendamment de toute autre considération. Ce n’est hélas pas la cas ! Ce n’est pas le cas pour les enfants en situation de handicap dont la prise en charge est encore si gravement défaillante. Ce n’est pas le cas pour les enfants qui subissent les effets de
la pauvreté de leur famille. Ce n’est pas le cas pour les mineurs isolés d’origine étrangère, qui ont fui la misère et la guerre et que l’Etat laisse dans une situation de dénuement extrême. Je veux mentionner leur situation à toutes et à tous alors que la politique d’austérité du gouvernement et la loi Asile et immigration leur rendent la vie encore plus difficile.
Devant ces faits terribles, certains sont tentés de minimiser une mesure sur laquelle il est pourtant possible de s’entendre : le bannissement de ce que la proposition de loi appelle « violences éducatives ordinaires ». Mais c’est méconnaître la portée de cette mesure. C’est méconnaître qu’elle permettrait de traiter à la racine le problème de la violence en général. C’est un des plus puissants moyens de réduire le niveau général de la violence dans notre société.
Certains se feront goguenards à cette idée, notamment sur les réseaux sociaux. D’autres seront tentés par l’ironie et voudront réduire les violences dites éducatives au refus de la fessée. Or je l’affirme : cette proposition de loi est d’utilité publique. Elle n’est certes pas parfaite. Certains points peuvent être précisés, nous le verrons dans les amendements. Mais tout de même : elle pose une question fondamentale. Elle oblige à l’examen de conscience.
Prenons un instant pour y penser : des violences faites aux enfants pourraient-elles être ordinaires? A fortiori, pourraient-elles être éducatives ? Poser la question suffit en réalité à y répondre. La société condamne toute forme de violence, physique, verbale, psychologique. Des sanctions pénales sont prévues pour les auteurs de coups, de blessures. Mais pas pour celles et ceux qui frappent des enfants. Notamment pas leurs enfants. Cela est renvoyé à l’intimité de la famille, et la liberté des parents dans le choix de l’éducation qu’ils donnent à leurs enfants. Mais qu’en est-il de la liberté des enfants d’avoir une éducation sans violence ? ils n’en ont aucune !
La société doit protéger les enfants de la violence, comme elle a un devoir de protection envers les plus faibles. Quand je dis la société, je dois dire la République.Car la République n’est pas un régime démocratique neutre. Elle ne considère pas que toutes les options sont égales entre elles. Elle affirme que les personnes ont des droits. Que ces droits sont inaliénables. C’est-à-dire qu’ils ne peuvent être perdus, vendus ou échangés. De sorte qu’un enfant ne perd pas son droit à la non-violence lorsqu’il fait une bêtise. Être républicain signifie aussi de ne pas substituer un droit pour un autre : en l’occurrence, il s’agit de ne pas mettre en concurrence le droit d’éduquer librement ses enfants et le droit de ne pas subir de violence. D’ailleurs, le souci des droits des personnes n’est pas le seul à guider la réflexion. Le souci de l’intérêt général commande. Demandons-nous ce qui est bon pour tous et la chose devient clair : outre l’impératif de protection – qui pourrait suffire à lui seul – il y a un impératif de santé publique : les conséquences d’une éducation violente sur la santé psychologique, le stress, le manque de confiance en soi, sont multiples.
Il ne s’agit pas là, contrairement aux vulgaires caricatures que l’on peut lire ici ou là, de céder à tous les caprices des enfants, de les proclamer enfants-rois auxquels on ne peut jamais rien dire et surtout pas « non ».
Mais simplement d’affirmer qu’on peut dire « non » à un enfant de toute autre manière que par des actes violents.
Car contrairement à ce qu’on dit, la violence n’est pas éducative. Si elle éduque, c’est à la violence et à la résolution des conflits par la violence. Elle fait de la souffrance le synonyme de la contrainte. Or cette équivalence est dangereuse. La violence sur les enfants les habitue aux rapports de forces, à craindre plus qu’à respecter. Eduquer par la violence, c’est restaurer au sein des familles, une loi que la société a bannie partout ailleurs : la loi du plus fort. C’est prendre le risque de la faire prospérer et de saper les fondements de l’autorité véritable. Il ne faut pas craindre de le dire. Bannir l’emploi de la force, c’est oeuvrer à la restauration de cette autorité véritable. Car qu’est-ce que l’autorité ? C’est un pouvoir fondé sur la raison. L’autorité est l’exacte inverse de l’arbitraire. L’autorité parentale, comme celle des maîtres et des maîtresse ne vient pas d’une capacité de nuire. Elle vient tout au contraire de la capacité à protéger, à chérir et à élever ; dans tous les sens que peut revêtir ce mot. Considérer que l’exercice de l’autorité implique la pratique de la violence est un contre-sens dangereux. C’est le germe de violences plus graves et d’injustes rébellions. Fonder l’éducation sur le rapport de forces, aussi réduite soit son expression, c’est justifier qu’un jour, face à un parent vieilli et devenu sans force, le respect filial soit devenu inutile. L’autorité des parents et des maîtres serait alors comme le pouvoir du tyran décrit dans les dialogues de Platon. Ce tyran est l’homme le plus malheureux du monde : il vit dans la peur ; il vit dans l’attente de sa chute. La violence qu’il sème autour de lui retombera sur lui. Laisser une place à la violence dans les relations éducatives, c’est laisser prospérer la violence partout. À l’inverse, la bannir, c’est protéger aussi bien les enfants qu’on éduque que les adultes qui éduquent.
La violence habitue les enfants aux rapports de domination. Certains d’entre eux, malheureusement, l’observent entre leurs parents. Ils en subissent aussi les dommages. En grandissant, le modèle est ancré dans leurs esprits. La violence devient alors le terreau de la maltraitance mais aussi des violences conjugales, des actes violents commis à l’école. Comment en serait-il autrement puisqu’on habitue l’enfant à l’idée d’une bonne violence ? La confusion s’inscrit durablement dans les têtes : aimer quelqu’un, le protéger cela ne serait pas antinomique avec le frapper, le moquer ou l’humilier ?
Pensez aux terribles témoignages de femmes battues qui si souvent minimisent et
affirment que celui qui leur fait du mal, le fait par amour…
Les humiliations récurrentes, les violences psychologiques répétées, les inégalités
les plus insidieuses déforment nécessairement les conceptions enfantines. Par-là, les enfants apprennent à être dominés et à vouloir dominer pour sortir de cette situation où ils subissent la violence. On entre dans un cycle infernal, où la violence future répond à la violence présente, où les enfants battus devenus parents sont parfois
incapables d’éduquer leurs enfants autrement.
Cette violence domine ensuite les rapports sociaux, à l’école, puis plus tard au travail, dans la société, dans le couple, et toutes les relations sociales qui sont pourries par l’envie impérieuse de s’imposer pour ne pas subir la violence, ou pour d’autres, par la peur permanente et l’effacement de soi.
Seuls les dominants veulent maintenir les rapports de domination. Leur disparition
n’entrainera pas le chaos et la fin de l’autorité, mais ce qui est premier en république, la liberté pour l’enfant de s’épanouir sans crainte, l’égalité de traitement de tous, sans qu’un domine et l’autre obéisse, et la fraternité. Il n’y aura pas de citoyennes et de citoyens pleinement émancipé.es tant que la violence ne sera pas extirpée de l’éducation. Nous pouvons faire un pas dans ce sens.