L’élection présidentielle est la clé de voûte des institutions. La campagne présidentielle qui précède cette élection est particulièrement sensible.
Mais LREM n’a pas hésité à réduire d’un quart la période de prise en compte de dépenses de campagne, sans préavis ! Cette période, plus longue que les autres élections, permet de s’assurer du bon respect des plafonds de campagne, comme il permet le financement public des candidatures ayant fait plus de 5%.
Une telle modification va mécaniquement favoriser les candidats riches !
LREM a également refusé d’avoir même le débat sur la question des 150 000 parrainages citoyens, proposée par la France insoumise. Les amendements ont été déclarés « irrecevables » de façon purement arbitraire. La preuve : des amendements au Sénat portant sur les parrainages ont été recevables, et même votés !
C’est pour dénoncer cette loi de reniement démocratique que la France insoumise a demandé le rejet du texte.
Lire le discours intégral :
Monsieur le Président, Madame la Ministre, Mes chers collègues,
Quand nous avons commencé l’examen de ce texte, il devait s’agir d’un texte technique, pour adapter la loi organique aux modifications intervenues depuis le dernier scrutin présidentiel. Sur cette base fallacieuse et un périmètre arbitrairement défini, tous nos amendements ont été écartés sans débat. Ils n’auraient pas de lien direct avec le projet de loi. Le texte ne devait en aucun cas revenir sur les équilibres du scrutin présidentiel.
Nous avons bien vu depuis qu’il n’en était rien. La définition de ce qui est « technique » dépend surtout de qui arrange le gouvernement, et permet d’éviter les débats encombrants. Au vu des modifications apportées par le Sénat, nous ne pouvons que demander le rejet de ce texte.
Je commence par le plus grave : la commission mixte paritaire a inventé un arrangement entre les deux chambres qui modifie substantiellement la campagne présidentielle. Au lieu d’un an comme habituellement, la durée de prise en compte des dépenses de campagne est réduite à 9 mois, soit un quart du temps initialement prévu, qui disparait subitement !
Et le préavis de cette décision est minimal, puisque nous sommes le 9 mars, et que l’ouverture des comptes de campagne devait être le 1er avril. C’est un scandale démocratique.
Car les conditions de financement de la campagne modifient substantiellement les capacités matérielles à faire campagne, particulièrement en temps de crise sanitaire où les réunions publiques sont difficilement organisables.
Cette décision va favoriser les candidats riches, qui peuvent se permettre de dépenser sans compter jusqu’à l’ouverture des comptes de campagne. Cela va favoriser les candidats qui optent pour une campagne éclair et dépensent beaucoup d’argent en communication sur les derniers mois. C’est une décision politique majeure qui fait que les campagnes présidentielles déjà entamées reposent sur les dons jusqu’en juillet.
Le Conseil d’Etat a bien précisé le risque démocratique inhérent à ce raccourcissement : « Le raccourcissement de la période aurait par ailleurs pour conséquence de retarder de trois mois la mise en œuvre du contrôle du recueil des fonds, qui est notamment destiné à assurer le respect du plafonnement des dons d’une même personne physique et de l’interdiction des dons de personnes morales. Par ailleurs, il limiterait le recueil de ressources auprès des particuliers, les donateurs ne pouvant, durant ces trois mois, bénéficier de l’avantage fiscal prévu par la loi ». Un candidat à l’élection présidentielle qui se déclarerait demain, peut donc dépenser sans compter jusqu’à juillet prochain, puisque ces dépenses ne seraient pas comptées dans le plafond de dépenses. Et ce n’est pas une petite affaire, quand on se souvient du scandale Bygmalion, et le système de sous-facturation organisé pour donner l’apparence que le plafond de dépenses était respecté.
En réduisant d’un quart la durée d’ouverture des comptes de campagne, c’est un des équilibres de la campagne présidentielle qui est directement atteint : l’égalité de traitement devant le financement de la campagne.
Le financement public des campagnes politiques, pour les candidats qui obtiennent plus de 5% des suffrages exprimés, est un principe fondamental pour garantir l’égalité devant les fonctions électives. Car sans cela, les élections sont réservées aux riches, et aux candidats soutenus par l’oligarchie. Ceux qui obtiennent sans difficulté un prêt d’une banque, ou qui ont de riches donateurs qui sont ravis de financer leur campagne. Investissement très rentable, comme la campagne du candidat Macron. Il le leur a bien rendu, immédiatement, dès 2017, en cadeaux directement prélevés sur l’argent public, à coup de suppression de l’ISF et autres avantages fiscaux octroyés.
Le financement public permet de corriger une situation aussi grossièrement déséquilibrée en faveur de l’oligarchie. Cela permet aux candidats qui n’ont pas d’argent de pouvoir présenter leur programme quand même, afin que ça soit le peuple souverain qui prenne la décision.
Et non pas l’oligarchie qui déciderait de financer les candidats qui correspondent à ses intérêts, et pas les autres.
C’est une manœuvre grossière contre ceux qui ont déjà commencé leur campagne : ce sont les seuls à faire campagne, les seuls qui seront directement pénalisés par cette réduction du temps de campagne. Ce n’est pas un texte technique, Monsieur le Rapporteur. C’est un texte qui vise à empêcher les mouvements politiques de faire campagne comme ils l’entendent : une campagne longue, fondée sur un programme et pas sur le marketing d’un candidat qui ferait irruption au dernier moment. C’est un choix politique et anti-démocratique.
Le texte soi-disant technique a aussi connu un épisode navrant d’improvisation gouvernementale. Car quelle ne fut pas notre surprise quand le gouvernement a déposé au Sénat un amendement de dernière minute visant à autoriser un vote par anticipation, sans aucun débat préalable et surtout pas devant notre Assemblée. Amendement fort heureusement rejeté par le Sénat, ce que j’approuve.
La recevabilité à géométrie variable des amendements, avec une interprétation récente, abusive et arbitraire de l’article 45, a permis d’aborder au Sénat la question du parrainage des candidats, alors qu’on nous avait déclaré solennellement ici, Madame la Présidente de la Commission des Lois, que ces amendements étaient irrecevables car hors-sujet.
Encore une preuve de l’arbitraire politique appliqué dans l’unique but de pouvoir censurer des amendements de l’opposition, sous couvert d’arguties juridiques.
Il nous a donc été impossible en première lecture de seulement débattre de la proposition faite par la France insoumise d’inscrire la possibilité de parrainage citoyens pour la prochaine présidentielle. Nous voulons ouvrir le droit à parrainer les candidats à 150 000 citoyens. Le but n’est pas de remplacer le système des 500 élus, car les 2 systèmes peuvent très bien exister en parallèle.
Cette proposition n’est pas nouvelle, elle a été faite depuis 2012, par la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique présidée par Lionel Jospin. En étaient membres, par exemple un président de section du Conseil d’Etat, des professeurs de droits comme Dominique Rousseau. Rien de bien ébouriffant.
Ce chiffre permet de garantir la diversité des candidats : Philippe Poutou, Nathalie Arthaud, Jean Lassalle, ont tous fait plus de 150 000 voix en 2017. C’est simple à mettre en œuvre : il suffit de modifier l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962 qui a une valeur organique. Une proposition de loi a été déposée depuis le 26 octobre 2020, et un amendement que vous avez déclaré irrecevable. Refusé pour un motif de toute évidence fallacieux, puisque la loi finalement modifie les conditions de parrainage des candidats. C’est donc que nos amendements avaient un lien direct avec le texte.
Voilà pourquoi votre texte est une loi de reniement démocratique, et pourquoi nous demandons son rejet. Il trafique les conditions de financement des campagnes présidentielles, et il organise l’impossibilité pour les citoyens de participer au parrainage des candidats.
Pourtant, il serait plus que temps de rendre cette élection démocratique. Car la démocratie ne repose pas tout entière sur la seule possibilité matérielle du vote. Il n’y a pas de scrutin démocratique sans décision libre et éclairée, qui permet d’exprimer la volonté générale. Or, beaucoup de menaces pèsent sur la constitution d’une volonté générale libre et éclairée.
La réduction du temps d’ouverture des comptes de campagne empêche les candidats de présenter au mieux l’option politique que représente leur programme, et réduit les possibilités d’éclairer la décision.
La présélection des candidats par 500 élus empêche un choix libre, puisque ce n’est pas le peuple qui prend directement cette décision. Des candidatures pourraient être écartées faute de parrains, alors que la possibilité d’un parrainage citoyen rendrait possible ces candidatures.
Mais le risque principal qui pèse sur les différentes élections qui auront lieu en 2022, c’est l’abstention. En 20 ans, l’abstention aux législatives a progressé de 20 points.
Je vous rappelle les chiffres :
– aux législatives de 2017 : 51% d’abstention
– aux européennes de 2019 : 50% d’abstention
– au 1er tour des municipales de mars 2020 : 55% d’abstention
– au 2e tour des municipales de juin 2020 : 59% d’abstention, ce qui est un record absolu
Jusque dans quels abîmes d’abstention devons-nous encore aller ?
Le peuple ne veut plus des simulacres de démocratie. La grève civique prend de l’ampleur, chaque fois un peu plus. Ce n’est pas la déterritorialisation des procurations qui y changera quoi que ce soit.
La seule chose qui fera revenir le peuple massivement aux urnes, c’est la certitude que son vote change quelque chose. Que le scrutin n’est pas volé, que l’élection est loyale, que la politique menée va changer après le vote.
Vous avez repoussé les réformes démocratiques aujourd’hui. Je vous donne rendez-vous pour une session de rattrapage dans la niche des insoumis.