Ce vendredi 16 juillet 2021, Emmanuel Macron s’est rendu en déplacement officiel à Lourdes. Cette visite n’est pas anodine. Le Président bafoue le principe de laïcité et fait sienne une vision identitaire et réactionnaire de l’histoire de France. Pourtant, l’intérêt général commande au contraire de rassembler notre peuple autour des principes républicains.
La « laïcité » à géométrie variable de Macron : tartufferie et opportunisme
Qu’un Président rende visite au sanctuaire de Lourdes pour y saluer les pèlerins, accompagné par le délégué apostolique et le recteur du sanctuaire, un 16 juillet, date anniversaire de la dernière apparition de la Vierge Marie à Bernadette Soubirous dans la grotte de Massabielle, le 16 juillet 1858, n’est évidemment pas un geste anodin. Qu’une photographie prise à cette occasion et qui montre Emmanuel Macron les mains jointes, semblant accomplir un geste de prière catholique, même si elle certains disent qu’elle a pu être tirée de son contexte – le Président saluait la foule, affirment des témoins – rajoute à la mise en scène. Le message est clair : le Président de la République s’est associé directement et étroitement à un rite religieux.
Rupture nette avec la pratique de ses prédécesseurs : François Hollande, Jacques Chirac et François Mitterrand se sont tous les trois rendus à Lourdes au cours de leurs mandats respectifs. Mais ils se sont bien gardés de pénétrer dans le sanctuaire, a fortiori à la date du pèlerinage. Et surtout, quelle transgression inouïe de la laïcité ! Les principes de séparation de l’Église et de l’État et de neutralité de ce dernier sont foulés aux pieds par celui-là même, le Président de la République, qui se devrait d’en être le garant. En avril 2018 déjà, dans son discours au collège des Bernardins, Emmanuel Macron avait montré le peu de cas qu’il fait du principe de laïcité. Il prétendait vouloir « réparer » le lien « abîmé » entre l’Église catholique et l’État. Il va plus loin aujourd’hui.
Pourtant, il n’a de cesse de convoquer la laïcité à tout bout de champs et de s’en prétendre le défenseur sourcilleux. Il invente même la notion de séparatisme pour stigmatiser l’ensemble des musulmans. Mais il s’affranchit totalement de la laïcité dans ses rapports avec le catholicisme. Il pratique ainsi une prétendue « laïcité » à géométrie variable. Ce faisant, il met à bas tout l’édifice laïque et républicain. Il n’y a pas de laïcité et de République sans isonomie, sans égalité de tous les citoyens.
Macron met en scène à Lourdes une vision réactionnaire de l’histoire de France
En même temps qu’il s’affranchit du principe de laïcité, Emmanuel Macron tourne le dos à une vision républicaine de l’histoire. Il renoue avec une version identitaire du récit national, directement empruntée à la droite la plus réactionnaire. En rendant une visite officielle au sanctuaire de Lourdes, le Président s’est placé dans les pas de Philippe Pétain, dernier « chef de l’État » à s’y être rendu avant lui, le 20 avril 1941. Le symbole est d’autant plus funeste que la date qu’Emmanuel Macron a choisi pour se rendre à Lourdes, le 16 juillet, est aussi celle de la commémoration de la « Rafle du Vel’ d’Hiv’ », le 16 juillet 1942, emblématique de la collaboration du régime de Vichy avec la politique nazie d’extermination des Juifs. Marcher dans les pas de Pétain, le jour même de la commémoration de la « Rafle du Vel’ d’Hiv » : le geste est si effarant que l’on n’ose imaginer qu’il ait été conscient.
Il reste que l’avoir commis est une faute, morale autant que politique. Et quoi qu’il en soit, quand il renoue avec la liturgie politique du Maréchal et « chef de l’État français », le Président de la République se situe résolument à rebours de la filiation républicaine. Car c’était bien là le sens de la visite de Pétain à Lourdes. La « Révolution Nationale » qu’il entendait incarner marquait une rupture avec la Troisième République et avec la laïcité.
Il s’inspirait, entre autres, de la tradition d’un certain courant du catholicisme politique qui, en France, n’avait jamais accepté la forme républicaine ni la séparation de l’Église et de l’État. Ce même courant du catholicisme politique, dans l’Europe des années 1930 et 1940, regardait d’un œil bienveillant les dictatures nationalistes, cléricales et corporatistes d’Espagne ou du Portugal, mu par le rejet du parlementarisme autant que de la lutte des classes. A l’heure où « l’État français » de Pétain défaisait la République pour « rétablir l’Église dans ses privilèges » – selon le mot de l’historien Robert Paxton –, c’était un symbole éloquent que de rendre visite au sanctuaire de Lourdes, dont le rayonnement remonte à 1872-1873.
Une période où la majorité « d’ordre moral » croyait pouvoir s’appuyer sur le renouveau religieux et la flambée du conservatisme catholique pour restaurer la monarchie. En 2021, après les allusions du Président Macron au talent littéraire de Charles Maurras ou à celui, militaire, de Pétain, que l’on pourrait dissocier de leurs errements politiques nationalistes et antisémites, le sens d’une visite officielle au sanctuaire de Lourdes est sans équivoque : le « récit national » que le Président Macron raconte aujourd’hui en renouant avec ces symboles n’est pas celui de la France républicaine.
Macron vire à droite toute
Pour qui veut bien la voir, la manœuvre politique est transparente : après avoir su attirer à lui une partie de l’électorat socialiste en 2017, Emmanuel Macron, candidat à sa réélection en 2022, cherche à poser en candidat de toutes les droites, imitant le Nicolas Sarkozy de 2012 tout en franchissant des seuils au-delà desquels même ce dernier n’avait pas osé s’aventurer.
Tout à son calcul électoraliste, Emmanuel Macron mesure-t-il la gravité de ses gestes ? En réduisant la laïcité à une arme dirigée contre une seule religion et épousant l’imaginaire historique de la droite nationaliste, il oublie la « mission de réconciliation » qui « incombe au Président de la République » et qu’il évoquait lui-même en 2017 ; soufflant sur les braises de la division, il aggrave ainsi les fractures qui traversent notre pays.
Loin de ces chimères d’apprenti sorcier, il est urgent de renouer avec les principes d’une République exemplaire et avec de grandes causes communes d’intérêt général, la justice sociale, la transition écologique, la création de droits démocratiques nouveaux, seuls à même de rassembler tous les Français dans l’union populaire, indispensable face aux crises d’aujourd’hui et aux défis de demain.