Depuis quelques semaines le mouvement des gilets jaunes a pris un virage inattendu pour beaucoup d’observateurs. Les revendications sociales sont encore très présentes, bien sûr, mais elles sont progressivement couplées à des revendications portant sur la démocratie elle-même.
L’oligarchie gagne du temps
Nous avons décrit ce mécanisme il y a longtemps. Face à la caste au pouvoir, le peuple sent bien que ses victoires ne peuvent être que très limitées. Le groupe qui commande fera mine de « lâcher du lest », comme disent les journalistes, mais il ne cèdera rien sur l’essentiel : le pouvoir lui-même.
C’est très exactement ce qu’ont fait Macron et Philippe en annonçant leurs entourloupes sociales. Je ne m’attarde pas ici sur l’enfumage qu’elles visent. Exonération de cotisations sur les heure supplémentaires, augmentation d’une prime d’activité que tout le monde ne touche pas etc… On commence à bien voir que tout cela n’est que poudre aux yeux. Pour parer au plus pressé, le gouvernement a même sollicité ses amis les grands patrons avec pour message : céder un peu aujourd’hui, de peur de tout perdre… Le sous-entendu est limpide : quand le calme sera revenu, il nous sera facile de reprendre comme avant. La presse s’est même fait l’écho de la grande trouille qui a saisi Geoffroy Roux de Bézieux, le parton du Medef, il y a quelques jours. Il aurait exhorté Macron à adopter cette stratégie. Qu’importe le sacro-saint déficit public au nom duquel on demande depuis vingt ans de faire « des sacrifices » ! Pour le patronat, il fallait sauver l’essentiel.
Pour prendre l’argent, prendre le pouvoir
La réaction chez les gilets jaunes est logique et imparable. On ne peut compter que sur soi-même. Ces dizaines de milliers de personnes qui se tenaient éloignés de la politique, ou du moins de l’action collective, font l’expérience qu’ils ont du pouvoir en eux : celui que donne la mobilisation, la délibération collective, l’action coordonnée. Plutôt que la démocratie très théorique à laquelle on les avait habituée, ces femmes et ces hommes font l’expérience d’une démocratie très concrète et mesurent combien le jeu politique traditionnel de la Vème République les met à l’écart de la prise de décision politique.
Dès lors, ils ne se laissent plus endormir par l’histoire que les médias et les politiciens traditionnels racontaient : « la démocratie, c’est le vote, une fois tous les cinq ans, pour un chef qui décide de tout tout seul. » Et pourquoi pas nous ? C’est la formule simple et évidente de la démocratie. Que le peuple ait le droit de décider par lui-même et pour lui-même, c’est le B-A BA de la démocratie.
Pourtant, en face, les technocrates blêmissent : « vous n’y pensez pas ! Le peuple, ce grand enfant, il ne faut pas le laisser jouer avec des choses qui le dépassent, il va se blesser ! Allons, allons, ne touchez pas aux lois, aux institutions, aux impôts, vous allez vous faire mal ! »
On pourrait croire que je caricature mais ce n’est même pas le cas. N’a-t-on pas entendu le président du groupe parlementaire LREM dire que les marcheurs n’ont pas été compris parce qu’ils ont été « trop intelligents » ?
L’oligarchie rêve d’une République sans démocratie
Aujourd’hui, une revendication démocratique claire est sur la table, mais ils temporisent, ils font des contorsions… Que veulent donc les gilets jaunes ? Le référendum d’initiative citoyenne (RIC) !
Qu’est-ce ? La possibilité pour les citoyen.ne.s d’être à l’origine de l’organisation d’un référendum. Plus précisément, si un nombre suffisant de citoyen.ne.s le demande, un référendum est soumis à la totalité de la population. Sur quel sujet pourraient porter ces référendums d’initiative citoyenne ? En théorie, tous les sujets : la souveraineté populaire ne se tranche pas en rondelle. Que le peuple décide, il n’y a pas de restriction possible.
C’est pourtant ce que cherchent à faire accepter les marcheurs. Le délégué général d’En Marche, c’est-à-dire le chef du parti macroniste, a par exemple agité un épouvantail pour discréditer le référendum d’initiative citoyenne : pour lui, faire voter le peuple équivaudrait à rétablir la peine de mort et autres horreurs…
Pour la République en marche, le peuple, c’est avant tout une masse confuse d’individus grossiers et brutaux. Leur mépris est sans limite. Pourtant ils n’étaient pas si inquiets de voir le peuple mal voter quand il l’exhortait à « faire barrage » à Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle. Ils ne se disaient pas que le retour de la peine de mort étant dans le programme de la grande bourgeoise fascisante la victoire de Macron était compromise si le peuple votait… Il est vrai qu’à l’époque déjà ils jouaient sur la peur pour faire gagner leur champion.
La France insoumise s’engage pour le RIC
Pour la France insoumise, le rôle à tenir est clair : se faire le relais de l’aspiration populaire et imposer le Référendum d’initiative citoyenne. C’est d’autant plus logique qu’il figurait déjà dans l’Avenir en commun, notre programme depuis la campagne présidentielle de 2017. Nous l’avions défendu comme une des conquêtes que permettrait la convocation d’une assemblée constituante pour une 6ème République ! En l’état, la constitution ne nous permet de décider de l’ordre du jour des séances seulement une fois par an ! C’est ce qu’on appelle une niche parlementaire. La nôtre aura lieu au mois de février prochain. Logiquement, nous avons décidé de mettre le référendum d’initiative citoyenne à l’ordre du jour de notre prochaine niche parlementaire en février. Ce sera l’occasion de faire la part entre les vrais défenseurs de la souveraineté populaire et les tartuffes qui voudront en restreindre la portée. Pour nous, ce référendum a deux aspects. Le premier aspect, c’est la possibilité de faire une loi d’initiative populaire. C’est déterminant.
Le référendum révocatoire pour châtier les menteurs
Un autre aspect du RIC fait peut-être encore plus peur à la caste au pouvoir : c’est le référendum révocatoire ! Donner la possibilité au peuple de châtier celles et ceux qui ont menti, qui n’ont pas tenu leurs promesses, voilà de quoi effrayer ceux qui, comme Macron, ont fait profession de dire une chose et d’en faire une autre. Car c’est bien aussi sa passion du mensonge, de la déformation et de l’omission qui est à l’origine du mouvement des gilets jaunes. Les cris « Macron démission » repris avec tant de vigueur partout en France donnent une idée du danger politique que représenterait le RIC pour Emmanuel Macron. À l’inverse, qu’on imagine quelles difficultés on aurait épargné aux gilets jaunes eux-mêmes et à la société tout entière si l’instrument du référendum révocatoire avait été à leurs dispositions. On aurait vu des citoyen.ne.s se mobiliser avec calme et détermination pour pétitionner, d’abord, et persuader de la nécessité de se débarrasser du président des riches. La majorité parlementaire En Marche, faite d’espèces de robots, approuve tout ce que le gouvernement lui soumet. Il a montré sa totale incapacité à prendre la moindre décision qui ne soit pas d’abord validée par l’Élysée. Dans une situation bloquée, seule l’initiative populaire a la force et la légitimité pour offrir une issue à la crise. Le Référendum d’initiative citoyenne ne règlera pas tous les problèmes, bien sûr ; mais assurément, son adoption peut être un des premiers acquis de la révolution citoyenne. C’est un palier à franchir. Et quand le Peuple aura pris le gout de modifier les règles du fonctionnement démocratique, plus rien ne pourra l’arrêter. la Constituante permet de répondre à cette aspiration.