Le 19 octobre 2022, j’ai présenté mon rapport pour avis sur les programmes 178 et 212 du budget de la Défense. J’ai axé mon rapport plus particulièrement sur la Nouvelle Politique de Rémunération des Militaires, dont le 3e volet doit être mise en œuvre en octobre 2023.
Lire mon intervention complète :
Monsieur le président, chers collègues,
« Notre ressource la plus précieuse, ce sont les hommes et les femmes qui ont décidé de s’engager et qui s’engageront demain pour protéger la France. » Ce propos, prononcé par le chef d’état-major des armées Thierry Burkhard le 5 octobre dernier devant notre commission, sera le fil conducteur de mon intervention de ce matin.
J’en viens à présent au thème de mon rapport pour avis : la nouvelle politique de rémunération des militaires.
Cette politique a été lancée en 2021 avec l’indemnisation de la mobilité géographique des militaires et poursuivie en 2022 avec l’indemnisation des absences opérationnelles et les primes de commandement, de responsabilité et de performance. L’an prochain sera le moment le plus important de cette « nouvelle politique » avec l’indemnisation de l’état militaire et l’indemnisation du non choix par les militaires de leur lieu et de leur temps d’affectation, sous la forme d’une indemnité de garnison. Seront également versées des primes dites de compétences spécifiques et des primes de parcours professionnels.
Même si les militaires servant aujourd’hui dans les armées n’ont pas tous connu le traumatisme de la réforme Louvois, la question de la solde reste une source d’anxiété pour les militaires et leurs familles et cette affaire a laissé des séquelles durables.
Ayant eu l’occasion d’auditionner les armées, directions et services sur cette vaste réforme, sans malheureusement disposer des projets de textes réglementaires du troisième volet, j’aurai plusieurs observations à formuler.
La rémunération des militaires comprend quatre parts : l’indiciaire, l’indemnitaire, la pension et la rémunération « indirecte », c’est-à-dire le quart de place, l’hébergement etc.. Pourquoi le Gouvernement commence-t-il par réparer la toiture avant les fondations de l’édifice ? Pourquoi avoir commencé par l’indemnitaire avant de traiter de l’indiciaire ? On sait pourtant que la rémunération indiciaire des militaires, qui entre dans le calcul de la pension, est largement insuffisante et que la progression de cette part indiciaire est très faible entre le début et la fin de carrière, quels que soient le corps et le grade. Le tassement des grilles indiciaires va à l’encontre de l’objectif de fidélisation et remet en cause le principe d’escalier social. On peut aussi déplorer que la NPRM soit déconnectée de la réforme à venir des pensions militaires qui, elle aussi, suscite des inquiétudes.
Toujours sur le plan de la méthode, le Gouvernement a procédé par étapes, préparant les textes réglementaires au fur et à mesure, sur trois ans. Cette manière de faire empêche les services comme la concertation d’avoir une vision d’ensemble des effets conjugués de la réforme. On peut comprendre que la réforme entre en vigueur par étapes pour s’assurer que Source Solde fonctionne bien et pour étaler dans le temps les effets budgétaires de cette nouvelle politique, mais encore eût-il fallu présenter les projets de textes aux intéressés d’un seul trait. Le ministère aurait aussi dû fournir aux armées, directions et services ainsi qu’à la concertation des simulations et études d’impact précises sur tout le dispositif.
J’en viens maintenant à plusieurs principes retenus par le Gouvernement qui me semblent contestables.
On nous dit qu’en année pleine, ce sont plus de 480 millions d’euros de mesures supplémentaires qui seront consacrés à la réforme. Certes. Le problème n’est pas le court terme mais le moyen terme.
Car la plupart des primes sont forfaitisées, à l’exception de la prime de parcours professionnel, alors que plusieurs d’entre elles étaient auparavant indexées : je pense par exemple aux indemnités qui sont remplacées par l’ISAO, par la prime de commandement et de responsabilité et par l’indemnité de garnison. En période d’inflation – a fortiori quand elle est importante comme c’est le cas actuellement –, la forfaitisation ne peut se traduire que par une érosion des revenus dès lors qu’aucune revalorisation automatique n’est prévue. L’objectif recherché est bien la maîtrise de la masse salariale et non la condition militaire.
Autre principe qui me semble philosophiquement inacceptable : l’introduction d’une part variable dans la prime versée aux militaires exerçant des responsabilités en état-major. Outre que cela pose de sérieux problèmes de cohésion, il existe déjà un mécanisme permettant de valoriser le mérite des militaires : la notation, l’avancement et donc – on y revient – l’indiciaire, auquel le Gouvernement n’a pas touché. Sachant que les militaires acceptent de donner leur vie pour leur pays, il est surprenant de les soumettre à une logique pécuniaire de récompense financière allant à l’encontre de ce qui fait la singularité militaire. Je m’oppose formellement à ce changement de philosophie.
Je formulerai à présent des remarques relatives à certaines primes en particulier.
S’agissant de l’indemnité de mobilité géographique, le plafonnement à 9 mobilités fera certes très peu de perdants mais ils se trouveront précisément parmi ceux qui peuvent toucher leur pension à liquidation immédiate et qu’il faut donc fidéliser pour leur expérience précieuse.
En ce qui concerne la prime de commandement et de responsabilité, on ne peut qu’être surpris du décalage criant entre les montants de cette prime et ceux de la prime de performance qui sera versée aux contrôleurs généraux, aux ingénieurs de l’armement et aux commissaires. Ces écarts pourraient conduire à des situations cocasses où un commissaire des armées exerçant un emploi de quatrième niveau toucherait une solde bien plus élevée que celle de son commandant d’unité ! Il ne s’agit pas de dresser les unes contre les autres différentes catégories de militaires ni de souhaiter une révision à la baisse des montants prévus pour la prime de performance. Au contraire, il conviendrait de revaloriser de façon conséquente le montant de la PCRM afin d’assurer un rééquilibrage.
Pour ce qui est de la prime de parcours professionnel, je déplore que rien ne soit prévu pour les militaires du rang et que cette prime soit contingentée même si le contingentement est suffisamment large pour ne pas avoir d’effets à court terme. Le principe même du contingentement pose problème. Il faudra aussi que nous veillions tous très attentivement à ce que cette prime reste bien indexée sur la solde de base.
Quant à la fiscalisation de l’indemnité de garnison, elle suscite des inquiétudes, en particulier pour les locataires chargés de famille qui touchaient auparavant la majoration d’indemnité pour charges militaires et qui pourraient voir leur fiscalité augmenter malgré la compensation prévue par le Gouvernement.
Cela pourra notamment concerner ceux des militaires qui verront leur indemnité de mobilité plafonner au-delà de neuf mutations. Cela pourra aussi concerner les militaires dont le conjoint ou la conjointe a des revenus conséquents – mais pas que. Cette hausse du revenu imposable pourrait aussi avoir des effets sur les militaires du rang et les sous-officiers en début de carrière qui pourraient perdre leur droit à certaines prestations sociales. Le ministère a certes prévu de couvrir cette fiscalisation par une mesure de périmètre mais comment être sûr que les « perdants » seront bien identifiés ?
Certains segments professionnels, pourtant critiques, ne sont pour l’instant pas pris en compte en l’état des projets de textes réglementaires relatifs à la prime de compétences spécifiques. Je pense aux spécialités du cyber et du service de l’énergie opérationnelle, aux compétences des auxiliaires de santé du service de santé des armées mais aussi à celles que nécessite le renseignement. Ce sont pourtant des domaines pour lesquels le ministère des armées affirme chercher à fidéliser ses personnels.
En conclusion, chers collègues, je voudrais insister sur les répercussions considérables de la mobilité sur l’activité professionnelle des conjoints et sur le revenu global des familles de militaire. Il en résulte un appauvrissement de ces familles par rapport aux ménages de même niveau socio-professionnel. La NPRM ne résoudra pas cette difficulté et lorsque les militaires arrivent en fin de carrière, ils voient leur revenu s’effondrer. Seule une réévaluation indiciaire redonnera aux familles de militaires un revenu à la hauteur de leur investissement pour la défense de la Nation.
Je vous remercie.