Holodomor : parler en responsabilité

Ce 28 mars, l’Assemblée nationale examinait une proposition de résolution « portant sur la reconnaissance et la condamnation de la grande famine de 1932-1933 en Ukraine, connue sous le nom d’ « holodomor », comme génocide ».   Avec le groupe de La France insoumise, nous avons pris en responsabilité la

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Ce 28 mars, l’Assemblée nationale examinait une proposition de résolution « portant sur la reconnaissance et la condamnation de la grande famine de 1932-1933 en Ukraine, connue sous le nom d’ « holodomor », comme génocide ».  

Avec le groupe de La France insoumise, nous avons pris en responsabilité la décision de ne pas prendre part au vote, sur ce texte qui où se mêlent les enjeux historiographies, politiques et juridiques. 

Retrouvez mon discours prononcé à l’Assemblée Nationale ⬇️

Madame la Présidente, mes chers collègues,

Entre 1930 et 1933, près de 7 millions de citoyens des Républiques soviétiques sont morts de faim. 1,5 million en Russie. 1,5 million au Kazakhstan. 4 millions en Ukraine, où ces évènements sont désignés sous le nom de Holodomor

Quatre-vingt-dix ans après les faits, la plaie béante ouverte par ce drame n’est pas refermée. Un demi-siècle durant, la vérité fut étouffée par les autorités soviétiques. Conservée seulement grâce au patient travail de mémoire de la diaspora ukrainienne. Aujourd’hui, le durcissement du régime autocratique de Vladimir Poutine s’accompagne de nouvelles tentatives d’effacer la réalité de millions de morts. Nier, c’est tuer une seconde fois. Comment ne pas comprendre l’aspiration des descendants des victimes, et de tout un peuple, à la reconnaissance ? 

S’ouvre donc la question des termes et des modalités de cette reconnaissance. 

Nul ne peut nier la réalité du crime. Nul ne peut minimiser son ampleur monstrueuse, inouïe. Nul ne peut mettre en doute l’existence d’une intentionnalité de la part de Staline et des dirigeants soviétiques. Après avoir lancé la collectivisation de l’agriculture à marche forcée, lorsqu’il réprima brutalement toute résistance paysanne, lorsqu’il réquisitionna les récoltes, le pouvoir stalinien provoqua puis aggrava délibérément la famine. La mort de millions d’hommes, de femmes, et d’enfants. Crime de masse. Crime contre l’humanité : assurément. 

Génocide : la communauté scientifique est partagée. Les historiens ne donnent pas tous la même définition de ce concept. Timothy Snyder, éminent historien états-unien, soutien de la cause ukrainienne face à l’agression russe, écrit dans son grand livre Terres de sang, publié en 2010, « je préfère tuerie de masse à génocide » en raison des « controverses inévitables et insolubles » suscitées par ce terme.

Sur le plan juridique, une seule définition du génocide fait autorité. Celle adoptée par l’Organisation des Nations Unies le 9 décembre 1948. Elle repose sur deux critères. L’intentionnalité. Et la volonté de détruire « un groupe national, ethnique, racial ou religieux comme tel ». C’est ce second critère qui constitue le point d’achoppement du débat. Assurément, en Ukraine, la répression des résistances paysannes à la collectivisation fut plus terrible encore qu’ailleurs. Staline voulait écraser toute renaissance d’un mouvement national ukrainien. Mais s’agissait-il d’exterminer le peuple ukrainien en tant que tel ? Dans les campagnes ukrainiennes, les victimes de la famine ne furent pas exclusivement des Ukrainiens. Des milliers de citoyens soviétiques de nationalité russe, juive ou allemande, moururent aussi de faim. Par ailleurs, une grande partie des bourreaux, dirigeants communistes ou activistes de base, étaient, eux, ukrainiens. La différence est flagrante avec les trois génocides reconnus comme tels par l’ONU : le génocide arménien ; la Shoah ; le génocide des Tutsis au Rwanda. Anne Applebaum, journaliste et historienne, elle aussi engagée en soutien à l’Ukraine, écrit ainsi dansFamine rouge, publié en 2017, et qui fait autorité : « tel que défini dans les documents des Nations Unies, génocide devait désigner l’élimination physique de tout un groupe ethnique, comme dans l’Holocauste. Holodomor ne répond pas à ce critère ».

En reconnaissant Holodomor comme un génocide, notre Assemblée remettrait ainsi en cause la définition de l’ONU. Et ce de façon unilatérale. Une telle décision est lourde de conséquences. Morales. Scientifiques. Politiques. Elle remettrait en cause la singularité des trois génocides reconnus comme tels par l’humanité entière. Elle ouvrirait la porte à la reconnaissance unilatérale de multiples autres génocides, au gré des conflits et guerres que les États se livrent devant l’opinion mondiale. 

En somme, au nom d’un impératif politique présent, que nous partageons – affirmer notre soutien à l’Ukraine face à l’agression criminelle du régime de Vladimir Poutine – la présente résolution nous invite à nous arroger le pouvoir d’écrire l’histoire. Et elle nous fait courir le risque de déchirer le délicat tissu du droit international. Notre sens des responsabilités nous interdit de franchir ce pas. C’est pourquoi nous ne prendrons pas part au vote. 

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