Bastien Lachaud a répondu à la déclaration du Premier ministre le 22 juin 2021 sur l’actualisation du budget des armées.
La loi de programmation militaire prévoit les dépenses militaires pour la période 2019-2025. Elle prévoit explicitement une actualisation dans l’année 2021 par un débat parlementaire.
Mais le gouvernement a décidé de se passer de cette actualisation, et a fait conduire une série d’auditions pour tout contrôle parlementaire. La France insoumise a décidé de boycotter cette mascarade. Le seul véritable débat a eu lieu à l’initiative du groupe de la France insoumise.
Lire le texte de l’intervention :
Monsieur le Président, Monsieur le Premier ministre, Madame la Ministre des Armées, mes chers collègues,
Avant toute chose, je tiens au nom du Groupe La France Insoumise, à adresser notre soutien et tous nos vœux de rétablissement aux soldats de la force Barkhane blessés avant-hier lors de l’attaque survenue à Gossi, au Mali. Nos pensées se tournent également vers leurs camarades, leurs proches, et leurs familles.
La Loi de Programmation militaire de 2018 prévoyait une actualisation avant la fin de l’année 2021. Le gouvernement, sous la pression, a fait le service minimum.
Et nous voici à débattre d’une déclaration du Premier ministre. Mais quelle en est l’utilité concrète ? Il fallait une loi d’actualisation de la LPM, vous l’avez refusée !
Vous affirmez dans un charabia qui n’appartient qu’à vous, je cite l’actualisation « devait porter la consolidation des ressources post-2023 (dont le niveau ne peut être déterminé) compte tenu de l’évolution du PIB alors que le Président de la République s’est engagé à porter l’effort national de défense à 2% de la richesse nationale en 2025 ».
Je traduis : la contraction du PIB à cause de la crise a permis d’atteindre cet objectif. Quel artifice ! Cela signifie-t-il que le budget prévu pour la LPM est atteint ? Bien sûr que non.
Tout comme nous savons que la programmation post 2022 est incertaine. Cela confirme nos remarques de 2018 sur la trajectoire budgétaire. Faire des 2% du PIB consacrés à la défense un objectif en soi n’a aucun sens du point de vue de la doctrine et des moyens. A fortiori quand il s’agit de se conformer aux demandes de l’OTAN.
La doctrine et les besoins qui en découlent doivent être la boussole. Le budget doit suivre.
En fait, toute la méthode retenue depuis le début de ce travail d’actualisation méprise et violente la représentation parlementaire.
C’est une habitude chez vous. Le seul débat en séance sur l’actualisation de la LPM, le 5 mai dernier, a eu lieu grâce à l’initiative du Groupe de la France Insoumise. Les documents transmis en amont de ce débat portent un seul message : tout est sous contrôle. En commission, le travail des parlementaires se borne à auditionner les chefs des armées et de l’administration. On nous y notifie, au compte-goutte, d’arbitrages opérés depuis des mois. C’est pourquoi, en commission, nous boycottons cette mascarade.
En somme, le Parlement a été informé de ce que l’exécutif a décidé. Aucune réflexion de fond et argumentée n’est proposée sur le format des armées.
Pourtant, les événements que nous avons connus depuis trois ans justifient une révision sérieuse de notre doctrine de défense, et de l’organisation des armées qui en découle.
Ainsi, l’actualisation que vous nous proposez n’intègre pas les réflexions sur la crise climatique, ni sur la « haute intensité ». Les analyses des conflits récents ne changeront donc rien ? Comment croire que de telles transformations ne devraient pas avoir d’effet sur la programmation militaire ?
Par ailleurs, vous ne tirez aucun enseignement sérieux de la pandémie. Elle a pourtant des conséquences importantes sur notre environnement stratégique.
Elle a révélé certaines carences inacceptables : la sécurité des approvisionnements, notre autosuffisance, la vulnérabilité dans le domaine NRBC. Pour y répondre, une planification efficace est nécessaire. Nous avons l’outil, le Secrétariat Général à la Défense et à la Sécurité Nationale. Mais l’approche transversale et interministérielle, souvent invoquée est rarement mise en œuvre. Où est-elle d’ailleurs dans les choix concrets de la LPM ? Nulle part !
Dès 2018, nous considérions que la Revue Stratégique de 2017 accompagnant la Loi de Programmation Militaire, ne répondait à l’impératif d’indépendance militaire et stratégique de la France. Le même sentiment nous anime à cette heure à propos des principaux choix opérés depuis lors.
Par exemple, le Président nous avait dit que l’OTAN était en état de « mort cérébrale ». Mais elle aurait désormais retrouvé toute sa vigueur et sa pertinence parce que le Président des États-Unis d’Amérique a changé ? Il y a quelques jours son dernier Sommet a été l’occasion de pointer la Chine comme principale « menace systémique ». Une première ! La presse a dit que la France était initialement contre cette mention. Si cela est vrai, que pesons-nous alors dans cette alliance ?
Est-ce une mise à jour de notre doctrine que d’envoyer le porte-avions Charles de Gaulle participer à des exercices aux côtés des États-Unis dans la zone dite « IndoPacifique » ? Un espace qu’ils conçoivent comme allant de l’Inde à la Californie ! Dans la zone, nos effectifs et nos moyens n’y sont pas suffisants. Ils ne permettent déjà pas de protéger nos intérêts, ni de garantir notre souveraineté. Nous n’avons pas à y jouer aux supplétifs des étatsuniens.
Outre ses aventures en Asie, et pour la première fois depuis que le général De Gaulle les a mis dehors, l’OTAN fait également son grand retour sur le territoire national.
Vous vous félicitez de l’installation annoncée pour 2025 d’un centre spatial de l’OTAN à Toulouse. Pas nous ! Outre le symbole, terrible, il y a là une vulnérabilité évidente pour la confidentialité des recherches françaises dans un domaine stratégique. Je rappelle que depuis les révélations de Snowden, l’espionnage étatsunien n’a jamais cessé.
L’espace est pourtant un domaine où la France excelle. Où elle fait la preuve de sa capacité de travailler avec toutes les Nations, Chine et Russie comprises. Cette année, deux fois en deux mois, la France est la seule Nation à avoir touché le sol de Mars !
Notre pays n’a pas à être embarqué dans les aventures de l’OTAN qui ne répondent qu’à l’intérêt des États-Unis. On ne saurait se contenter d’une soi-disant « autonomie » dans un cadre fixé par d’autres. L’indépendance de la France, contraire de l’isolement, suppose qu’elle soit extraite du commandement intégré de l’OTAN comme de toute alliance militaire permanente.
Et puisque nous parlons d’indépendance, qu’en est-il des exportations d’armements ? Nous sommes dépendants de nos clients, pour beaucoup des Etats qui violent les droits humains.
Non seulement c’est une honte, mais cette dépendance détermine la disponibilité de nos matériels, et des recettes éventuelles.
Venons-en aux opérations extérieures, qui ne font l’objet d’aucun bilan stratégique. 50 soldats français ont péri au Mali depuis 2013, 57 dans l’ensemble du Sahel, des centaines ont été blessés. Des milliers de civils sont morts en marge de combats qui n’ont jamais permis de réduire les milices armées, djihadistes ou simples bandes criminelles organisées.
Emmanuel Macron a récemment annoncé que « l’opération militaire Barkhane au Sahel » prendrait fin « en tant qu’opération extérieure » pour devenir une « opération d’appui et de soutien aux armées des pays de la région qui le souhaitent ». Des précisions nous ont été promises d’ici peu. Mais cela n’impacterait pas la LPM ? Allons donc.
Pour notre part nous réaffirmons notre attachement à un plan de retrait organisé de notre armée s’appuyant sur un volet politique, économique, social et démocratique cohérent.
Au-delà de Barkhane, quid de l’estimation de 2018 selon laquelle le niveau de dépense des OPEX serait fixé à 1,1 milliard d’euros par an et n’en bougerait plus ? Nous refusons de tenir pour acquis un tel niveau d’engagement de nos armées.
Nous refusons que les OPEX soient inscrites dans le budget et ne répondent plus du principe de financement interministériel.
Ce choix affecte aussi bien la préparation opérationnelle que la régénération des matériels. Il empêche de dégager les moyens et le temps pour que le modèle d’armée complète que vous prétendez acquis soit une réalité.
L’Europe de la défense, priorité de la LPM, ne saurait pas être une solution. La Force Takuba en est l’exemple. L’Allemagne, qui s’était engagée, n’enverra pas de militaires. Son Parlement ne le veut pas. Une fois de plus, elle fait défaut.
Pourtant, au nom d’une chimérique « autonomie stratégique européenne », les « partenariats » industriels ont été renforcés avec l’Allemagne qui, une fois capté un savoir-faire lui faisant défaut, finit généralement par se désengager. Comment oublier les accords de Schwerin, annonciateurs de grandes déconvenues pour le SCAF et le MGCS. Sa ministre de la Défense a d’ailleurs déclaré: « Nous devons en finir avec les illusions de l’autonomie stratégique européenne ».
Enfin : aucune réponse sérieuse à la tribune de militaires factieux publiée, dans l’hebdomadaire d’extrême-droite « Valeurs actuelles », le 21 avril, date anniversaire du putsch des généraux d’Alger. Elle contient tous les clichés racistes et antipopulaires de l’extrême-droite.
Ces gens ne représentent évidemment pas l’armée. Mais, une génération après la suspension de la conscription, il est temps de remettre les citoyens au cœur de notre défense.
Très grand républicain, Jean Jaurès fut un ardent combattant de la paix et un des grands penseurs de l’armée au 20e siècle. 110 ans après sa publication, inspirons-nous des principes de l’Armée Nouvelle : les civils doivent s’emparer des questions militaires.
L’instauration d’une conscription citoyenne est une priorité.
Cette conscription inclurait la possibilité, sur la base du volontariat, d’un service militaire, et serait rémunéré au SMIC.
En effet, nous sommes confrontés à de nouvelles menaces : dans le domaine cyber, économique, en mer, dans l’espace, et partout ailleurs du fait du changement climatique. Pour y faire face, nous devons mobiliser les ressources morales et intellectuelles de notre peuple. Nous ne devons pas seulement parler de résilience, nous devons élaborer une stratégie de défense passive crédible, par le recrutement de femmes et d’hommes dotés de savoir-faire de haut niveau. Notre pays en regorge.
Il s’agit de bien autre chose que votre SNU folklorique qui mobilise des ressources militaires en pure perte.
Il ne s’agit pas de remettre symboliquement, mais concrètement, le peuple souverain au cœur de la défense de la patrie républicaine des français.
Voilà pourquoi, Monsieur le Premier ministre, nous ne pouvons approuver votre déclaration.