Intervention au rassemblement appelé par l’ICAN (Brest 13 janvier 2022)

Dans le cadre de la présidence française de l’Union Européenne, la ministre de la défense Florence Parly a invité ses homologues européens à se réunir à Brest, notamment pour visiter le site de l’Ile Longue, base de nos sous-marins nucléaires. En réponse, l’ICAN, branche française de la Campagne Internationale pour l’Abolition des armes Nucléaires, a organisé un rassemblement auquel j’ai été invité à prendre la parole au nom de la France insoumise. Retenu à l’Assemblée nationale, j’y ai fait lire le message suivant.

Mesdames Messieurs,


Chers amis


Je vous remercie de me donner la parole et je vous prie d’excuser mon absence.
Je suis retenu à l’Assemblée nationale. C’est aujourd’hui le seul jour de l’année
où mon groupe, celui de la France insoumise, fixe l’ordre du jour. C’est ce qu’on
appelle notre niche parlementaire. C’est l’une des rares petites brèches de
pluralisme dans l’édifice si peu démocratique de la 5ème République. Je ne peux
renoncer à y participer.


Pendant que vous vous rassemblez, je suis en train de défendre deux textes en
particulier qui ont trait à la Défense nationale. L’un propose la réhabilitation
collective des fusillés pour l’exemple
de la Première guerre mondiale. Le second
demande que l’exécutif organise la sortie de la France de l’Otan.


Comme vous le voyez, nous essayons de faire vivre le débat sur ce thème qui est
délibérément occulté par le pouvoir.
C’est en quoi nous rejoignons et soutenons votre initiative. Votre mobilisation
met en lumière les postures et les impostures du gouvernement à propos de la
défense nationale en général et du désarmement nucléaire en particulier.
Alors que la France prend la présidence de l’Union Européenne il est lamentable
que la priorité soit donnée au thème antidémocratique de l’Europe de la défense.
C’est la négation d’un principe démocratique élémentaire : la souveraineté
appartient au peuple. In fine, les choix touchant la défense nationale
appartiennent donc au peuple. Or il n’y a pas un peuple européen unique mais
plusieurs peuples. Leur amitié n’est pas en cause. Ce qui est en cause, c’est leur
faculté à décider et c’est bien de cela dont on parle quand on utilise le mot
démocratie.


A ce point de principe, je dois ajouter ceci. Il est lamentable que la dissuasion
nucléaire soit instrumentalisée comme un joujou qu’on exhibe à nos partenaires.
Faire venir les ministres européens de la défense à Brest, à l’Ile Longue, pour
faire avec eux le tour du propriétaire est fondamentalement problématique.
Cette pratique fétichiste et ostentatoire est puérile. Elle est d’une certaine façon
contradictoire avec la doctrine nucléaire qui articule politique déclarative ferme
et discrétion. Surtout, elle est contraire à l’esprit des obligations que la France a
contractées en ratifiant le Traité de Non-Prolifération (TNP). Le sous-entendu de cette
visite est celui d’un partage nucléaire qui est totalement inacceptable.


La dissuasion nucléaire est une doctrine, pas une vitrine. Elle est contestable à
bien des égards. Et même s’il est difficile de trouver un consensus large sur ce
sujet, deux choses sont très claires.
Premièrement, l’arme atomique ne peut en aucun cas être le ciment d’une
alliance des peuples européens.
Deuxièmement, l’humanité doit se donner pour objectif la suppression complète
des armes atomiques. Les voies pour y parvenir ne sont pas évidentes. En
revanche, il est évident que rien n’est sérieusement entrepris dans ce sens par
les gouvernements des États dotés de l’arme atomique, depuis plusieurs années.
Comment ne pas comprendre alors que les sociétés civiles s’organisent et
fassent désormais pression pour l’interdiction pure et simple, telle que le prévoit
le Traité d’Interdiction des Armes Nucléaires ? Son adoption et son entrée en
vigueur sont des succès dont vous avez raison d’être fiers.
Ils sollicitent et interpellent les gouvernements. Ils font avancer les réflexions.
Les conférences d’examen du TNP et du TIAN sont des événements qui doivent
empêcher de mettre « la poussière nucléaire sous le tapis diplomatique ».
La France insoumise et Jean-Luc Mélenchon ont déjà exprimé leur point de vue
sur le sujet. Le désarmement unilatéral n’est pas une option qui nous
convainque. Mais la France doit choisir d’être observatrice du TIAN. Elle peut
être une puissance de médiation entre les États dotés et les nombreux États non-dotés,
qui ne veulent pas être les victimes collatérales d’un accident ou d’une
guerre nucléaire.


Par ailleurs, cette campagne présidentielle est le moment d’interroger l’avenir
de la dissuasion nucléaire. Cette stratégie pourrait bientôt être purement et
simplement obsolète. Ceux qui la présentent comme le nec plus ultra de la
défense nationale et se drapent de réalisme et de sérieux pour la vanter, ceux-là
ne sont pas les pragmatiques, les gens responsables ou patriotes qu’ils
prétendent ou s’imaginent être. Pour être à la hauteur de l’exercice des
responsabilités, nous devons à chaque instant nous demander : est-il possible de
faire autrement ? Le statu quo est-il soutenable ? C’est votre mérite insigne de
rappeler à ceux qui font profession de l’oublier que le statu quo nucléaire n’est
pas définitif ; que le monde peut progresser sur la voie de la paix et que c’est
notre devoir d’y œuvrer. Merci.