Vote historique : l’Assemblée nationale réhabilite les militaires fusillés pour l’exemple

Un siècle après les premières réhabilitations des militaires « fusillés pour l’exemple » de la Première guerre mondiale, l’Assemblée nationale a voté leur réhabilitation civique et morale. Ces hommes ont été fusillés, condamnés par des conseils de guerre expéditifs, où les droits de la défense ont été réduits à presque

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Un siècle après les premières réhabilitations des militaires « fusillés pour l’exemple » de la Première guerre mondiale, l’Assemblée nationale a voté leur réhabilitation civique et morale.


Ces hommes ont été fusillés, condamnés par des conseils de guerre expéditifs, où les droits de la défense ont été réduits à presque rien : sans instruction, sans avocat professionnel, sans recours ni droit de grâce. Selon les mots du ministre de la guerre « pour faire des exemples ».

Ils ont été victimes d’un déni de justice reconnu dès le moment des faits. En 1916, les députés ont rétabli les droits de la défense devant les conseils de guerre, faisant baisser significativement les exécutions.
Dès la fin de la guerre, les associations de défense des droits de l’homme et celles des anciens combattants ont agi pour la réhabilitation de ces soldats. Une quarantaine de soldats ont pu être réhabilités grâce à la mobilisation de leurs familles. Mais la plupart n’ont pu en bénéficier.


Le vote le 13 janvier 2022 d’une proposition de loi permet enfin la réhabilitation de ces hommes, générale et collective, civique et morale. La Nation reconnaît que ces soldats ont été victimes d’une justice expéditive, instrument d’une politique répressive, qui ne respectait pas les droits de la défense et ne prenait pas en compte le contexte de brutalisation extrême auquel les soldats étaient soumis. Les nom et prénom des intéressés seront inscrits sur les monuments aux morts.
Il est enfin temps que la République leur rende justice, et reconnaisse que ces hommes sont morts pour la France.

Lire mon intervention :

Je vous remercie pour votre amendement, qui m’offre l’occasion d’expliquer devant notre assemblée qui furent les « fusillés pour l’exemple » concernés par le texte. Bien souvent, par l’effet d’une confusion historique, l’évocation des « fusillés pour l’exemple » fait penser aux mutins de 1917 – il n’en est rien.
L’essentiel des « fusillés pour l’exemple » le furent lors des premières offensives, très meurtrières, de 1914 et de 1915. Ces fusillés ont été victimes d’un déni de justice, car ils ont été jugés par une justice militaire établie par le pouvoir politique ; une justice d’exception rendue selon un code militaire datant du Second Empire qui ne prévoyait pas de confrontation, ne laissait aucune place au contradictoire, qui ne permettait ni de faire appel, ni d’avoir recours à un avocat professionnel pour se défendre. À lui seul, le caractère expéditif de cette justice justifierait leur réhabilitation.
Dès 1916, leurs contemporains avaient saisi cette évidence : à l’unanimité de ses membres, notre assemblée vota alors, à l’initiative de députés conservateurs et socialistes, la fin de cette justice expéditive, d’exception, et la restauration d’un droit de grâce dont le président Poincaré usa dès qu’il le put, de sorte que dès 1916, 95 % des condamnés à mort furent graciés.
Ce combat transpartisan se poursuivit après guerre, grâce aux associations d’anciens combattants et aux députés. Ces derniers votèrent en 1921 une loi qui autorisait la Cour de cassation à réexaminer les cas individuels, puis, en 1932, une autre créant la Cour spéciale de justice militaire, composée d’anciens combattants. À l’époque, en effet, on considérait que seuls ceux qui avaient vécu le feu des tranchées pouvaient savoir ce qu’il en était et juger ces hommes. Nombre de personnes ont ainsi été réhabilitées, mais ce ne fut pas possible pour tous les soldats concernés, car il fallait des témoignages et des éléments nouveaux, ce qui, dans bien des cas, n’était pas envisageable.
Dès 1925, un médecin légiste démontra qu’il n’était pas possible de déterminer si une blessure était ou non le résultat d’une mutilation volontaire, ce qui aurait dû entraîner la réhabilitation de tous les condamnés pour ce motif ; mais tel ne fut pas le cas.
Beaucoup affirment qu’il faut procéder à des réhabilitations au cas par cas, en examinant individuellement les dossiers. Force est de constater que ce n’est pas possible. Le travail des historiens a bien avancé et nous disposons d’une liste de 639 noms, dont ont été exclus tous les condamnés pour crime de droit commun ou pour crime d’espionnage. Ceux qui restent furent tous condamnés pour des crimes ou des infractions militaires. Or 20 % de leurs dossiers sont manquants et d’autres sont vides.
Les historiens que nous avons auditionnés nous ont expliqué avoir d’abord voulu une réhabilitation au cas par cas, après un examen individuel des dossiers. Un historien s’y est essayé et il en a conclu que c’était impossible, qu’il fallait procéder à une réhabilitation collective, à la fois juridique, sociale et politique.
Plus de cent ans après, il est temps de refermer les blessures mémorielles. De nombreuses associations, comme la Fédération nationale de la libre pensée, continuent de mener ce combat ; des familles nous ont écrit pour nous dire qu’il était nécessaire d’agir – des familles qui ont vécu l’opprobre, qui se sont vu facturer le prix des balles et des poteaux qui servirent à fusiller ces soldats.
Aujourd’hui, la France se grandirait en reconnaissant qu’il s’agissait d’un déni de justice ; cela constituerait l’aboutissement du processus de reconnaissance mémorielle entamé par Lionel Jospin à Craonne et poursuivi par Nicolas Sarkozy. Dans la lignée de nos prédécesseurs de 1916, 1921 et 1932, réhabilitons les « fusillés pour l’exemple » à l’unanimité !

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