Laïcité, islamophobie, antiracisme : retrouvons la raison.

« La critique de la religion est le préalable à toute critique » Karl Marx

La laïcité est un des piliers de la République. Ce principe est pourtant souvent malmené. Souvent, aussi, il est mal compris. Et je voudrais revenir sur la polémique stérile qui a tenté de faire passer Henri Peña-Ruiz philosophe laïque et antiraciste, référence incontestée en matière de laïcité, pour un raciste. Je veux lui témoigner tout mon soutien et mon amitié, ainsi qu’à Benoit Schneckenburger, grotesquement accusé d’avoir commis des violences physiques.

La France est un pays laïque, et la laïcité est ce qui rend la République possible. La laïcité émancipe en ce qu’elle permet aux personnes d’être reconnues comme des citoyen·nes. La République ne reconnaît que des citoyen·nes égaux. La République ne reconnaît aucun culte, ni aucune communauté, mais permet le libre exercice du culte et surtout la liberté de conscience. Libre à chacun·e de croire ou de ne pas croire. Libre à chacun·e de se définir soi-même comme appartenant à telle ou telle religion ou comme athée. Mais cela ne donne aucun droit particulier que les autres n’auraient pas.

Il est regrettable qu’il faille encore et toujours redire que nous avons le droit de critiquer, de caricaturer ou même de se moquer des dogmes et des opinions. Cela relève de la liberté de conscience et de la liberté d’expression, celle-là même qui a permis leur expression. La République ne reconnaît aucun dogme, aucune vérité révélée. Car c’est par la confrontation des arguments que nous pouvons avoir un débat éclairé. Et c’est le débat suivi du vote qui permet de trancher les conflits en République.

Et ce n’est pas être raciste que de critiquer le contenu doctrinal d’une religion, en bloc ou en détail. Ce n’est pas être raciste que de considérer une ou plusieurs religions comme rétrogrades, favorisant l’asservissement des consciences et des corps, notamment celui des femmes.

Mais c’est être raciste que de réduire une personne à une religion, réelle ou supposée, à la couleur de sa peau, ou à ses origines réelles ou supposées dans un autre pays. C’est raciste que de lui refuser un logement ou un emploi, par exemple, sur ce seul critère.

La haine d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de sa religion est un délit qui doit être sévèrement puni. Mais la critique d’un dogme ne l’est pas. C’est une tâche intellectuelle sur laquelle ne doit peser aucune interdiction a priori. Où en serions-nous si l’interdit et la peur du blasphème avaient bridé l’esprit humain ?

A la lumière de cette distinction fondamentale, entre la critique légitime des dogmes et la discrimination inacceptable envers les personnes, l’on comprend que le mot « islamophobie », qui cristallise aujourd’hui les tensions, n’est pas approprié. Il crée le doute sur ce qu’il désigne : la critique du dogme religieux et la haine des personnes de confession musulmanes ou présumées telles en raison de leurs origines ou de leur culture. Car ceux qui stigmatisent aujourd’hui et déversent leur haine des « musulmans « , qu’ils essentialisent et réduisent à une appartenance communautaire fantasmée, se préoccupent bien peu de savoir ce à quoi ces personnes croient ou non.

Les propos d’Henri Peña-Ruiz se rangent sans ambiguïté dans la critique du dogme ; il faut en ignorer la teneur exacte – ou les tronquer avec malveillance – pour prétendre l’inverse et accuser le philosophe de racisme. Mais on voit bien comment le terme d’« islamophobie » est source de malentendus. « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » disait Albert Camus.

Plutôt que d’utiliser un terme aussi confus qu’« islamophobie » pour désigner la haine, malheureusement très présente en France et qui cible aujourd’hui les personnes de confession musulmane ou présumées telles, et être bien compris, il vaut mieux désigner cette haine par son nom : le racisme. C’est le fonds de commerce de l’extrême-droite. Il n’a pas sa place dans notre pays, nulle part, dans les quartiers populaires ou ailleurs.

Les militant·es des droits humains que nous sommes promeuvent la liberté de conscience et la liberté d’expression. Il luttent inflexiblement contre le racisme et les discriminations. Accepter le moindre compromis d’un côté comme de l’autre, ce serait renoncer à ce qui est le cœur de notre combat : l’émancipation.

A ce titre, il est dommageable que les institutions elles-mêmes entretiennent la confusion sur le rôle des religions dans une République laïque. Ainsi, en ce moment même, des auditions sont menées sur le projet de loi bioéthique. Et l’Assemblée nationale invite en tant que tels des représentants des cultes. « La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte. » dit la loi de 1905. Dans ces conditions comment peut on auditionner à l’Assemblée des « représentants des cultes », alors qu’aucun culte n’est reconnu en application de la loi ?

Il est malheureusement courant, mais contraire au principe de laïcité, de reconnaître des communautés religieuses comme des interlocuteurs de l’État. C’est contraire à la liberté de culte, car bien souvent au sein des religions, il y a plusieurs courants, qui ne sont pas d’accord entre eux sur la façon d’exercer le culte, et l’État n’a pas à privilégier un mode particulier du culte, ou en considérer un comme plus légitime que l’autre. De la même manière, en considérant qu’il y a des porte-parole en mesure de donner l’avis de telle ou telle « communauté religieuse » sur un sujet donné.

Les citoyen·nes sont représentés politiquement, par l’intermédiaire de l’élection de leurs représentant·es, par exemple leurs député·es. Les représentant·es, quand bien même ils seraient personnellement attaché·es à un culte, ne représentent pas leurs coreligionnaires. Il y a déjà eu des membres de clergés élus députés, dont le plus célèbre est sans doute Henri Grouès, dit l’abbé Pierre, député de Meurthe-et-Moselle entre 1945 et 1951. Mais il ne s’agissait ni de représenter le clergé, ni de représenter les catholiques, mais de représenter un courant politique particulier.

Les député·es représentent le peuple français. Les « communautés religieuses » ne sont pas reconnues en tant que telles, et libre à elles de s’organiser comme elles le souhaitent. Reconnaître un porte-parole d’une religion est contraire à la laïcité, contraire à l’esprit républicain, et contraire à la liberté de conscience. Les coreligionnaires n’ont pas à être d’accord avec leurs porte-parole autoproclamés quand ils prennent des positions politiques, ni à devoir rendre compte de ce qu’ils auraient pu dire soi-disant en leur nom.

Pour ces raisons, les députés insoumis boycotteront la séance de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique jeudi prochain consacrée à l’audition de « représentants des cultes ».