Iran : les faux-semblants de la diplomatie macronienne

L’été qui vient de s’écouler a été particulièrement agité sur le plan international. Plus que jamais, la guerre est à nos portes. La paix est menacée. De nombreux événements concourent à aggraver le risque d’une crise incontrôlable et en fin de compte d’une véritable catastrophe. Je veux revenir ici dans les prochaines semaines sur les plus importants de ces sujets pour fournir quelques clés de compréhension.

Le dossier le plus brûlant est bien sûr le dossier du nucléaire iranien. Il faut commencer par là.

Pourquoi Trump s’est piégé tout seul

L’été avait débuté avec diverses provocations entre Iran et États-Unis, assez illisibles si on ne remonte pas à l’arrivée au pouvoir de Donald Trump.

Durant la campagne présidentielle, celui-ci avait passé son temps à critiquer l’accord, passé par son prédécesseur Barack Obama, qui garantissait que l’Iran abandonnerait son programme nucléaire militaire en échange de la levée des sanctions économiques : on l’appelle parfois accord de Vienne sur le nucléaire iranien ou JCPoA (pour Joint Comprehensive Plan of Action). Cet accord engageait bien sûr les États-Unis mais aussi l’Europe et donc la France. Il était respecté par l’Iran qui espérait relancer son économie grâce à la levée des sanctions. Il avait entamé un cercle vertueux grâce auquel les « modérés » en Iran se retrouvaient confortés face aux « conservateurs ». On pouvait espérer qu’à moyen terme cette tendance conduirait également à une amélioration de la situation des droits humains.

Une fois au pouvoir, Trump a décidé seul de retirer la signature des États-Unis de cet accord. A-t-il agi ainsi par aveuglement ou juste pour tenir une promesse de campagne faite pour complaire aux républicains les plus obtus et remporter la victoire ? Qu’importe ! La machine est lancée. Pour justifier leur retrait de l’accord, les États-Unis avancent un prétexte : l’accord est incomplet parce qu’il ne traite que la question du programme nucléaire. Désormais, les États-Unis exigent que l’Iran renonce également à son programme balistique, c’est-à-dire un programme de fabrication de missiles qui sont pourtant des armes « conventionnelles », c’est-à-dire autorisées par le droit international, à la différence des armes nucléaires, chimiques ou bactériologiques… Faisant fi du droit international, les États-Unis s’arroge un rôle de maître du monde.

Pourquoi l’Iran ne peut pas se laisser faire

En prenant cette décision unilatéralement, Trump a mis l’Iran au pied du mur. Comment accepter une telle humiliation ? Impossible de rester sans réaction puisque les sanctions vont effectivement produire des effets. En outre, rester impassible reviendrait à ouvrir la voie à toutes sortes de nouvelles brimades, alors qu’au Moyen-Orient la bataille pour l’hégémonie régionale est au plus fort avec l’Arabie saoudite, dont les États-Unis sont les justement les premiers alliés. Enfin, au sein des cercles du pouvoir iranien, la faction « modérée » est acculée par les « conservateurs » qui ont désormais beau jeu de critiquer sa naïveté…

Quelle est la marge de manœuvre de l’Iran ? Elle est minime. Dans un premier temps, il fallait tenter de sauver l’accord en continuant à le respecter puisque l’Union européenne semblait vouloir refuser d’obéir aux menaces de sanctions étasuniennes en cas de commerce avec l’Iran. L’Union européenne a effectivement créé un mécanisme institutionnel très modeste pour empêcher les États-Unis de sanctionner les entreprises qui feraient du commerce avec l’Iran. Ce mécanisme appelé Instex est pourtant ingénieux : il s’agit d’une espèce de boite noire dans laquelle l’argent et les marchandises européennes et iraniennes viennent transiter. Ainsi il n’y a pas d’échange direct entre acheteurs et vendeurs iraniens et européens. Comme l’entité juridique Instex n’a aucune sorte de relation avec les États-Unis, pas de sanction possible. Astucieux mais après plus d’un an, les belles intentions ne sont pas concrétisées. Instex ne fonctionne que pour des marchandises représentant des sommes modestes : denrées alimentaires et médicaments ; l’industrie est donc exclue. En soutenant la création d’Instex, la France n’a fait que sauver les apparences, alors qu’elle aurait pu retrouver un rôle de premier plan que de nombreux pays attendent d’elle qu’elle joue.

Macron s’aligne discrètement sur les Etats-Unis

Et c’est bien le problème. Depuis que Trump a annoncé le retrait des États-Unis, le gouvernement français et Emmanuel Macron ne font que cultiver les faux-semblants.

Lorsque les incidents ont commencé à se multiplier dans le détroit d’Ormuz, la France a d’abord fait mine d’appeler à la désescalade. En refusant pourtant de dire que la source du problème venait de la violation unilatérale de l’accord par les États-Unis, la France ne créait sans doute pas les conditions pour un règlement juste de ce différend. Victime d’une injustice, l’Iran était incité à faire valoir sa capacité de nuisance. C’est ce qui explique ces coups de force en mer, ces tentatives d’arraisonnement de navires de commerce etc. Aux États-Unis les partisans d’une guerre avec l’Iran se frottent les mains. Ils peuvent faire valoir qu’une provocation iranienne ne peut rester sans réponse : on envoie donc de plus en plus de bateaux et de troupes dans la région… Chacun joue avec la ligne rouge, c’est la mécanique infernale qui conduit à tous les désastres.

C’est dans ce contexte que le ministre des affaires étrangères iranien, Mohammad Javad Zarif a été reçu en France en marge du G7, fin août. L’initiative de la diplomatie française paraissait très légitime et, disons-le, bien inspirée. Une fois n’est pas coutume, Iraniens et Étasuniens ont eux aussi sauvé les apparences en donnant des signes d’apaisement. Mais dans les faits, rien de concluant n’est sorti de cette rencontre.

Pire, l’idée brandie par l’administration Trump depuis le début devient petit à petit la position française : il faudrait renégocier l’accord sur le nucléaire et y inclure un volet sur le programme balistique iranien. On peut concevoir qu’il faille fournir une issue honorable à Trump, empêtré dans une décision absurde et prise sans en mesurer peut-être les conséquences. Mais ici, on assiste à une véritable trahison. Pourquoi étendre ainsi le domaine des négociations à des armements légaux ? À supposer même que des négociations s’ouvrent et aboutissent en voyant l’Iran renoncer à son programme balistique, comment croire que les États-Unis ne violeraient pas le nouvel accord et ne chercheraient pas à obtenir encore davantage pour satisfaire les désirs hégémoniques de l’Arabie saoudite ?

Un minimum de rigueur intellectuelle devrait suffire à comprendre que la pression devrait s’exercer sur la Maison Blanche plutôt que sur Téhéran.

Refuser l’emballement

Or voici qu’on apprend un dernier fait qui montre le total suivisme de la France à l’égard des États-Unis. Depuis plusieurs semaines, ces derniers veulent former une coalition qui irait « faire la police » dans le détroit d’Ormuz. Fort heureusement la France avait refusé de s’enrôler. Mais le 7 septembre, la ministre des armées, Florence Parly, a évoqué une initiative « cordonnée » avec les États-Unis pour la sécurisation du détroit. C’est encore une fois se ranger subrepticement dans le camp étasunien en cas d’incident. C’est accepter la logique d’affrontement qui prévaut désormais dans la région.

Après tout, n’était-il pas possible d’évoquer une initiative française indépendante permettant de garantir la liberté de navigation et la sécurité des bâtiments français menée en coordination, pourquoi pas, avec les États-Unis mais aussi l’Iran ? Dans une situation comme celle-ci tous les détails comptent, et bien sûr Emmanuel Macron et les siens le savent très bien. Eux aussi soignent les apparences mais sur le fond ne sont absolument pas décidés à émanciper notre pays de la tutelle étasunienne. Dans l’espèce de négociation musclée avec l’Iran, ils font jouer à la France un rôle de « bon flic » tandis que les États-Unis assument tranquillement celui de « mauvais flic », prêt à passer à tabac l’Iran en cas de besoin.

La guerre au Yémen servira-t-elle de prétexte ?

J’avais achevé ces lignes depuis peu lorsqu’on a appris que deux sites pétroliers saoudiens avaient été visés par une attaque de drones revendiquée par les Houthis du Yémen. La diplomatie française a condamné ces attaques qui ont fortement perturbé la production pétrolière mondiale. Elle a ainsi apporté de l’eau au moulin des Étasuniens qui voient l’Iran derrière cette attaque et menacent de frapper en représailles.

Il y avait pourtant bien d’autres choses à dire. Le conflit au Yémen gangrène la région depuis plusieurs années. Il est la cause de « la pire catastrophe humanitaire » au monde d’après l’ONU. Il est le théâtre de nombreux crimes de guerre commis notamment par les Saoudiens et les troupes des Émirats Arabes Unis qui se sont engagés dans cette guerre civile pour contrer l’influence, grandement exagérée, de l’Iran. Depuis, le gouvernement français autorise qu’on leur livre des armes et alimente donc la spirale de chaos.

Au lieu de laisser penser que les attaques des sites pétroliers saoudiens peuvent faire l’objet d’une réplique, la diplomatie française aurait dû avoir pour préoccupation d’empêcher leur instrumentalisation par les va-t-en-guerre. Au lieu de cela, on alimente les médias de dépêches inquiétantes sur l’augmentation probable du prix du pétrole et on s’efforce de faire croire à une solution simple à un problème complexe : anéantir les responsables derrière ces attaques.

Utiliser un tel chiffon rouge est d’autant plus absurde qu’un conflit ouvert contre l’Iran aurait nécessairement pour effet de faire monter les cours du pétrole. Pour ne rien dire du désastre humain que cela impliquerait, ni du risque d’implosion de toute la région, ni de la fixation de groupes terroristes qui en seraient nécessairement la conséquence…

Viser la pacification de la région

Il faut sortir par le haut de cette impasse. Trump a pris une décision stupide et injuste qu’il ne peut désavouer sans perdre la face. L’Iran ne peut accepter les conditions de Trump ; c’est d’autant moins souhaitable que le camp conservateur y trouveraient de nouvelles forces. Enfin, la reprise du programme nucléaire est une très mauvaise chose.

L’Iran cherche à se procurer l’arme atomique comme une assurance-vie contre toute tentative d’ingérence. C’est d’autant plus compréhensible que son voisin saoudien se montre particulièrement agressif, comme en témoigne l’odieuse guerre qu’elle mène au Yémen. Reste que la prolifération nucléaire est une authentique menace pour la paix mondiale et que le traité de non-prolifération doit être respecté.

Dès lors, notre conviction est que la solution ne pourra pas émerger d’un face-à-face des États-Unis et de l’Iran ni même d’une discussion portant sur le seul sujet du nucléaire. La crise devrait être l’occasion de traiter la question de la sécurité régionale à l’ONU, seule instance internationale dotée d’une certaine légitimité « démocratique ». Une conférence internationale sur les armes nucléaires, chimiques et bactériologiques qui viserait à purger toute la région de ces menaces, plaçant les pays s’engageant sur cette voie sous la protection de la communauté internationale, voilà une piste de sortie de crise. Encore faut-il la volonté de rompre avec la logique du « en même temps » qui finit toujours par se rendre à la « raison du plus fort ».

La France insoumise au pouvoir, la France retrouverait cette voix singulière qui faisait son honneur et de notre pays une Nation respectée.