Non à la numérisation des copies du baccalauréat

Question au gouvernement posée le 3 mars 2020 : M. Bastien Lachaud interroge M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse sur le projet de numérisation des copies du baccalauréat. En effet, depuis la mise en place controversée des E3C, les copies sont numérisées pour être corrigées, afin

Partager

Question au gouvernement posée le 3 mars 2020 :

M. Bastien Lachaud interroge M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse sur le projet de numérisation des copies du baccalauréat. En effet, depuis la mise en place controversée des E3C, les copies sont numérisées pour être corrigées, afin d’être ensuite renvoyées sous forme numérique, de façon à ce qu’elles soient consultables. Une telle pratique pose plusieurs problèmes.

D’ordre écologique, d’abord, puisque la numérisation et l’envoi d’une telle quantité de documents, ainsi que leur conservation sur des serveurs nécessite une quantité phénoménale d’énergie. En effet, 550 000 candidats vont composer en 2 ans 22 épreuves, et rendre des copies d’au moins 3 pages, sinon davantage, ce qui fera 12 millions de copies, 36 millions de pages à scanner par an. La correction numérique nécessitera au moins 4 millions d’heures sur des ordinateurs. La simplification du transfert des copies est toute relative, puisque les copies étaient auparavant distribuées lors de réunions d’harmonisation centralisées par académie, ou envoyées de façon sécurisée. Si des pertes de copies peuvent arriver, cela reste relativement rare, surtout au vu du nombre de copies traitées annuellement.

De sécurité informatique ensuite. Les copies seront également soumises aux risques numériques ordinaires : piratage, hackage, modification, consultation par des tiers, etc. Cela compromet la fiabilité de la correction, ouvre la porte à de nouvelles tentatives de fraude, et met en danger la confidentialité des copies. Cela ouvre également la question du lieu et de la juridiction du stockage de ces données : seront-elles stockées en France et sur des serveurs de droit français, ou comme d’autres données scolaires, sur des serveurs loués à de grandes entreprises du numérique, par exemple étatsuniennes, sur lesquels s’applique l’extraterritorialité du droit étatsunien ?

De lisibilité et de fiabilité de la correction, car d’après les premières remontées sur cette correction, de nombreuses copies sont illisibles ou de mauvaise qualité une fois scannées. Le secrétaire national du syndicat des chefs d’établissement SNPDEN-Unsa et proviseur d’un lycée à Vincennes, dans le Val-de-Marne, assure à BFMTV.com que « l’expérience des outils informatiques du ministère [les] pousse à être inquiets ». Dans certaines matières, des croquis sont impératifs pour faire l’ensemble de l’exercice, et les crayons de couleur passeraient mal au scan. Malgré les démentis rassurants du ministère sur ce point, le document mode d’emploi de la numérisation précise toutefois qu’il est « important d’écrire à l’encre foncée, de ne pas utiliser de stylo à bille à encre effaçable et d’éviter le blanc correcteur », montrant donc des craintes quant à la lisibilité des copies une fois scannées.

De conditions de travail des correcteurs ensuite, car cette modalité de correction va augmenter considérablement un temps de travail sur écran. Or, au vu de l’inexistence notoire de la médecine du travail dans l’éducation nationale, aucune mesure de prévention des risques n’est prise, tant au niveau de la posture pour le travail sur écran, que sur la fatigue oculaire qui en résulte. Ou une telle réforme est-elle enfin l’occasion de créer une véritable médecine du travail et de prévention des risques professionnels au sein de l’éducation nationale ? Pas davantage, les correcteurs ne se voient systématiquement fournir du matériel informatique pour procéder à la correction, les contraignant à travailler sur un matériel personnel, sachant que la dotation des lycées en termes informatiques est insuffisante pour que les enseignants puissent tous utiliser ce matériel en même temps pour ces corrections. De plus, les enseignants n’ont souvent eu aucune formation à l’usage de ce logiciel, et doivent apprendre à l’utiliser comme ils peuvent. Par ailleurs, des syndicats contestent l’usage obligatoire du logiciel de correction Santorin, du fait qu’il n’aurait pas été présenté en CHSCT auparavant, et qu’il permette une intrusion dans la vie des correcteurs et une surveillance de leur activité, alors que les professeurs n’ont aucune obligation de « performance » à part la correction dans les temps impartis des copies. S’oriente-t-on vers une évaluation de la vitesse de correction de enseignants ?

D’organisation du travail, car la numérisation de ces copies entraîne un travail supplémentaire aux agents administratifs, sans renforts complémentaires, accaparant ainsi leur temps de travail sur les journées nécessaires à leur numérisation. De plus, la numérisation de ces copies représente un travail conséquent sur un outil spécifique, dont il a fallu doter l’ensemble des établissements, matériel coûteux. La complexité de la mise en place est grande, ce qui entraîne une « surcharge de travail insupportable », selon les mots du secrétaire général du SNPDEN-Unsa, syndicat majoritaire chez les proviseurs. Il précise : « Nous avons quatre logiciels à paramétrer pour les E3C. Les collègues nous signalaient avant les vacances des bugs, des pertes de données, des défauts d’interconnexion… Le système n’est pas au point ». Une enquête du SNPDEN-Unsa montre enfin qu’il y a eu des difficultés techniques dans 85 % des établissements.

Philosophique, enfin, pour les usages ultérieurs qui pourraient être faits de ces copies. En effet, les géants du numérique et du « big data » se frottent déjà les mains sur les exploitations possibles de ces copies, qui donneraient des renseignements sur ce que les élèves ont retenu de leurs enseignements. Les copies sont ainsi détournées de leur usage normalement exclusif : l’évaluation d’élèves pour la réussite d’un examen. Les élèves sont transformés, sans y avoir consenti, en animaux de laboratoire. Le fondateur de la fondation l’IA pour l’école précise qu’ « elles fournissent des milliards d’informations sur lesquelles on va pouvoir faire passer des algorithmes », ce qui ouvre la porte à toutes les dérives. Il est à craindre notamment une marchandisation des données scolaires des élèves, prélude à la création d’un marché de l’éducation dont l’évaluation et la compétitivité seraient aidées par ces usages numériques.

Aussi, il souhaite savoir quand il entend renoncer à cette mesure manifestement dangereuse à de nombreux égards, anti-écologique, et n’apportant que peu d’intérêt pédagogique.

Recherche
Contactez-moi

Écrivez-moi un message dans la boîte contact ci-dessous !