Le cléricalisme comme antidote à l’épidémie ? Non merci

Nombre de nos concitoyens sortent et vont chaque jour travailler sans protection faute de masques de protection ; les hôpitaux sont sous tension et menacent de manquer de lits de réanimation. Mais pendant ce temps, le Conseil scientifique qui appuie le président Macron dans la gestion de la crise du coronavirus s’occupe d’organiser le… « soin pastoral » qui doit apporter du réconfort aux croyants ! Le monde à l’envers dans une République laïque. On croit rêver.

Macron : du président gallican au président clérical ?

Depuis son élection en 2017, Emmanuel Macron multiplie les entorses à la séparation des Églises et de l’État et au principe de laïcité, sur lequel est fondée notre République. En avril 2018, devant la conférence des évêques de France, le président de lançait dans une tirade aussi ahurissante que caractéristique de sa pensée. Le président n’hésitait pas, s’exprimant , à clamer sa volonté de « réparer » le « lien abîmé entre l’Église et l’État ». En républicains, fidèles à la loi de 1905, nous ne pouvons qu’être inquiets de tels égarements, que nous avons dénoncés à chaque fois qu’ils se sont manifestés.

Mais la dérive de Macron semble avoir été exacerbée par la crise sanitaire actuelle. Il fait feu de tout bois pour faire oublier ses nombreuses erreurs dans la gestion de la crise du coronavirus et redorer son blason. De la même manière qu’il pose en chef militaire pour se donner une stature, il semble tenté de jouer au chef spirituel, et de s’appuyer sur les institutions religieuses. Le président gallican se mue carrément en président clérical.

La cogestion de la crise avec le clergé ? Sans façon !

Dès le lundi 23 mars dernier, la presse rapportait ainsi que Macron s’était entretenu avec les représentants des principaux cultes pour évoquer la réaction à la crise. On ne dira jamais à quel point ces entrevues entre le chef de l’État et les « représentants des principaux cultes » bafouent les principes républicains : qui choisit ces représentants ? Au nom de quoi leurs cultes sont-ils plus importants que d’autres ? À quel titre représenteraient-ils leurs fidèles ? Et depuis quand le politique doit-il les considérer comme des interlocuteurs, cogérer avec eux la chose publique ? Cette pratique, devenue un rituel à chaque crise, n’a pas lieu d’être en République, où le pouvoir émane exclusivement de la volonté du peuple souverain, exprimée par les citoyens dans les urnes.

Il est urgent d’en finir avec cette aberration cléricale. Et il est grand temps d’en revenir à l’esprit de Ferdinand Buisson, grand républicain, président de la commission parlementaire chargée de mettre la loi de Séparation entre les Églises et l’État en 1905. Il disait de l’autorité supposée du clergé sur ses fidèles que : « L’État n’a ni à la nier ni à l’affirmer. Il l’ignore, il n’a pas à en connaître. Il ne connaît que des citoyens français ».

Quand l’État prétend organiser le « soin pastoral » !

Mais il y a pire. Dans un avis du 23 mars dernier, le Conseil scientifique, qui assiste le président Macron, recommande à l’État d’organiser le « soin pastoral », érigé en composante essentielle de la santé publique !

Selon le Conseil scientifique, il reviendrait à l’État de soutenir les « communautés religieuses » dans la création d’une « permanence téléphonique nationale ». Elle « prendrait la forme d’accompagnement spirituel et bénéficierait d’écoutants sélectionnés, proposés et pris en charge par chacun des cultes ». « Dans une démarche inter-cultes » ceux-ci « pourront orienter ceux qui le souhaitent vers des personnes désignées par chaque culte pour répondre à leurs besoins spécifiques. » Le président Macron aurait, dit-on, accueilli favorablement cette initiative.

Sont-ils devenus fous ? Ou ignorent-ils tout de la République et de la laïcité ?

Ainsi, l’État diviserait nos concitoyens en membres de différentes « communautés religieuses » représentées par leurs clergés respectifs. Il organiserait les différents cultes, en co-gestion avec leur clergé. Et il assumerait sans doute le coût de ces différents cultes. En laïques, nous ne pouvons qu’être abasourdis devant pareille absurdité. Les croyants eux-mêmes ne peuvent que s’inquiéter d’un tel projet qui les priverait tout simplement de leur liberté en les plaçant sous la tutelle de l’État.

Ceux qui proposent une telle initiative sont-ils devenus fous ? Ou ignorent-ils tout des principes républicains ? Dans l’un ou l’autre cas, le Conseil scientifique s’est discrédité en proposant une telle folie. Si ce projet venait à se concrétiser, le président Macron prendrait la responsabilité de brader tout ce qui fait notre République pour y substituer un État clérical. Ce serait un acte d’une gravité inouïe.

Face à la crise, un besoin de spiritualité légitime

À ceux qui menacent notre pays d’un tel glissement, aussi vertigineux que dangereux, nous voulons redire quelques évidences. Qui sait ? Il n’est peut-être pas trop tard pour leur apprendre les principes républicains qu’ils semblent ignorer.

Il ne s’agit évidemment pas pour nous de stigmatiser les croyants ni de tourner en dérision le besoin spirituel qu’éprouvent aujourd’hui nombre de Français qui se reconnaissent dans l’une ou l’autre religion. « Le sens de la vie est la plus pressante des questions », disait Albert Camus. Comment ne le serait-elle pas encore davantage ? À l’heure où la pandémie et la menace qu’elle fait planer sur nos existences révèlent la fragilité de notre condition humaine et la petitesse de bien de nos préoccupations quotidiennes ?

Libre à chacun d’apporter à la question existentielle la réponse qui lui sied, qu’elle soit ou non religieuse. Et loin de nous, l’intention de hiérarchiser les différentes réponses, et d’en privilégier l’une sur l’autre. Fidèles à la tradition du mouvement pour l’émancipation, nous faisons nôtres les mots de Lénine. « L’unité de cette lutte réellement révolutionnaire de la classe opprimée combattant pour se créer un paradis sur la terre nous importe plus que l’unité d’opinion des prolétaires sur le paradis du ciel. » En d’autres termes, nous ne devons jamais faire des questions religieuses le prétexte pour stigmatiser, pour diviser.

Mais il ne revient pas à l’État d’organiser cette spiritualité

La séparation de l’Église et de l’État et sa neutralité sont la condition première pour éviter que la religion ne soit un facteur de division et de conflit. Cela garantit à chacun la liberté de croire ou ne pas croire.

C’est pourquoi nous sommes républicains et viscéralement attachés à la laïcité et à la loi de 1905. son article premier stipule que « la république assure la liberté de conscience » et « garantit le libre exercice des cultes ». L’article deux précise que la « République ne reconnaît, ne salarie et ne subventionne aucun culte ». La séparation et la neutralité absolue, pour garantir à tous la liberté de conscience et de culte, et assurer ainsi la paix civile. La loi de 1905, rien que la loi de 1905 et toute la loi de 1905. La République laïque. En temps de crise sanitaire comme un temps normal : voilà notre boussole.

Organiser la réponse sanitaire à la crise et redonner à l’État les moyens d’agir : voilà ce que nous ferions, nous !

En République, ceux qui gouvernent n’ont pas à jouer aux commandeurs des croyants.

Plutôt que détruire la laïcité, il est impératif d’organiser la réponse sanitaire et la réaction des pouvoirs publics face à l’épidémie. Plutôt que de diviser les Français, il faut planifier la sortie du confinement et tirer les leçons de l’épidémie en redonnant à l’État les moyens d’agir. Voilà les priorités de la période, voilà ce que nous saurions faire, nous !