Question écrite sur les expulsions locatives sans relogement

Les expulsions locatives ont été suspendues pendant la trêve hivernale, et prolongée après le déconfinement en raison des difficultés sociales accrues par la crise économique. Pourtant, la crise sociale s’installe durablement, et les expulsions locatives continuent.

Le ministre du Logement a pourtant pris une instruction pour empêcher les expulsions locatives sans solution de relogement avec recours de la force publique.

Cependant, ces instructions ne seraient pas respectées, car des expulsions locatives avec recours à la force publique auraient été pratiquées, en contradiction avec l’instruction ministérielle.

Question au gouvernement posée le 03/11/2020 :

M. Bastien Lachaud interroge Mme la ministre du Logement sur les expulsions locatives sans relogement, et plus largement sur le respect des instructions des 2 juillet 2020, et 17 octobre 2020.

En effet, avec le Covid-19, une crise sociale sévère s’est installée dans le pays. Si le 20 % les plus riches ont pu constituer une épargne pendant le confinement, au contraire, les catégories les plus pauvres ont dû dépenser leur épargne, ou trouver des moyens alternatifs pour vivre, recourir à l’aide alimentaire pour la première fois de leur vie, etc. Le chômage augmente. La précarité a augmenté et touché de plus en plus de personnes. La crise sanitaire a un coût au quotidien, puisqu’il faut se procurer les masques pour éviter d’être verbalisé.

Dans ce contexte de crise économique et sociale majeure, payer son loyer est devenu une difficulté réelle pour nombre de foyers, alors que les aides ne peuvent compenser les pertes de revenus. Les locataires qui ne peuvent plus faire face augmentent, et se voient menacer d’expulsion.

C’est pourquoi votre prédécesseur a pris une instruction le 2 juillet 2020, qui demande aux Préfets d’assortir tout concours de la force publique à une solution de logement effective et adaptée ou à une proposition d’hébergement des personnes expulsées. Celle-ci demande notamment de « veiller à éviter tout trouble à l’ordre public, notamment sanitaire, qui naîtrait d’expulsions sans relogement ». Votre instruction du 17 octobre rappelle cette exigence.

Pourtant, M. Bastien Lachaud a été interpellé par des associations, comme la fondation Abbé Pierre, sur des cas d’expulsions de ménages ou de concours de la force publique accordés dans sa circonscription, dans les villes de Pantin et Aubervilliers, et plus globalement en Seine–Saint-Denis sans aucune solution pour les personnes et familles concernées alors qu’elles sont pour la plupart demandeuses de logement et pour certaines reconnues prioritaires au titre du DALO. Par ailleurs, certaines personnes expulsées, ou sur le point de l’être, souffrent de handicaps, d’autres sont reconnues positives au COVID 19. Certaines vivaient dans des logements reconnus non décents, voire insalubres, par les autorités.

Dans le contexte du couvre-feu, il est impératif que les personnes puissent avoir un logement, sans quoi il leur est impossible de respecter le confinement nocturne entre 21 h et 6 h du matin. Il est donc impensable que la force publique puisse être employée pour expulser des personnes sans qu’elles n’aient de solution de relogement.

Aussi, M. Bastien Lachaud souhaite-t-il savoir le nombre exact d’expulsions qu’il y a eues à Pantin et Aubervilliers, et plus largement sur le département de la Seine–Saint-Denis, avec recours à la force publique, sans solution de relogement, depuis la fin de la trêve hivernale prolongée avec l’état d’urgence sanitaire.

Il souhaiterait également connaître le nombre des solutions proposées à ces ménages expulsés.

Enfin, il souhaite apprendre de la ministre quelles instructions elle compte donner pour avancer la trêve hivernale, compte tenu de la crise économique, sociale, et sanitaire, et de l’instauration du couvre-feu dans 54 départements.

Réponses du gouvernement, publiée le 09/11/2021, soit prés d’un an après notre question :

Depuis le début de la crise sanitaire liée à la COVID-19, le Gouvernement a mené un travail considérable en matière de mise à l’abri et de protection des publics les plus fragiles. Comme le rappelait le Premier ministre le 15 juillet 2020 lors de sa déclaration de politique générale, la crise sanitaire a accentué la vulnérabilité des personnes éloignées du cœur de notre modèle économique et de protection sociale.

Le Gouvernement a donc fourni un effort sans précédent pour maintenir l’activité économique et les emplois : plan de relance, activité partielle, dispositifs d’aides financières, plan jeunes. Afin de prévenir et de lutter contre la bascule dans la pauvreté, le plan France Relance consacre 100 millions d’euros au soutien des associations engagées dans la lutte contre la pauvreté.

En parallèle, des mesures ont été prises pour soutenir le pouvoir d’achat des personnes précaires et modestes, développer les solutions d’insertion et d’activité pour les personnes sans emploi. Le Gouvernement s’est pleinement mobilisé et organisé avec les acteurs associatifs pour renforcer l’accès et le maintien dans le logement, ainsi que l’accès à l’hébergement d’urgence. Une attention particulière a été portée à la prévention des expulsions locatives et l’accompagnement des personnes menacées d’expulsion. L’objectif prioritaire du gouvernement dans ce domaine a été tout au long de la crise de prévenir la précarisation des locataires comme de celle de leurs bailleurs. L’enjeu est à la fois d’éviter toute hausse des impayés locatifs qui pourrait se matérialiser et de prévenir l’augmentation des expulsions locatives qui pourrait en résulter. Afin d’anticiper les possibles conséquences de la crise sanitaire sur la capacité de paiement des locataires, un Observatoire national des impayés de loyers a été créé le 16 novembre 2020 par la ministre déléguée chargée du logement, en lien avec l’ensemble des partenaires concernés (bailleurs sociaux et privés, collectivités territoriales, associations de locataires, Fondation Abbé Pierre…), afin de suivre leur évolution. À ce jour cependant, aucune hausse des impayés locatifs du fait de la crise n’a été constatée.

Le Gouvernement reste néanmoins vigilant concernant l’impact à moyen terme des conséquences économiques de la crise sur la capacité de paiement des loyers. Dans cette perspective, afin de prévenir toute hausse à venir, un fonds national de 30 millions d’euros a été mis en place par l’État afin de soutenir les ménages en difficultés de paiement de leur loyer du fait de la crise. Ce fonds abonde la partie relative à l’apurement des dettes locatives des fonds de solidarité pour le logement (FSL) des collectivités territoriales qui disposent d’ores-et-déjà de l’expertise et de la logistique nécessaires à l’instruction des demandes ainsi qu’au versement des aides afférentes. Toute collectivité qui le souhaite peut bénéficier de l’aide du fonds national sous réserve d’adéquation préalable du règlement intérieur de son FSL aux caractéristiques socio-économiques des ménages fragilisés financièrement par la crise sanitaire.

Parallèlement à ce nouveau dispositif, l’aide aux impayés de loyers et au paiement de dépenses de logement mise en place par Action logement en 2020 a également été prolongée, avec un assouplissement des critères d’octroi de l’aide pour les plus fragiles, à hauteur d’une enveloppe de 24 millions d’euros en 2020 et 76 millions d’euros en 2021. Afin de diminuer le risque de non-recours aux dispositifs de prévention, le Premier ministre a annoncé en octobre 2020 la création d’équipes mobiles de visite à domicile des personnes menacées d’expulsion que les services sociaux n’arrivent pas à joindre par les moyens traditionnels. Dès le début de l’année 2021, 26 équipes mobiles, composées de 3 à 5 travailleurs sociaux ou juristes ont été déployées dans les départements les plus tendus en matière de logement et d’expulsion locative. Dotées d’un budget de 8 millions d’euros sur deux ans, elles ont une double mission auprès des ménages à différents stades de la procédure d’expulsion : aller à la rencontre des locataires en situation d’impayé inconnus des services sociaux ou ne répondant pas à leurs sollicitations afin d’éviter l’aggravation des situations dans le contexte de la crise sanitaire ; accompagner le traitement des situations d’impayés accumulés durant l’année 2020.

Afin de protéger les locataires dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, la trêve hivernale a par ailleurs été prolongée à deux reprises : une première fois jusqu’au 10 juillet 2020, puis une seconde fois jusqu’au 31 mai 2021. Conçus toutefois comme une réponse d’urgence devant le caractère exceptionnel de la crise sanitaire, ces dispositifs dérogatoires ne pouvaient se substituer au cadre constitutionnel et législatif régissant les rapports locatifs et le droit de propriété. Il n’était de plus pas envisageable de pénaliser les petits propriétaires dont le loyer constitue une part importante du revenu. L’instruction du 2 juillet 2020 organisant les conditions de sortie de la trêve au milieu de la crise sanitaire a d’abord permis l’année dernière un recul historique du nombre d’expulsions locatives avec concours de la force publique (CFP) de plus de 50 % sur l’ensemble du territoire par rapport à la situation d’avant crise. 1275 expulsions ont ainsi eu lieu en Seine-Saint-Denis en 2020 contre 2186 en 2019 soit près de moitié moins. Réponse transitoire face à l’urgence de la situation, cette première instruction a été complétée cette année d’un dispositif de sortie de crise dont l’objectif demeure celui de la prévention de la précarisation des locataires et de leurs bailleurs. L’instruction interministérielle du 26 avril 2021, signée par la ministre déléguée chargée du Logement et la ministre déléguée chargée de la citoyenneté, définit ainsi les étapes d’une transition progressive de l’état d’urgence vers une reprise maîtrisée de la procédure d’expulsion locative, tout en tenant compte de la permanence des risques sanitaires et socio-économiques liés au COVID19 qui demeurent pour les personnes les plus vulnérables. Cette instruction, transmise aux préfets de région et de département, poursuit trois objectifs : éviter tout effet de rattrapage en 2021 en échelonnant la reprise des procédures d’expulsion accumulées en 2020 ; limiter le nombre de nouvelles expulsions susceptibles d’être réalisées par une politique de prévention active ; éviter toute mise à la rue de personnes qui seraient expulsées pour la période 2021-2022.

Des consignes ont été transmises dans cette perspective aux préfets afin d’assurer le relogement de toutes les personnes qui feraient l’objet d’un concours de la force publique à l’issue de la trêve hivernale ou, à défaut de leur proposer une solution d’hébergement et d’accompagnement adaptée à leurs besoins le temps qu’une solution pérenne soit trouvée. En amont, tous les efforts sont réalisés pour anticiper le relogement des ménages concernés par une procédure d’expulsion. L’instruction prévoit spécifiquement le maintien dans leur logement des ménages les plus vulnérables de même que celui des personnes reconnues prioritaires dans le cadre du DALO. Afin de garantir la mise en œuvre de ces objectifs, l’instruction prévoit la mise en place par les préfets de plans d’actions de prévention des expulsions à l’échelle départementale, en lien avec les collectivités locales, les bailleurs et les associations, afin de coordonner les recherches de logement, d’hébergement et l’accompagnement social et juridique des ménages. 10 millions d’euros supplémentaires ont été octroyés afin de permettre aux préfets de procéder à l’indemnisation des bailleurs concernés par le report d’une expulsion locative et faciliter ainsi le maintien des occupants ainsi que l’échelonnement des procédures sur deux ans. Les capacités d’hébergement ont-elles-aussi été adaptées à la situation. Par instruction en date du 26 mai 2021, la ministre déléguée chargée du logement a demandé aux préfets le maintien du parc d’hébergement généraliste à hauteur de 200 000 places jusqu’en mars 2022. Cette mobilisation exceptionnelle doit permettre de répondre également aux besoins de ménages qui seraient expulsés sans relogement possible.

Enfin, 3,7 millions d’euros ont été alloués aux préfectures pour renforcer immédiatement les effectifs des commissions de coordination de prévention des expulsions locatives (CCAPEX) et faciliter la mise en œuvre de ces plans d’actions au niveau local. L’enjeu est de permettre le traitement rapide et coordonné de l’ensemble des situations de personnes menacées d’expulsion sur le territoire national. Achevant de structurer le dispositif national de gestion de crise mis en place par le gouvernement sur ce sujet, le troisième plan d’actions interministériel de prévention des expulsions locatives lancé le 1er juin 2021 a défini les orientations ministérielles permettant une sortie de crise effective d’ici fin 2022. Impliquant 7 ministères, le plan coordonne pour ce faire la mise en place des multiples dispositifs de soutien aux locataires et propriétaires-bailleurs impactés par la crise ainsi que le renforcement des moyens à dispositions des services de l’État et des collectivités évoqués précédemment. Il accélère parallèlement la mise en œuvre immédiate de réformes structurelles nécessaires à l’amélioration pérenne du dispositif national de prévention des expulsions locatives en matière de relogement, d’apurement des dettes locatives et de coordination locale des acteurs. Le plan s’emploie dans cette perspective à consolider la territorialisation de la stratégie de prévention des expulsions en lien étroit avec les collectivités territoriales et les partenaires institutionnels au niveau local. L’ampleur inédite des moyens opérationnels et financiers ainsi mobilisés par l’État traduit la détermination du Gouvernement à limiter au maximum les effets de la crise sanitaire sur les locataires et leurs propriétaires et témoigne de son engagement à réduire de manière pérenne et significative le nombre d’expulsions locatives sur l’ensemble du territoire national.