Pour une meilleure reconnaissance des blessés psychiques de guerre

J’ai défendu une proposition de loi visant à simplifier la prise en charge des blessés psychiques de guerre. En effet, les procédures sont complexes, les dossiers difficiles à réunir, et demandent des démarches qui sont particulièrement éprouvantes du fait de la nature même de la blessure psychique.

J’ai demandé une meilleure prise en charge par l’administration, que ce soit elle qui aide les blessés à faire les démarches, plutôt que le contraire.Ce texte aurait permis de simplifier les démarches administratives des blessés psychiques pour faire valoir leurs droits.

Plutôt que d’amender ou compléter le texte, LREM a choisi de nier le problème et de rejeter la proposition en bloc. C’est un geste de mépris incroyable envers les blessés, dicté par un calcul politicien médiocre : ne pas soutenir une initiative de la France insoumise.

J’exprime ma consternation devant cette décision mais aussi toute ma reconnaissance à mes collègues qui ont soutenu le texte, en particulier Laurence Trastour-Isnart.

J’adresse une pensée reconnaissante aux blessés qui ont accepté de témoigner durant la préparation du texte et je tiens à les assurer que je prendrai de nouvelles initiatives pour améliorer la condition des blessés de guerre.

Lire la proposition de loi.


Lire le texte de présentation de la loi :

Au service de la Nation, le militaire expose sa vie. Soumis au statut général des militaires, il s’engage avec un esprit de sacrifice qui mérite le respect et la considération de la Nation. « Ces Français que nous fûmes contraints de jeter dans la bataille, ils ont des droits sur nous », résuma ainsi Clémenceau le 20 novembre 1917 dans un discours de politique générale qui fit date.

Après le rapport de nos collègues Anissa Kheder et Laurence Trastour-Isnart de l’an dernier, qui faisait suite à un premier rapport d’Olivier Audibert-Trouin et Émilienne Poumirol sur le suivi des blessés, en 2014, je crois que nous sommes tous conscients ici de l’engagement indéfectible des forces armées pour soutenir au mieux leurs blessés. Entendons-nous bien, mes chers collègues, je ne remets aucunement cela en cause. Il me semble cependant que nous ne leur avons pas encore suffisamment simplifié la tâche.

Vous connaissez certainement de nombreux blessés, chacun, dans vos circonscriptions. Et vous avez certainement comme moi à l’esprit le récit de leurs souffrances – tel ce légionnaire chargé de distribuer des vêtements et de la nourriture tous les vendredis à des enfants de Sarajevo, qu’il a vus périr sous ses yeux dans l’explosion d’une bombe. Vous savez le parcours administratif émaillé d’embûches qu’ils ont parcouru.

L’exercice des droits à réparation et à la reconnaissance consacré par le statut général des militaires repose en effet largement sur leur capacité d’initiative. Blessé, le militaire doit encore être suffisamment en possession de ses moyens pour avoir les bons réflexes administratifs. Le guide du parcours du militaire blessé et de sa famille, édité en 2015, actualisé en 2018, en témoigne : le militaire doit rendre compte à son supérieur hiérarchique, il doit faire constater son état de santé, se procurer et conserver tous les documents utiles à l’examen futur des circonstances de sa blessure, et s’engager dans le long parcours de réparation et de reconnaissance.

Le militaire malade ou blessé a accès à de d’utiles dispositifs d’aide tout au long de son parcours. Mais ceux-ci se ramifient en une kyrielle de sous-dispositifs conditionnés à tout un éventail de critères et de subtiles distinctions pour lesquelles la France semble parfois avoir un talent particulier. À cet égard, je vous renvoie à la comparaison avec le modèle des forces armées canadiennes, cité plusieurs fois dans le rapport de nos collègues Kheder et Trastour-Isnart.

L’obtention d’une pension militaire d’invalidité repose sur de très nombreuses expertises : celle qui établit le diagnostic médical, celle qui permet d’évaluer le préjudice subi, la contre-expertise réalisée par l’administration en application d’un principe de contradictoire qui place d’emblée la procédure sous le signe du contentieux voire du soupçon plutôt que de la bienveillance et du soutien. Les expertises doivent être renouvelées si l’état de santé du militaire évolue. À ces expertises s’ajoutent aussi celles qui sont requises pour l’indemnisation complémentaire dite « Brugnot », du nom d’une jurisprudence favorable du Conseil d’État indemnisant des préjudices non fonctionnels comme le préjudice esthétique ou sexuel. La procédure est quasiment la même et requiert en partie les mêmes pièces. En partie seulement. La présomption d’imputabilité au service introduite par la loi de programmation militaire de 2018 n’a guère réduit la charge administrative portant sur les blessés, de l’avis des deux rapporteures que j’ai déjà citées.

Une fois indemnisé, le militaire blessé doit encore solliciter la reconnaissance de la Nation. S’ils « ont des droits sur nous », nos blessés sont en tous cas contraints de les réclamer avec force ! Parmi les blessés que j’ai entendus, beaucoup n’ont jamais été reconnus comme blessés de guerre, soit parce qu’ils ont participé à des opérations de maintien de la paix non reconnues comme des « OPEX » au sens de l’état-major des armées, soit parce qu’ils sont ce qu’on appelle des « isolés insérés » dans des opérations internationales, dans l’EUTM-Mali, par exemple, qui ne peuvent donc se prévaloir d’avoir participé à une telle opération. J’attire également votre attention sur le fait que les modèles de courriers fournis par le ministère invitent les blessés à « solliciter de la haute bienveillance » de leur commandement « l’homologation de leur blessure » de guerre. La procédure relève en effet de la seule initiative du blessé. D’après nos collègues, plus de 10 % des blessés de l’armée de terre ne demanderaient jamais la carte du combattant ou le titre de reconnaissance de la Nation par méconnaissance, négligence ou par une réticence que certains qualifieraient peut-être de phobie administrative.

Vous m’objecterez peut-être que nos blessés sont bien accompagnés par une galaxie d’acteurs institutionnels et associatifs. Vous aurez raison et je veux ici rendre hommage à leurs efforts et à leur dévouement. Ce sont ces acteurs, plutôt que nos dispositifs fruits d’une sédimentation centenaire, qui manifestent le plus directement et chaleureusement à nos blessés la reconnaissance de la Nation. Nous devons nous atteler à la simplification de ces dispositifs, poursuivre la codification de la jurisprudence, afin de pouvoir véritablement dématérialiser les procédures, de les rendre plus automatiques, plus transparentes. J’ai compris que les réticences actuelles du ministère des Armées étaient guidées par la crainte que cette simplification se fasse au détriment de l’indemnisation des blessés. « Bercy » pourrait en profiter pour réduire les aides qui leur sont accordés. Mais faut-il se satisfaire que l’opacité seule protège les droits de nos blessés de guerre ? Peut-on seulement l’accepter ?

« Dites-le nous une seule fois ! » Le principe-phare de la simplification du code des marchés publics et de la modernisation des relations entre l’État et ses administrés doit résonner tristement aux oreilles des militaires, surtout blessés. Si les fournisseurs de l’État peuvent désormais se féliciter d’avoir accès à des coffre-fort numériques, la devise du ministère des Armées semble devoir rester : « Répétez-le nous à chaque fois » ! Comment ne pas s’en indigner ?

Je voudrais attirer votre attention sur une population croissante aux besoins particuliers, celle des blessés psychiques. Plus de 12 500 militaires de l’armée de terre ont été blessés pour « la défense de la patrie et des intérêts supérieurs de la Nation » depuis 1993, dont l’écrasante majorité souffre de blessure psychique. D’après les statistiques du Haut Comité d’évaluation de la condition militaire de juillet 2019, dans son rapport intitulé La mort, la blessure, la maladie, les militaires sont 4,5 fois plus exposés à des troubles psychiques qu’à une blessure par arme ou par engin explosif.

À mon sens, la procédure précitée est plus ardue pour ces blessés, et ce pour trois raisons :

1.- D’abord, les états de stress post-traumatiques surviennent parfois plusieurs années après le fait générateur, cinq voire dix ans plus tard. Lorsque les troubles psychiques surviennent, les militaires ont souvent quitté l’institution. Ils se sont éloignés des acteurs institutionnels de l’accompagnement, n’ont pas toujours demandé leur carte du combattant, n’ont plus la même information et ne peuvent accéder au portail e‑PMI mis en place pour dématérialiser la demande initiale de pension militaire d’invalidité. La plupart des blessés psychiques que j’ai rencontrés n’avait pas bénéficié des mesures mises en place progressivement dans le cadre des plans d’action dédiés à une meilleure prise en charge de la blessure psychique adoptés à partir de 2011. Ils se sentent terriblement abandonnés par l’institution. Certains signalent que la fréquence des rendez-vous prévus dans leur protocole de soins a été réduite, apparemment du fait des difficultés de fidélisation du service de santé des armées, en lien avec le taux de projection excessif des praticiens du service en OPEX.

2.- Ensuite, je n’ai pas été convaincu des vertus bénéfiques de la procédure, vantées par certains représentants de l’administration que j’ai auditionnés. Les blessés que j’ai rencontrés me disent plutôt que la succession d’expertises et de contre-expertises leur a parfois fait perdre pied, bouleversant leur vie personnelle, entraînant parfois des séparations, brisant leur famille. Le rapport de nos collègues Anissa Kheder et Laurence Trastour-Isnart se faisait déjà l’écho de la lassitude des blessés face aux nombreuses pièces à fournir, certaines identiques, à différents services, face à la nécessité de répéter sans cesse la même histoire : (je cite) « “chaque nouveau papier remet le blessé face à un échec”, “sentiment de se battre contre le système”, “se justifier d’être blessé”, “cette complexité administrative, les délais associés, la multitude des acteurs, le manque d’informations sur l’état d’avancée du dossier génèrent de l’inquiétude, de la frustration et de la colère qui nuisent au soin et à la reconstruction”, “des procédures administratives rebutantes” ». Le rapporteur a entendu les mêmes témoignages, ainsi que les pleurs de militaires faisant à nouveau l’effort de lui raconter l’origine de leur traumatisme. Il est aussi question de comptes rendus d’expertise perdus, qu’il faut donc refaire, au prix d’un nouvel entretien.

3.- Enfin, je pense que la blessure psychique est par nature excluante. Invisible, elle demeure quand même une blessure « différente » pour reprendre l’expression utilisée par le HCECM. Lorsqu’il se révèle, le trouble psychique pousse souvent le blessé à s’isoler, à rejeter l’institution, et parfois à adopter des comportements dangereux. Ces comportements l’isolent de ces proches, de ses anciens camarades. Ils ont fréquemment un sentiment de honte, celui de n’être pas en adéquation avec les valeurs de courage, de solidarité et de résistance à tout prix devant l’ennemi prônées par leur unité.

Les militaires blessés psychiques ont donc selon moi un besoin aigu de reconnaissance et la nature de leurs troubles renforcent encore l’impératif de simplification de la procédure.

C’est l’ambition de la présente proposition de loi.